Un groin dans le roman national : le roi tué par un cochon

 Au Cri du Troll, on a toujours prétendu écrire des articles sur toute la culture. Reste que bon… Certains domaines sont plus ou moins funky, plus ou moins attrayants pour le lectorat. L’Histoire, c’est parfois pénible comme tout, soyons honnêtes. Cela dit, nous avons montré lors de la semaine médiévale qu’il y avait des façons tout à fait amusantes de s’instruire (voir l’article de Monseigneur Fly) même pour les plus récalcitrants. L’ouvrage ici présenté, écrit par Michel Pastoureau, devrait leur convenir.

Pour ceux qui ne le connaissent pas,  ce dernier, érudit parmi les érudits, est un médiéviste spécialisé dans l’histoire des symboles, des animaux et des couleurs. Ses ouvrages, toujours accessibles, toujours intelligents dans leur volonté de transmettre le savoir, n’en restent pas moins pointus et exigeants dans leur contenu. (Citons entre autres au sein d’une abondante bibliographie : L’étoffe du Diable. Une histoire des rayures et des tissus rayés ou encore Bleu. Histoire d’une couleur).

Le roi tué par un cochon s’inscrit pleinement dans ce sillon fertile, vulgarisant la recherche historique sans la transformer en un vulgaire roman, évitant tout verbiage ou complexité superflue sans pour autant nuire à la profondeur de l’œuvre. Un bouquin convivial et intéressant à conseiller aux novices comme aux férus d’Histoire.

M. Pastoureau cherche à y montrer comment la mort du fils aîné de Louis VI « le gros », tué par un « porc girovague » le 13 octobre 1131, a eu une influence déterminante sur la dynastie capétienne. Mieux, ce pitoyable incident aurait incité Louis VII à adopter de nouveaux emblèmes devenus connus de tous : la fleur de lis et le bleu azur. Eh oui, un cochon a eu plus d’importance dans la construction du roman national que bien des souverains… C’est à se demander si Fleury Michon n’a pas financé le bouquin. Heureusement, mes minutieuses recherches n’ont rien révélé de tel. Vous pouvez vous y plonger l’esprit tranquille avec un bout de saucisson, histoire de perpétuer la célébration d’un animal qui l’a bien mérité. Gruiiiiiiiiik !

Deux rois et un goret qui fout le bordel

Des premiers Capétiens et d’Hugues Capet ne nous restent bien souvent que fort peu de choses (le nous englobant tous ceux qui ne sont pas amenés à se plonger dans l’Histoire au quotidien), si ce n’est une date : 987. Fameux point G de toute une tripotée de royalistes nostalgiques, sacre d’un roi encore bien misérable parce que sans grand pouvoir à l’époque, pour d’autres, c’est surtout un chiffre bêtement appris par des générations d’élèves qui désiraient ne pas se faire gronder par Papa une fois rentrée à la maison (comme le petit Narfi par exemple, qui devint historien).

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Rassurez-vous, Le roi tué par un cochon nous immerge facilement dans ces premiers temps de la royauté capétienne et parvient habilement à combler certaines de nos affligeantes lacunes. Quelques pages suffisent à nous faire cerner les enjeux de la période tandis que le règne de Louis VI « le gros » (1108-1137) fait l’objet d’un développement plus étoffé.

Comme son nom l’indique, nous apprenons qu’il s’épaissit quelque peu au fil du temps, sa solide charpente se transformant petit à petit en flasque panse, sans doute sous l’effet d’une consommation excessive de Coca et de Chips (attention Fly, tu sais ce qui te guette). Louis VI avait aussi, selon les dires de ses contemporains, les yeux chassieux. Bref, ce n’était donc pas vraiment une beauté… Ce qui ne l’empêcha pas de participer à l’extension et à la stabilisation du domaine royal en utilisant astucieusement l’Église. M. Pastoureau a le soucis d’incarner autant que possible les personnages qui sont au centre de son essai, ce qui permet de sortir ces temps reculés d’une brumeuse abstraction intellectuelle sans négliger le contexte politique.

Autre personnage clé de la période abordée par le livre : Louis VII, le fils cadet qui succéda à son père en l’an de grâce 1137 et régna sur la France jusqu’à sa mort en 1180. Vous connaissez cet obscur individu sans le savoir peut- être ; c’est lui qui répudia la fameuse Aliénor d’Aquitaine, ce qui devait semer les germes de la Guerre de Cent ans ! Souverain malheureux, tant vis à vis de son mariage infécond qu’au cours de son expédition en Terre Sainte qui se terminera par un fiasco complet (le fait de savoir si la brave Aliénor a cocufié son mari à Antioche demeurant en débat), Louis VII reste aussi dans l’histoire grâce à son adoption de la fleur de Lys et du bleu azur comme emblèmes du royaume de France.

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Partant de là, et de la mort brutale de celui qui aurait du devenir Philippe II, le fils ainé de Louis VI, M. Pastoureau cherche à montrer  que les armoiries nouvelles des Capétiens sont le fruit d’un hasardeux vagabondage porcin. Rendez-vous compte, nom de Dieu ! Le fils prodigue, beau et fort ( ainsi que nous le rapportent des chroniqueurs comme l’abbé Suger), tué par un vil cochon de ferme qui le fait tomber de son cheval ! Cela peut prêter à sourire, mais sachez, bonnes gens, que rien n’était plus sérieux à l’époque ! Ce décès accidentel est perçu comme une véritable souillure par l’ensemble des contemporains et semble présager un funeste futur à la dynastie régnante. C’est que le porc – porcus diabolicus sous la plume des auteurs – est considéré ni plus ni moins comme étant un envoyé du diable ! LE GROIN DU DÉMON SACREDIEU !… Bref, en dévoilant la symbolique d’une bête longtemps perçue comme maléfique (voir aussi Le cochon, histoire d’un cousin mal aimé du même auteur), M. Pastoureau nous plonge de la plus belle manière dans l’histoire des représentations et parvient à étayer solidement une hypothèse qui pouvait paraître saugrenue au premier abord. La magie du livre est alors de révéler cet écart entre notre façon de penser et celle de l’Homme du Moyen Âge, ce delta souvent évoqué mais rarement ressenti aussi fortement.

Un modèle de pédagogie et de vulgarisation

Vous l’aurez compris, Le roi tué par un cochon est tout sauf aride ou scolaire… L’auteur convoque d’innombrables anecdotes et historiettes au service de sa démonstration sans que celle-ci n’en soit réellement affaiblie. Si la question héraldique semble être au centre du livre, cela permet en réalité à M.  Pastoureau d’aborder un nombre considérable de sujets. Pêle-mêle, vous apprendrez que Guillaume le Conquérant, obèse, était incapable de tenir sur son cheval à la fin de sa vie, que le gibier ne représentait en réalité qu’une petite part des mets consommés par la noblesse,  que les cochons du Moyen Âge n’étaient pas roses comme ceux d’aujourd’hui ou encore que le « bleu de Chartres » est en réalité apparu à l’abbaye de Saint-Denis. Portraits physiques et psychologiques des souverains, utilité de la chasse, héraldique, évènements politiques structurants tout y passe et c’est à se demander comment l’éminent historien parvient à faire loger l’ensemble de ces informations dans les quelque deux cent pages du livre ! Concis mais jamais approximatif, M. Pastoureau disserte avec l’aisance de ceux qui connaissent l’époque comme s’ils y avaient vécu. L’histoire ainsi animée en devient tout simplement ludique.

Last but not least, c’est du métier d’historien dont nous parle également le livre, et ce de façon totalement indolore une fois encore. Les questionnements liés au travail exégétique sont ainsi intégrés au récit : quelle source nous permet-elle avec le plus d’exactitude de comprendre ce qui s’est passé en ce jour maudit du 13 octobre 1131 où le fils aîné du roi chuta tragiquement ? Comment recouper les textes des différents chroniqueurs dans un but scientifique ? Qu’est-ce qui est à même de nous amener à douter de la véracité des propos de tel ou tel personnage ?
Plus largement Le roi tué par un cochon est le plaidoyer d’un érudit qui défend une certaine vision de l’Histoire, et désire laisser un héritage historiographique particulier. Jusqu’au bout M. Pastoureau aura à cœur de replacer l’étude des symboles et des représentations au cœur de « la grande Histoire ». L’ouvrage ici présenté par votre serviteur est en ce sens une pièce intéressante de ce grand et noble dessein. (En plus d’être foutrement drôle quand même. Gruiiiiiiik.)

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Le roi tué par un cochon est avant tout à conseiller à ceux qui n’aiment ni l’Histoire ni nos patauds amis au groin humide. Il fait parti de ces ouvrages qui parviennent à transcender les traumatismes d’enfance : un prof monstrueusement ennuyant et vicelard comme tout, une indigestion de dates idiotes ou autres joyeusetés. Distrayant et enrichissant, ce livre assez rapide à lire vous permettra de triompher au Trivial Pursuit mais aussi de briller lors des mornes discussions du dimanche midi, toute tranche de saucisson devenant un prétexte pour déballer vos connaissance nouvellement acquises. Surtout, sous ses dehors frivoles, Le roi tué par un cochon recèle en réalité une profondeur et une subtilité insoupçonnée que ne saurait dédaigner même des publics expérimentés. Un parangon de vulgarisation, tout simplement. En un mot :  GRUIIIIIIIIIKKKK !!!!!

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