Les Frères Sisters : une belle leçon de cinéma

Oregon, 1850, deux frères, Eli et Charlie Sisters, tueurs à gage portés par leur violence et la poudre qu’ils savent faire parler comme personne, vont se retrouver à courir après un certain Hermann Kermit Warm qui aurait en sa possession quelque chose d’inestimable (Bim t’as vu ? Pas de spoil). Il faut savoir que Les Frères Sisters c’est avant tout une épopée signée du canadien Patrick deWitt, un roman noir mélancolique mais porté par un humour bien plus présent et léger que dans son adaptation. Alors, réussite ou échec ?

Un Western qui n’en est pas un

Adapter un Western sans tomber dans la redite, ce n’est pas si simple. C’est avant tout une période de bouleversements à retranscrire, la naissance d’une nation bâtie sur des idéaux et dans un chaos total, le tout en brassant un melting pot de nationalités qui fusionnèrent en une seule en créant leur propre histoire dans le sang, la boue, et l’innovation débridée. On avait d’ailleurs déjà souligné la difficulté de l’exercice lors de notre chronique de Salvation, un western qui s’en sortait avec les honneurs et qui apportait un vent de fraicheur dans le style. Avec Les Frère Sisters, on sent qu’Audiard en a tout a fait compris l’enjeu et le potentiel narratif, et l’on peut le dire sans s’esquiver : il y arrive avec grand talent (on n’en attendait pas moins de notre Audiard national). Petite anecdote amusante, c’est John C. Reilly qui cherchait un réalisateur européen pour adapter le western sans les clichés éculés du style et donc sans cette vision américano-centrée. Merci à lui, il a choisi le meilleur client. L’idée des Frères Sisters n’est pas d’aller vers le duel tant attendu du film de genre : on tend plus à ranger enfin les flingues à défaut de les sortir pour le feu d’artifice final. Et c’est là tout le propos du film. Il faut en effet évoluer, arrêter de considérer la vie comme une chose vulgaire et sans importance et enfin donner du poids à sa propre destinée, concrétiser un avenir, créer au lieu de détruire. Fini l’âge de déraison, derrière nous l’obscurantisme.

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Une leçon d’humanisme : éduquer et séduire

Cet élan d’humanisme, cette bouffée utopique nait dans la terre fertile de ce Far West remplie de promesses et de possibles et c’est Hermann Kermit Warm qui incarne ce changement. Le chercheur d’or et chimiste est en train de fédérer autour de lui une lueur d’espoir en projetant un avenir radieux, tel un Eldorado rêvé à portée de mains. Accompagné de l’homme qui devait le pourchasser (Jake Gyllenhal, juste et crédible en personnage prêt à accueillir l’impensable, véritable miroir du personnage Charlie), il œuvre pour créer un monde meilleur, un futur où l’humain est au centre et où la vie est sacrée et l’argent n’est plus un moyen ni même un outil : l’argent disparaitrait. Mention spéciale pour Riz Ahmed qui habite son personnage pour une grande performance de second rôle. Mais le talent du bonhomme est-il encore à prouver ? JE VOUS LE DEMANDE !

Un monde fracturé et une fraternelle dichotomie

C’est avec ce parallèle entre les deux duos : les frères et le sillon sanglant qu’ils laissent derrière eux d’un côté, et les chercheurs d’or qui cherchent à établir une bulle d’utopie, que le récit se concrétise. On va suivre les mutations au sein même du tandem de frères. Eli (joué par le solaire Joaquin Phoenix qui nous livre une interprétation viscérale, touchante et puissante sans jamais tomber dans le cabotinage), est un chien fou à la soif de sang inaltérable et guidé par son seul instinct de prédateur, un instinct qui se révèle une carapace protectrice face à ce monde sans merci. Il est une comète et se sait déjà condamné par la vie, imperméable aux changements de la société qui l’entoure. Il incarne le Wild West à lui seul, celui qui est en train petit à petit de s’éclipser face au progrès galopant.

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Eli et Charlie, deux frères dans un monde qui change

Tandis que Charlie, l’ainé campé par un Reilly à la fragilité émouvante, cherche à sortir de cette trajectoire mortifère, et se projette dans un avenir plus lointain qu’il appréhende petit à petit (la découverte et l’acceptation de la brosse à dents, les toilettes… autant de détails scénaristiques qui montrent bien que Charlie est en train de changer avec le monde). Il est la raison quand Eli est la folie, la mesure quand son frère vrille. Il revête le manteau de l’ainé protecteur avec ce frère imprévisible et dangereux… Mais indispensable. Car le monde évolue oui, mais lentement, et Eli est le plus apte des deux à survivre dans ce royaume qui s’écroule. Le droit d’ainesse s’intervertit alors et Charlie se laisse couvrir par les talents sanguinaires de son cadet. C’est aussi là un des fils de pensée du film : qu’est-ce que la fraternité ? Comment les liens familiaux arrivent-ils à résister aux vagues successives et brutales d’un monde en plein bouleversement, comment l’amour fraternel arrive à éviter que la machine Société ne broie le tout ? Et encore une fois, le message est le même : s’adapter ensemble, ou souffrir et mourir.

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Audiard s’empare ici du Western et s’en approprie les codes pour mieux les transgresser, les tordre, les modifier, ou même carrément s’en passer. C’est dans cette terre aux mille promesses, que le réalisateur va porter son message humaniste et mettre à l’écran un double duo, une rencontre inévitable : les frères, des bêtes sauvages guidées par leurs instincts et leur violence qui n’a plus lieu d’être dans un monde qui change ; et les chercheurs d’or qui ont un rêve, celui d’un monde nouveau et utopique. Les Frères Sisters se permet d’être un film de rédemption profond et plaisant avec pour trame de fond le Far West et les mutations d’une Amérique à la frontière du changement. Une vraie belle histoire, intelligente et réfléchie, superbement mise en scène et portée par des acteurs solaires. Vous l’aurez compris : coup de coeur !

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