L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford : « Tu n’envieras point »

Pour cette semaine Assassin, nous avons longtemps débattu sur le cœur de notre sujet, l’essence même du thème. L’assassin, ou l’assassinat ? Qu’est ce qu’un assassin ? Qu’est ce qui différencie un assassin d’un tueur ? Parle-t-on des assassins de métier uniquement ? etc… Bref, moult questions auxquelles nous n’avons pas su apporter de réponses claires sans s’étriper à coup de fourchettes et de doigts vicelards dans les yeux (Tobye lâche immédiatement Narfi s’il te plaît). Ah si, il y eut bien une réponse tangible : quand il y a planification, il y a assassinat, donc assassin.

Voilà notre postulat établi.

De la naissance à la morsure

Mon assassin à moi, ce bon vieux Robert Ford, bâtit sa légende autour de son plus fumeux et fameux meurtre : celui de Jesse James (pro tips : c’était dans le titre). Ce qui lui valut une renommée internationale et une aura de pestiféré tout au long de sa courte existence. Sa vie a été portée à l’écran en 2007 et c’est ce qui va nous intéresser aujourd’hui, en mode oldies, une fois n’est pas coutume : L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew Dominik. Pourquoi parler de ce film me demanderez vous, et bien tout simplement car il illustre très bien une des formes de l’assassinat, et peut être la plus pure, la plus brute de pomme : le crime passionnel.

On suit donc le Jesse James des années 1870 et ses quelques hommes, inénarrable bandit de grands chemins mystifié par une presse qui le portait aux nues (comme une sorte de Robin des Bois… Il faut dire que la presse est avide de ce genre de personnages qui captivent l’imaginaire : ils sont sans limites et sans freins, hors de contrôle… libres. Il n’y a qu’à regarder un peu la couverture médiatique de tous les grands noms du banditisme de Billy the Kid à Mesrine, en passant par Dillinger et la Bande à Bonnot !). Meneur d’hommes, icône charismatique, Jesse James est ici représenté en petit gourou tout puissant qui irradie sur ses hommes comme un soleil. Il incarne le Grand West, l’aventure, la liberté sauvage aux yeux de ses hommes perdus entre deux époques : l’une qui décline, percluse d’imagerie de légendes et de conquêtes, d’horizons Homériens, et l’autre qui amorce l’avènement de l’ère mécanique, urbaine, sédentaire et industrielle.

On lui pardonne même de tuer sans foi ni loi, et de laisser sur son sillage une immense traînée de sang qui couvre plusieurs États d’Amérique…

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Certains plans sont somptueux

Jesse James représente le Vieux Rêve déjà déchu, et il arpente le monde tel un fantôme du passé en entraînant avec lui ses derniers compagnons. Cette petite compagnie de gueules cassées, de culs terreux, de soudards de grands chemins, enchaîne les méfaits, les vols et les pillages, toujours guidés par un Jesse prêt à raccrocher les Colts. Blasé, presque évanescent, il n’agit que pour agir, se sachant dépassé, d’un autre temps.

Après un dernier hold-up de grande volée, il choisit de se retirer avec quelques uns de ses fidèles (dont son cousin, Robert Ford) dans une de ses planques et attend. Il attend sa famille, il attend les trahisons inévitables, il attend ses tueurs, il attend la fin. Des jours et des jours, encore et encore. Au fond, voilà un homme qui se sait condamné. Voué à la mort. Et qui arpente le monde telle une âme en peine, profitant de ses derniers instants en les savourant comme un vieux sage humble.

Look at me now

L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford sonne comme un cantique funéraire. Voilà un film qui ne cache pas ce qu’il est : un grand De Profundis existentiel. Dès le titre, on sait par avance comment tout cela se termine. Et c’est donc suivant ce fil rouge que l’on va accompagner les protagonistes comme on suivrait un cortège funèbre, au pas, lentement mais sûrement, jusqu’à la tombe. Tout au long des ces 2h39 de film, et à la manière d’un Gus Van Sant pour Last Days qui laisse traîner la caméra en suivant son acteur déambuler sans but, Andrew Dominik suit ses protagonistes dans toute la splendeur de leur vacuité. Les yeux dans le vague, les traits tirés, ils sont abasourdis par un univers qui les dépasse, hagards et sans plus de repères que leurs souvenirs et la contemplation de leur décrépitude. Ils sont sales, ils sont faibles, ils sont pourchassés. Tous ensemble, ils sont au purgatoire.

Comme un empire qui s’effondre, ils observent leurs derniers instants dans le recueillement, le silence et l’abandon avec Jesse James en seul Saint des Saints, véritable figure christique qui captive tous les regards et surtout celui d’un homme en particulier : Robert Ford.

Casey Affleck, magistral de détresse

Toujours dans l’ombre de Jesse, Robert Ford est l’admirateur, le fanatique, le disciple et dévot. Petit bouseux inculte avide de gloriole et surtout de reconnaissance, il le suit dans ses aventures et s’imagine en compagnon d’armes de ce héros sublimé. Ford se veut l’égal de Jesse, le bras droit, le fidèle qui trône à côté de lui dans les bandes dessinées qui mettent en scène les frasques du Bandit Légendaire. Il en rêve, ça l’obsède. Ça le rend dingue. Ça le ronge le Ford. Voilà un personnage déchiré entre l’admiration, l’amour et la colère qui enfle en lui face à un destin qui l’oublie, qui le nie même.

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Car Robert Ford est seul et son « Dieu » ne le voit qu’à peine. Tandis que ses semblables le méprisent. Il est seul et profondément brisé, emplis de désillusions et de frustration. Ses rêves sont mort-nés, ses ambitions restent cadenassées et sa solitude le noie. Petit à petit il va prendre conscience de son inexistence et implacablement, nous allons le suivre s’enfoncer dans l’inévitable  : l’assassinat, seul acte maîtrisé capable de rendre tangible son existence.

Nous y voilà, le mot est lâché et on recolle au thème de cette semaine spéciale troll ! Oui, Ford (interprété par le magistral Casey Affleck, petit frère de…) devient l’assassin, planifiant son meurtre au fil des jours, au plus proche de sa victime. Bien qu’il ne soit pas explicitement montré, ou dit, que Ford va assassiner son idole : tout dans le film le crie. Sans cause aucune, à part celle d’écrire son propre nom dans l’histoire, il va se laisser emporter par son geste meurtrier. En tuant le maître, Ford espère le devenir, comme par transfert… comme dans Highlander quoi !… ahem, non là je m’égare.

#LesVrais

Mais le pire dans tout cela, c’est qu’il abat le roi d’une balle dans le dos. Jesse James, tué chez lui, par un de ses proches, alors qu’il était de dos. Lâche. Vil. Bas. En lieu et place de devenir à son tour le héros qui a mis fin au fléau James, il devient la risée de l’Ouest, jugé par tous, méprisé encore plus pour sa lâcheté. Car voilà, Jesse James était une légende, et l’on ne tue pas une légende Américaine en lui collant un pruneau dans le dos, on l’affronte, droit dans les yeux. Dans ce Hard West qui construit son Histoire à grands coups d’épopées criminelles et de grands hommes tant du coup côté de la Loi que de la criminalité, un assassinat reste mal vu. D’autant que ce Robert Ford, en plus d’être un lâche, est aussi un inconnu. Un quidam qui met fin à une carrière épique. Une tâche de vide qui efface un symbole. Il devient le pire qu’il pouvait être : une honte pour l’Amérique des colts et de la poudre, des duels et des fusillades, qui, bien qu’elle soit en train de se métamorphoser, reste très attachée à son passé et ses frasques qui font son ADN.

Leçon de cinéma

Andrew Dominik a très bien compris son propos et joue avec ses personnages. Il pose la caméra, et mise tout sur les regards, sur la tension sous-jacente. Jusque dans la scène clé du film, l’assassinat en tant que tel, tout n’est que jeux de regards et mouvements… Certains passages de cette épopée confinent au génie tant le propos est justement soutenu par l’image. On trouve de la grâce dans le chef d’œuvre de Dominik, on trouve de la beauté : c’est un véritable ballet funèbre auquel on assiste.

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Bang Bang, you shot me down


On trouve aussi beaucoup de souffrance :
rarement je n’ai autant été aussi mal à l’aise pour un personnage que pour celui de Robert Ford, jeune gamin de 19 bougies dont l’égo est bridé, ne laissant qu’une coquille sans âme.

On trouve du cinéma : du bon, du pur, du talentueux. Brad Pitt est immense, comme souvent à cette période de sa vie (il y a dix ans), tout en résignation et en acceptation, Affleck est magnifique, et toute la bande qui entoure ces deux protagonistes ajoute le sel au sujet : tels des saints déchus ils évoluent autour des deux figures, le Christ et le Judas.

De ces plans longs, on retiendra une montée en tension constante sans même qu’elle soit brutale : tout est lent, tout est pesant. Et c’est diablement beau.

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L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford est un film qui à mes yeux, est devenu un film culte. Loin d’être un Western, c’est plus une plongée dans la psyché des personnages et dans les derniers instants d’une époque révolue. Entre errements, vacuité, jalousie, haine pure… on va suivre les protagonistes s’immiscer dans un huis clos mortel où la tension et la nervosité seront les maîtres mots.

Grande claque.

Toujours pas convaincu ? Voici la bande annonce en cadeau :

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