Avengers 2 : Age of Ultron : A boire et Avanger

Un plan-séquence dantesque passant de personnage en personnage et finissant sur des poses iconiques au ralenti, rappelant son équivalent dans le final du premier opus : c’est bon, dès les premières minutes, on se sent comme à la maison. Mais une maison qui a un peu changé depuis la dernière teuf. Le même lieu, les mêmes gens, le même esprit convivial, mais bondé, mal rangé, avec plein de types qui nous disent quelque chose mais dont on ne voit plus trop qui c’est, d’autres trop occupés à organiser le barbecue du mois prochain, le tout avec une chasse d’eau qui fuit et un micro-onde qui marche une fois sur deux. Bon, c’est la teuf quand même, hein.

Film O.K. Corral

Je n’aurais jamais cru un jour dire d’une production de Joss Whedon que son problème est l’écriture. C’est comme si je me retrouvais à dire d’un film de Christopher Nolan qu’il est sans prétention. Comme je l’ai évoqué dans les articles précédents, à l’arrivée du bonhomme sur les Avengers, ce qu’on pouvait le plus craindre, c’est qu’il n’ait pas les épaules pour endosser un super blockbuster épique. Pourtant, le premier opus avait fourni des moments de bravoure d’une générosité qui semblait enfin à la hauteur de la démesure des comics de super-héros.

Et je vous rassure, Age of Ultron ne démérite pas sur ce point, jouant la surenchère comme une bonne suite qui se respecte. La superproduction Marvel enchaîne les séquences d’action toutes plus spectaculaires les unes que les autres, avec cette qualité dont faisait déjà preuve le premier : faire mumuse comme un petit fou avec cette énorme panoplie de jouets, de caractères, de pouvoirs et de possibilités. L’arrivée de nouveaux joujous amène de la variation, tout comme un certain soin apporté pour changer d’échelle, de configuration, d’environnement et d’enjeux. On notera par exemple le fait rare et bienvenu de délocaliser l’action partout dans le monde, de l’Afrique du Sud (enfin le Wakanda, mais c’est clairement l’Afrique du Sud) à l’Europe de l’Est, en évitant de péter Niouillorque pour la 400ème fois. Les héros ont encore plein d’occasion de se battre entre eux (passage obligé d’un crossover) et l’aspect « gestion des civils » devient un enjeu mieux traité que dans le 1 (ou dans les scènes de destruction massive d’un Man of Steel). Des pouvoirs comme ceux de Wanda permettent de situer la confrontation sur un autre plan que le simple bourrinage. On n’échappera toutefois pas à la technique des « hommes de mains infinis en beurre » (Méthode brevetée à base d’ennemis sans personnalité, manifestement constitués de margarine, qui servent de chair à canon pour les héros, et d’une nature qui permet de les buter à la chaîne sans état d’âme même si on est un gentil : ici des robots, des envahisseurs aliens dans le 1, mais on peut les remplacer pour des stormtroopers, des maffieux russes ou des nazis).


La direction artistique générale gagne également en cohérence, bien que le premier avait déjà réussi l’exploit de rendre regardable un tel gloubiboulga de personnages aux visuels différents. Ici, le côté volontairement plus sombre du film permet d’en tirer quelque chose de moins bariolé et plus uniforme.

Pourtant, aussi incroyable que ça puisse paraître, le film est toujours bon (voir parfois meilleur) là où on n’attendait pas Whedon sur Avengers et pèche là où ce bon monsieur a toujours été doué.

Whedon du fil à retordre

Là où le choix de l’ami Joss, non seulement en tant que réalisateur-scénariste mais aussi « grand showrunner » de l’univers cinématographique Marvel, était un bon pari, c’est qu’il avait toujours su écrire des divertissements efficaces, plus malins qu’ils n’en avaient l’air, pleins de passion pour la pop-culture, avec des caractérisations réussies dans des groupes hauts en couleur, des synergies inventives, des dialogues dynamiques et des punchlines à crever de rire. Bref, tout ce qu’il fallait pour relever le défi narratif qu’est cette absurde réunion de super-héros déjà un peu absurdes pris individuellement.

On retrouve encore ici le sens de la formule et des personnages cohérents (malgré une VF encore plus ratée que dans le premier, qui rame avec les jeux de mot et change les références de manière anarchique). On retrouve d’excellentes idées de développement sur le papier, qui parfois transforment l’essai mais souvent se viandent dans l’exécution, faute de temps, faute de savoir où elles vont, faute d’accorder de vraies évolutions au profit d’un montage erratique, sans transition, les scènes se posant là au lieu de s’amener les unes les autres. Je vais prendre un exemple symptomatique pour illustrer le propos :

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Wanda et Pietro Maximoff sont deux nouveaux personnages. Il faut noter que, dans les BD Marvel, ils sont les fils du mutant Magneto, ce qui fait d’eux des antagonistes qui finiront par rompre avec les méthodes de leur père. Au cinéma, les droits des X-Men appartiennent à la Fox (vous avez d’ailleurs pu voir Pietro sous une autre incarnation dans Days of the Future Past où, au passage, oui, il était meilleur parce qu’il bénéficiait de son petit « court-métrage » marquant). Une petite bataille juridique a amené la possibilité d’utiliser ces personnages dans Avengers 2 (ils sont parmi les personnalités emblématique du comic) mais sans référence aux mutants et à leur vilain daron. Qu’à cela ne tienne, ils tiendront leurs pouvoirs d’expériences quelconques et commenceront leur carrière comme ennemis pour d’autres raisons. Ici, ils ont perdu leurs parents dans un bombardement de leur pays par des bombes conçues par Tony Stark. En soi, l’idée est bonne : ils sont dans le camp des méchants parce qu’ils ont subi une injustice liée aux héros, sans être de véritables crapules, ouvrant la possibilité d’une rédemption. Cela permet également de questionner le statut des héros qui, dans d’autres contrées, peuvent être légitimement vus comme les méchants. Cela crée un pont avec la réalité de la politique des USA, autoproclamés sauveurs et gendarmes du monde, et qui s’étonnent d’être perçus par d’autres comme une menace.

Seulement voilà, si l’on sait que la bombe est de fabrication Stark, on n’a aucune info sur les raisons de ces bombardements. Ingérence américaine à l’époque où il fournissait l’armée ? Détournement de son armement par de vils criminels ? Mésusage à l’insu de son plein gré par ses associés mal intentionnés ? (deux cas de figure qu’on retrouve dans Iron Man) Rien n’est expliqué et du coup, on ne connait pas la responsabilité de Stark dans cette tragédie. Idem : jamais vraiment on assistera à une confrontation sur ce sujet pourtant fondateur entre les jumeaux et Iron Man (on se contentera d’un retournement sur la base de ah mais en fait le méchant il est méchant !, quand bien même ils travaillaient déjà pour des gens encore pire, sans que cela les gène). Cet élément est sensé contribuer à une thématique du film autour de « chaque Avenger est d’une certaine façon un monstre« , qui se construit laborieusement sur une foule d’idées embryonnaires comme celle-ci.

Chose amusante, le Vif Argent de X-Men et celui d’Avengers jouent deux meilleurs potes dans Kick-Ass

Tout le film est truffé d’idées abandonnées sur le bord de la route, jamais exploitées, encore moins expliquées, qui donne à l’ensemble, couplé aux problèmes de montage et de structure générale, un côté bordélique, incompréhensible même pour le plus fervent fanboy Marvel, et totalement bâclé.

Le défaut est d’autant plus grave quand il concerne le grand méchant du film, sur lequel reposait tant de promesses, notamment celle de fournir un antagoniste avec des motivations moins puériles que celles de Loki dans le premier. Sauf qu’au moins, on comprenait ce que voulait Loki : dominer le monde et se venger de ce qu’il considère comme une usurpation. Là je mets quiconque au défi (dans les commentaires ou sur la page) de m’expliquer quelles sont les motivations, la caractère et le projet d’Ultron (avec des éléments vraiment présents dans le film, pas des extrapolations). Et je parle bien de l’écriture du personnage, l’interprétation de James Spader et la performance capture n’étant absolument pas en cause.

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Whedon tout ce qu’il a

Pourtant, lorsque Whedon accorde de la place à un développement, cela fait mouche. L’étonnante relation Hulk-Black Widow fonctionne parce qu’elle prend le temps de dialogues posés, d’une exposition efficace et d’une évolution qu’on peut suivre du début à la fin. Le film fait même quelque chose de réussi avec Hawkeye, personnage quasiment dénué de toute caractérisation dans le premier à part tirer des flèches en prenant la pose, parce qu’il lui accorde de la place régulièrement, d’une manière connectée à l’intrigue générale, au lieu de balancer une piste et de la laisser en plan. A l’inverse, le pouvoir de Wanda ouvre des scènes d’introspection à la scénographie rafraichissante mais dont le potentiel n’est jamais creusé. Pire : Thor, pourtant plus emblématique, se tape une sous-intrigue torchée à la truelle dans des scènes de 10 secondes qui n’expliquent rien, avec un Stellan Skarsgaard introduit pour ne finalement rien faire, et qui justifie une résolution en deus ex machina (expression latine pour « prétexte scénaristique de feignant »). [En bas de l’article, un commentaire sur un interview de Whedon à ce sujet]

♪ I got no plot to hold me up / To make me a little profund /I had a plot, a good idea / They have no plot for me ♪

Whedon a déclaré en interview que ce « numéro de jonglage » avait été « un cauchemar » : « il y a des personnages très disparates. La joie d’Avengers est qu’ils n’appartiennent pas tous à la même pièce. Ce n’est pas comme les X-Men, qui sont tous torturés par les mêmes choses et ont des costumes similaires. Les types [d’Avengers 2] partent dans tous les sens. Et donc c’est super dur. Honnêtement, c’est le truc le plus dur que j’ai fait de toute ma vie; je n’ai jamais travaillé aussi dur depuis que j’ai eu 3 programmes à l’antenne« . Le témoignage était sans doute plus là pour donner l’ampleur du travail accompli mais révèle un problème fondamental.

Ce qui déconne dans Avengers 2 : Age of Ultron est en fait ce qui devait déconner un jour ou l’autre dans les projets de Marvel. Créer au cinéma un univers géant à l’image des comics est tout à fait remarquable, au moins en temps que défi à relever. Malheureusement, comme ça marche, on multiplie les films, les personnages, les séries tous interconnectés, et on se retrouve avec une overdose ingérable, impossible à faire tenir même pour un film de 2h20, qui utilise ses auto-clins d’œil comme béquille pour forcer la complicité du fanboy consommateur satisfait de se dire « eh lui c’est machin qu’on voit dans Truc 3 ! », au détriment de la logique interne du récit et de l’accessibilité. En tant que grosse orgie, Age of Ultron est même allé chercher une pléthore de rôles secondaires des autres films pour leur filer des caméos imbitables pour quelqu’un de peu physionomiste ou n’ayant pas maté les trouzmilles productions Marvel. Autant je ne me plains jamais d’une apparition d’Hayley Atwell, autant cette façon de ramener le sidekick noir de chaque héros pour une blague d’initiés me paraît le signe du déclin d’un projet qui avait jusque là réussi – par miracle – à rester à peu près cohérent et accessible. En résumé, Marvel reproduit au cinéma très exactement ce qui fait la lourdeur de son univers BD.

Vision : Autre bonne idée d’adaptation au final incompréhensible (céki ? cékoi ? kékiveu ?), qui plus est jouée par un homme qui a le culot d’être le mari de Jennifer Connelly

On sait déjà que Whedon laissera sa place aux frères Russo, les réals de Captain America 2 et 3, pour gérer la suite de l’agenda Marvel. Dans ce contexte, l’arrivée prochaine dans ce bordel de nouvelles séries et de nouvelles franchises, dont le cador Spiderman, fait plus peur qu’autre chose. D’autres groupes prennent le train en marche en essayant de faire pareil (Sony s’est viandé en essayant de démultiplier l’univers de Spiderman et DC envoie ses Superman vs Batman, Justice League et Suicide Squad). Cette façon de faire très à la mode, adaptée à une époque de grande consommation audiovisuelle, de téléchargement en masse et de passion pour le format série, est tout à fait dans l’air du temps. Mais comme tous les trucs qui marchent, les studios vont nous en gaver jusqu’à l’overdose et la digue qui maintenait une certaine qualité dans le projet Marvel risque d’exploser sous la surcharge. Et les failles d’Avengers 2 : Age of Ultron ont tout l’air d’être les premières craquelures.

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Si je peux sembler pinailler, c’est que je n’ai pas envie de considérer – comme beaucoup de consommateurs de divertissements – qu’un blockbuster est forcément une connerie qui peut se permettre d’être foireuse et à qui on passe tout comme à un gamin un peu attardé. J’ai un peu plus de respect pour les grands divertissements populaires et je n’ai pas envie de revivre la fin des années 90 où les grosses productions étaient des purges et où tout le monde trouvait ça normal (si, si, souvenez-vous).

Si c’est votre came et si vous pouvez tolérer un film atrocement bancal, ne ratez pas Avengers : Age of Ultron (ne faîtes pas comme Marvel, j’ai envie de dire) parce que le souffle épique est là, que les personnages sont toujours ceux qu’on aime et que l’humour fonctionne encore. Si vous pouvez passer les développements bâclés ou inexistants pour profiter des bonnes idées qui fonctionnent. Si vous pouvez passer les redites pour apprécier la diversité des moments de bravoure. Si vous n’essayez pas trop d’accrocher aux thématiques mal dégrossies pour privilégier les enjeux plus petits, plus personnels et plus réussis. Si vous pouvez assez vite faire le deuil de comprendre ce qui se passe pour vous laisser emporter un peu à l’aveugle dans ce qui est, il serait dommage de l’oublier, une vraie bonne grosse aventure.

Et vous, vous en avez pensé quoi mes petits trolls ? https://strawpoll.me/4187895

 MAJ 06/05 :
Voici une interview intéressante de Whedon qui explique le parasitage par les exécutifs de Marvel (ce qui doit expliquer pourquoi il n’est pas attaché aux projets futurs, vu comme il ne mâche pas ses mots). [ATTENTION SPOILERS]. En effet, il a dû bagarrer sur les choix les plus originaux (comme la ferme, les rêves ou ce qui tourne autour de Quicksilver) mais en lâchant du lest sur des exigences qui rend le film si bancal, comme la sous-intrigue de Thor, totalement pourrave (que Marvel a d’abord imposé pour faire des ponts avec ses gadgets futurs au détriment de la cohérence du film, puis caviardé suite à une mauvaise réception des audiences tests, histoire que ce soit encore plus torché à la truelle). On a aussi des pistes d’éléments que Whedon voulait mettre, voir a tourné, et qui auraient sans doute  rendu le tout plus solide.

L’interview est malheureusement en anglais : https://www.superherohype.com/news/339793-joss-whedon-describes-battles-with-marvel-over-avengers-age-of-ultron#/slide/1

Pour retrouver le reste de notre Dossier Marvel Films.

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