Les Utopiales 2019 : Graour et Flavius are going on an adventure

Qu’écrire, que dire en sus de ce cher Fly, dont la plume envoûtante nous ébaubit une fois encore, vermines que nous sommes ? Pour éviter le ridicule, il eut fallu prendre les devants, cracher notre morceau sans attendre ; faire preuve d’un peu plus de courage sans doute, fuir toute forme de procrastination assurément. Le bougre profita de notre faiblesse  ! Et me voilà à lui faire reluire le soulier comme s’il m’avait enfanté, me poussant à des rimes que ne renierait pas quelque novice rappeur de quinze printemps. Ô RAGE, Ô DÉSESPOIR, N’AI-JE DONC TANT VÉCU QUE POUR CETTE INFAMIE ?!

Les yeux noyés de larmes, le cœur griffé, je me résolus finalement à écrire mon petit compte-rendu. Baragouinons, baragouinons puisque l’exigence inique d’un rédacteur en chef tyrannique nous amena en ces eaux turbides.

La vieille garde

Les Utopiales, ce fabuleux rendez-vous où s’intriquent réel et imaginaire, science et fiction, c’est essentiellement  accompagné de Flavius et Fly, de ces deux butors mal fagotés que je le parcourus de long en large. Mais, tel un oisillon échappé du nid, je pris parfois mon envol pour rejoindre des conférences plus à mon goût… ce qui nécessita toujours de me frayer un chemin à travers une foule compacte et de prendre un ticket cinquante bonne minutes à l’avance. Car oui, du monde il y en eut tant que les organisateurs furent obligés de mettre en place ce nouveau système pour que chacun profite des événements dans des conditions acceptables.

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Fan absolu de Valérian et Laureline (à tel point que je fus un des rares à défendre le film de Besson), je ne manquai pas d’assister à une table-ronde en présence de J-C Mézières, dessinateur de la série, et de sa sœur, la coloriste Évelyne Tranlé. C’est d’ailleurs la carrière et le travail de cette dernière, beaucoup moins connue du grand public, qui fut au centre de l’attention. En plus d’avoir réalisé les couleurs sur l’œuvre de son frère, elle a travaillé pour les plus grands (Uderzo & Goscinny, Giraud, Fred, ….) sans obtenir, à mon sens, toute la reconnaissance qu’elle méritait. Ce moment fut donc l’occasion de revenir dans le détail sur un métier de l’ombre (et qui risque fort de disparaître dans les années à venir…), exigeant et passionnant ; car apporter les bonnes nuances et tonalités à un dessin n’est pas une mince affaire. Qu’on ne s’y trompe pas, le coloriste de bande-dessinée ne fait pas de coloriage, ou si peu. Planche après planche sa palette doit tenir compte des ombres et des lumières, de la progression de la narration tout autant que de l’atmosphère voulu par le dessinateur. En la matière, il faut bien reconnaître qu’Évelyne Tranlé, à en juger par son sublime effort sur Valerian, est une experte. Ce fut émouvant d’assister à l’exposé de cette vieille garde, au récit de leur fructueuse coopération étalée sur plusieurs dizaines d’années.

Les Utopiales, sont une occasion de croiser cette génération dorée de la SF française des années 1970, celle qui nous berce encore de ses histoires originalement parues dans Pilote ou Métal Hurlant. A ce titre, écouter J-P Dionnet, le co-fondateur de cette dernière revue, paracheva mon voyage nostalgique dans le temps. Les anecdotes sur ses aventures passées, lui qui fit tant pour la science-fiction, sont toujours savoureuses.  Pour ne rien gâcher, son regard sur l’état présent de la création artistique actuelle est d’une sagacité certaine. Tranlé, Mézières, Dionnet, Christin l’année précédente, et d’autres… Je me permets ici de rendre hommage à ces têtes blanches à l’audace éternelle.

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Un peu de cinéma

Il y a tant à faire aux Utopiales, parfois trop pour un  gugus un peu désorganisé qui tarde à repérer ce qu’il ne veut pas manquer. Chaque année, en plus des conférences et autres réjouissances, le cinéma est également à l’honneur : deux compétitions s’y déroulent, une pour le court-métrage, l’autre pour les formats plus longs. Le public se voit même offrir le privilège d’assister à des avants-premières. Lors de l’édition 2017 du festival, nous avions pu nous délecter de l’excellent Mutafukaz avant sa sortie en salle. Cette année, le dernier film de Makoto Shinkai, Weathering with you, était programmé lors d’une séance qui fit salle comble, à telle enseigne que nous ne pûmes y accéder… En revanche nous ne ratâmes pas une autre œuvre, prodigieusement belle, d’un autre réalisateur d’animés japonais encore trop méconnu dans nos contrées ignares : Millenium Actress de  Satoshi Kon qui nous quitta en 2006, c’est-à-dire bien trop tôt.

Je ne vais pas me lancer ici dans une analyse de ce morceau du 7ème art, mon poil dans la main étant infiniment trop long (et surtout le type mérite mieux qu’un salopage de vendredi soir en 250 mots pas spécialement éclairés, mais c’est une autre affaire). Je m’en tiendrais à souligner l’ineffable génie de Kon, dont certains ont déjà peut-être pu profiter en regardant Paprika. Avec Millenium Actress (2001), il parvient une fois de plus à nous offrir une œuvre poétique, ensorcelante, à la profondeur étourdissante (il s’agit tout à la fois d’un film sur la vie d’une femme, sur le souvenir, le cinéma japonais, l’histoire du japon, l’art cinématographique,…). Ce genre d’œuvres qui vous fait ressentir des émotions indicibles, insoupçonnées, indescriptibles, voilà ce dont il est question ici, celles qui vous laissent haletant et ébouriffé sur votre siège humide de sueur. Voilà ce qu’est Millenium Actress, et l’on se demande franchement comment une telle perle a-t-elle pu nous échapper pendant si longtemps, du moins sur grand écran. S’il ne fallait retenir qu’une seule chose du piètre récit de ce glorieux périple en terre nantaise : allez voir ce foutu film nom de dieu !

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 Les Utopiales de Flavius

Il y a des moments où tu fais des choix stratégiques et des fois tu es Flavius en période de vacances scolaires qui se dit que c’est une super idée de prévoir successivement un voyage à Florence, des corrections de copies et les Utopiales. L’animal était déjà pas bien frais après une période de rentrée/réforme/prof principal mais au bout des dites vacances autant vous dire qu’il ressemble à Jack Nicholson à la fin de Vol au dessus d’un nid de coucou. C’est donc tel un zombi défoncé au lubrizol qu’il va vous conter la dernière étape de son périple.

Le temps est bien maussade ce vendredi matin, Flavius, l’air encore hagard de longues et fastidieuses sessions de correction, laisse s’égarer son profond regard de conquérant en retraite vers les reliefs verdoyants du Limousin. Le ciel est gris, désespérément gris, d’un gris duveteux, saturé d’humidité froide. Les nappes de nuages s’écoulent paresseusement en vomissant des torrents de flotte sur la ville de la porcelaine. Diable, pense Flavius, quelle déconvenue, un mois de novembre qui s’annonce pluvieux, et tu vas voir qu’on va s’en prendre plein la gueule sur la route. Le Flavius est prophète le matin peu après 7h30.
Soudain le téléphone s’emballe ; dans le silence pesant de cette matinée en pays haut-viennois le bolide sombre de Lazylumps vient de se ranger en bas de l’immeuble de Flavius. L’homme descend, ses sacs jetés négligemment sur ses puissantes épaules velues. Face à lui, deux silhouettes altières sorties dans un chuintement d’articulations torturées l’attendent sans un mot. Des regards lourds de sens sont échangés puis une bref étreinte virile, ça y est, les trolls sont en chemin vers leur destin, vers cette destination lointaine où, dit-on, de Nantes à Montaigu…

Le voyage des héros

La route est longue jusqu’à Nantes, mais les trois compères se consolent en pensant que Fly, le quatrième larron a écologiquement décidé d’éviter l’autoroute et qu’il est en train de peiner quelque part entre Saint Chassieux-la-Brouette et Ruffiou-sur-Zigounette. Ce sont des hommes simples, qui apprécient les moqueries dégradantes. Lazylumps n’allait pas tarder à s’en rendre compte…

C’est ainsi et de façon à peine romancée que s’est ouverte notre épopée en terre nantaise pour cette vingtième édition des Utopiales. Une édition fort bien dotée encore une fois en célébrités du milieu, depuis Alain Damasio jusqu’à l’indéboulonnable Roland Lehoucq, en passant par Mathieu Bablet, qui a d’ailleurs dessiné l’affiche du festival. De fait, les portes à peine franchies nous avons été directement immergés dans l’exposition de certaines de ses oeuvres.

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On s’est régalé la rétine le long de ses architectures impeccables et de ses planches de BD remplies d’une foule de détails à la préciosité irréelle. Le Flavius s’est instantanément senti en confiance et il a décidé de placer ce séjour sous le signe béni de l’esthétisme et ce malgré la forme disgracieuse de Lazylumps sautillant innocemment à ses cotés, s’ébattant tel un Gollum de cirque au milieu des passants. La visite des expositions se poursuivit cependant et le Flavius et le Graour ont pu à loisir commenter les oeuvres exposées, ce dernier étant intarissable sur Schuiten et Mézières. Il y a avait donc du lourd et nous autres fanatiques à peine déguisés de la Bande-Dessinée y avons passé un certain temps, perdu dans des observations minutieuses, tel Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Friedrich (mais si vous connaissez, c’est le tableau cité par votre pote vaguement alphabétisé qui veut jouer les érudits en art… du coup… bon…).

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Master classe

Mais tout cela est bel et bien beau, mais quel monde, dieu quel monde. En vieux rural patenté, exilé pour gagner sa croute en la bonne ville de Limoges, le pauvre Flavius se trouva bien vite désorienté. Frappé de migraine, l’oeil hagard, il trouva quelque réconfort dans l’aimable compagnie de ses trois compères. Ils le sortirent donc de la cohue pour se rendre à la master classe de Laurent Durieux, un nom qu’ils avaient appris à connaitre deux ans en arrière quand il avait réalisé l’affiche des Utopiales 2017. Alors se trouver dans une salle à l’écart avec l’auteur parlant de son travail, voilà de quoi rasséréner le pauvre Flavius. Ce fut bien au delà de leurs attentes, pourtant stratosphériques, parce que le graphiste est disert, fort aimable et a en plus l’anecdote malicieuse. Pendant une heure trente il nous embarqua donc dans son univers graphique et dans les rouages complexes de ses créations.

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De telles oeuvres sont le résultat d’une longue maturation créatrice ; 25 ans à se laisser bercer par les travaux de Norman Rockwell et ses images riches en narration, à s’imprégner de Hopper surtout pour la lumière et solitude de ses personnages, sans oublier bien entendu la figure gigantesque de Moebius. Il cite également Schuiten avec qui il a eu la chance de travailler depuis. Il invoque également l’influence du rétro-futurisme, la vague puissante de l’imaginaire d’anticipation des années 50 dont les artistes bâtissaient des images d’une utopie brillante dans un contexte de foi profonde dans le progrès. C’est depuis l’univers du design que Laurent Durieux a fini par émerger, à travers un savoir-faire, mais aussi des influences pop-culture. Il commença par des petites recherches personnelles, avant de percer chez Mondo & Cie, une boite américaine spécialisée dans les affiches alternatives de film, après sa première commande, dans univers de Schultz, A Charlie Brown Christmas.
Depuis Laurent Durieux a fini par se faire une place dans cet univers de la création artistique pour notre plus grand bonheur.

Saturé de beauté, les souvenirs encore hantés par Millenium Actress de Satoshi Kon, le Flavius se sentit au comble de la joie. Et puis il s’est souvenu que le dimanche venait d’arriver et que dès le lendemain, 8h il allait falloir être sur le pont, au boulot. Il a repensé à ses choix stratégiques du début, a évalué son état d’épuisement et il a compris…

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