Crimson Peak : Désillusion d’optique

Bon les gens j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne nouvelle c’est que Guillermo Del Toro est toujours un génie et qu’on peut continuer de l’aduler comme il se doit. La mauvaise c’est que son dernier film, Crimson Peak, est un gâchis monumental. Abaissez donc vos boucliers, je vais vous expliquer pourquoi (de préférence sans spoiler).

Orgueil et Préjugés chez les fantômes

Le film s’ouvre sur un gros plan d’une femme qu’on devine être l’héroïne habillée tout de blanc avec une belle entaille sur le visage et les larmes aux yeux, seule dans la neige. La voilà donc en fort mauvaise posture. La voix-off, sa voix, commence et nous explique que les fantômes ça existe et que pour preuve elle va nous montrer un flashback de quand elle en a vu un pour la première fois. Le film s’exécute et… malheureusement l’histoire ne revient pas à elle dans la neige, non : le film est un gigantesque flashback jusqu’à ce moment. Du coup les fameux fantômes, aussi terrifiants soient-ils dans leur design, font l’effet d’un pétard mouillé : ils ne peuvent pas être une menace pour notre héroïne puisqu’il faut qu’elle s’en sorte jusqu’à la première scène… On reprend donc l’histoire de cette jeune fille nommée Edith, étasunienne et fille d’un riche artisan/industriel (on sait pas trop) incarnée par Mia Wasikowska (Alice dans le Tim Burton). Alors qu’elle flirte tranquillement avec le docteur (Charlie Hunnam le héros de Pacific Rim) débarque dans sa vie un mystérieux lord anglais, beau, sombre, charismatique interprété par le beau, le sombre, le charismatique Tom Hiddleston (LOKIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII), absolument parfait dans ce rôle.

Et c’est là que le film dérape pour tomber dans une guimauve grotesque traitée à la va-vite en accumulant les pires clichés du cinéma romantique. Le tout en un quart d’heure environ, autant vous dire que les clichés, on va vous les faire avaler à la louche ! (Bon en fait je m’en veux un peu du titre maintenant, pour un bon mot je mets l’une des œuvres d’amour les plus drôles, les plus subtiles, les plus réussies en parallèle avec ce gloubi-boulga sucré écœurant, c’est pas bien. Vilain Nemarth.) Oui ? Qu’y a t-il ? Je vois qu’il y a une question… Les fantômes ? Comment ça ? Quels fantômes ? Reprenez un peu de guimauve vous là-bas et rendormez-vous.
Je vous passe tout de même plein de passages de l’histoire, j’ai pas envie de tout vous gâcher non plus, toujours est-il qu’Edith finit par arriver dans le lieu central du film, Crimson Peak (peut-être le vrai héros de l’histoire, hein Bolchegeek ?) où va se dérouler la majeure partie de l’intrigue. C’est dans cet endroit que le pire et le meilleur vont se côtoyer comme les deux faces d’une médaille.

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Del Toro, Archange de la mise en scène, Grand Gardien de la photographie, Grand Sénéchal de la réalisation


Je ne vais pas y aller par quatre chemins : l’arrivée à Crimson Peak est une claque dans la gueule puissance mille. Ce manoir hanté, gothique à souhait, est l’un des lieux les plus fabuleux de l’histoire du cinéma. Tout y est, les tours à moitié effondrées au travers desquelles la neige tombe à l’intérieur, les hurlements du vent s’engouffrant dans la maison, les portraits des ancêtres qui semblent nous observer depuis un autre siècle, les escaliers interminables et cette idée géniale de l’avoir mis sur une terre pleine d’argile rouge donnant l’impression qu’il y a du sang qui dégouline partout.

Tout cela peut paraître très classique en le lisant mais il faut le voir de ses propres yeux : un lieu comme ça dans des films, on n’en voit pas tous les jours. Del Toro réinvente le style et se lâche complètement que ce soit sur les couleurs, la mise en scène, les costumes : tout est absolument somptueux. Ou angoissant. Ou poétique. Ou oppressant. Ou triste. Tout dépend d’où est placée la caméra maniée d’une main de maître absolu pour saisir les émotions exactement comme elles doivent apparaître dans un film gothique. Guillermo Del Toro annonce clairement: « Burton, il y a un nouveau shérif en ville. »


Mais hélas, tout s’effondre quand un personnage prend la parole. Encore une fois c’est la foire aux clichés, on voit tout venir à des kilomètres, on n’est jamais surpris par l’intrigue. Les fantômes brillent par leur discrétion, ils n’apparaissent que rarement, le temps d’un ou deux jumpscares. Pour un film dont la toute première phrase est un truc du genre: « Les fantômes existent réellement », c’est plutôt déroutant. Ils ne servent que très peu l’intrigue au final, ces fantômes qui existent pour de vrai. On aurait même presque pu s’en passer…

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Si vous n’avez jamais vu de films dans le style gothique, il se pourrait très bien que cette œuvre devienne à vos yeux culte par son ambiance visuelle incroyable, par une élégance que je n’avais pas vu depuis The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson (dans un style radicalement différent mais avec le même degré de maîtrise) et pour cette leçon de cadrage et de mise en scène. Cependant si vous avez déjà vu plusieurs long-métrages de Tim Burton (et autres films d’angoisse), vous pourrez assister dans Crimson Peak à une insupportable accumulation de clichés usés jusqu’à la corde utilisés avec la subtilité d’un 36 tonnes. Les personnages ne sont que des coquilles vides et vous pourrez aisément réciter un quart d’heure à l’avance leurs lignes de dialogue ainsi que chaque rebondissement de l’histoire. On assiste ici à la même erreur que celle de Gareth Edwards sur son Godzilla : des visuels de fou et une histoire insipide. Un cas d’école, en somme, d’un film trop beau pour son bien.

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