Red Skin : Adieu Youri, Salut Nounou

Pendant la Guerre Froide, un psychopathe mystérieux surnommé « Le Charpentier » s’est mis en tête de nettoyer les fiers Zétats Zunis de Meurica de la racaille communiste et dépravée, et tant qu’à faire des pédés, des juifs, des négros, tout ça quoi. Il est considéré comme un super-héros par un mouvement réactionnaire et puritain qui le prend en exemple pour ses actions.

L’URSS de Brejnev lance alors une opération de contre-propagande en la personne de Véra Yelnikoff, méga-spetnaz surentraînée de la mort et bombe atomique aux mœurs libérées. Sa mission : s’infiltrer sous couverture chez l’Oncle Sam pour s’imposer comme une super-héroïne rivale du Charpentier, armée de sa faucille, de son marteau et de son costume moulant, sous le pseudonyme de Red Skin.

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Les soviets au pays de Tintin

Forcément, quand on se fait appeler Bolchegeek, un pitch comme ça ne peut qu’attirer votre attention. Le premier tome de Red Skin est sorti le 24 septembre non pas chez Marvel ou la Distinguée Concurrence mais chez Glénat, un éditeur bien de chez nous.

Le projet est en effet écrit par Xavier Dorison, nom qui s’impose mine de rien pas mal dans l’Hexagone puisqu’il est à l’origine de la BD Le Troisième Testament et du scénario du film Les Brigades du Tigre. Il a également écrit Les Sentinelles, dans un genre super-héroïque-steampunk-14-18, en cours d’adaptation au cinéma par Julien Mokrani – spécialiste des courts à gros effets visuels – sous la houlette d’Alexandre Aja – le réal’ frenchie aussi à l’aise à Hollywood qu’un piranha 3D dans l’eau.

Et pour enfoncer le délire super-héroïque, ils n’y sont pas allé avec le dos de la cuillère en recrutant Terry Dodson, ténor du genre passé par à peu près toutes les licences cultes et grand maître de la pin-up plantureuse.

Un combo de choix pour une BD à gros concept et qui lui fait bénéficier de la facture de ces comics un peu iconoclastes sans être underground qui pullulent dans les productions américaines.

Pour la petite anecdote, la coloriste de Mr Dodson est Mme Dodson, une dame douée et pas jalouse

Ici, pas de super-pouvoirs à proprement parler, mais des personnages à la Batman : des justiciers aux compétences absurdes qui tabassent les gens dans des hangars en faisant des sauts périlleux. Mais surtout, on est dans une version moins premier degré des personnages, au sens où s’ils ont le statut de super-héros, c’est parce qu’on le leur donne. La figure est utilisée dans son rôle culturel et ses marqueurs idéologiques : leur boulot est autant de casser des bouches que d’inspirer les foules, d’imposer une image.

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Cette utilisation des icônes dans leur contexte historique et dans ce qu’ils représentent pour nous est assez typique des auteurs français, comme on peut le voir avec des BD comme l’excellente Brigade Chimérique ou Les Sentinelles du même auteur (j’ai d’ailleurs déjà parlé de ce type de parti pris dans mon article sur Captain America).

Il fait bon baiser en Russie 

Soyons honnête, le concept entier repose sur les épaules du personnage central (et croyez-moi, elle peut en porter des trucs sur ses épaules!). On pourrait se poser légitimement la question du sexisme avec ce personnage hyper-sexualisé écrit par des mecs et cette couverture à poil… euh… un poil racoleuse. Mais force est de constater que Véra se pose comme une icône bien plus féministe que nombre de ses consœurs.

Déjà, parce qu’elle est atrocement bad ass et décanille des machos par paquet de 50 façon Buffy. Cette nana, tu la largues en Sibérie avec une culotte pour tout vêtement sans une brosse à dents et demain après-midi tu la vois débarquer au bord de ta piscine avec un sourire jusqu’aux oreilles et les poches bourrées de tickets de rationnement. D’ailleurs, elle n’en a rien à foutre d’être une super-héroïne : elle c’est une vraie de vraie qui libère des otages en Afghanistan.

Mais surtout, c’est une putain de femme libérée puissance 2000. Alors certes le côté légèrement coquin – surtout sous la plume de Dodson – appâtera le reluqueur de pin-up (que j’assume être, perso, hein, et alors ?) mais son hyper-sexualisation est aussi dû au fait qu’elle assume bien haut sa sexualité. Car Véra est une Tsar Bomba – certes – mais libérée, voir légèrement partouzarde, qui compte bien coucher avec qui elle veut quand elle veut (et non pas avec tout le monde, comme elle le fait clairement savoir à plusieurs moments). D’ailleurs, entre deux missions spéciales de l’infini, elle n’aime que roupiller, voir ses potes, picoler, fumer et baiser.

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Et c’est là qu’on en vient à un parti pris assez surprenant.

Certes Véra n’en a rien à carrer du rêve américain et est allergique aux sirènes du capitalisme, mais son combat arbore principalement un fort accent libertaire. Le Charpentier est un bouffeur de bolchéviques mais il s’en prend essentiellement à des homos, des pornographes, des femmes qui assument leur sexualité… Bref, tout ce qu’il considère comme de la dépravation dans sa vision fanatique et puritaine. Ainsi, Red Skin n’est pas tant envoyée prôner la rude idéologie du fier soviétisme qui casse des cailloux, que des idées progressistes au niveau des mœurs… ce qui est assez étonnant, tant historiquement l’URSS de Brejnev n’était pas tellement un repère de hippies ouverts sur ces questions. Et pourtant, ils veulent que les américains pensent « flower power » (je cite les apparatchiks!).

Bon d’accord, c’est pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’anti-communistes primaires – et on sent déjà que l’histoire va aller vers quelques conflits entre Véra et sa Mère Patrie – mais même là, c’est pour éviter un réchauffement de la Guerre Froide. Sacrés pacifistes ces soviétiques quand même !

En fait, il est clair que cet aspect idéologique central fait le choix du jouissif et du schématique. Comme le dit Véra : « Je suis là pour casser du facho et j’adore ça. » Je ne vais pas ni bouder mon énorme plaisir à la lecture de ce défouloir, ni vous mentir : si vous avez des sympathies bleu marine et que vous lisez Valeurs Actuelles, cette BD n’est pas pour vous.

Red is not Dead

Un gros concept donc, totalement bourrin, voir portenawak, mais pas torché à la truelle.

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Là où beaucoup d’œuvres de ce type se dispersent assez vite à partir de leur pitch original (Kick Ass, par exemple, a beau être une excellente BD, elle quitte vite le principe de l’ado jouant au vigilante pour partir dans tous les sens et la surenchère), Red Skin se tient avec discipline à son idée de base.

L’histoire avance vite et sur ses rails. L’exposition est claire et les événements rythmés, drôles et sexy, sans multiplier les enjeux annexes. Les dessins de Dodson sont au top, ce qui ne surprendra pas les amateurs de son boulot : spécialiste du l’action comic-book, des belles pépés en pose iconique avec sourire craquant, il était l’homme pour ce job. La BD n’est pas non plus avare en action en enchaînant les tabassages en règle de fachos façon Batman contre la Manif Pour Tous – et avec un plaisir aussi non dissimulé que communicatif.

L’histoire avance même presque trop vite et en trop bonne élève, donnant l’impression qu’ils auront fait le tour de leur sujet au bout de deux ou trois tomes (ce sera peut-être d’ailleurs le cas). On peut tout de même regretter que certains éléments soient traités par-dessus la jambe, notamment l’impact idéologique dans l’opinion publique, dont on n’a que de vagues échos. On aimerait peut-être voir à l’avenir quelques débats échaudés ou des explications sur comment une super-héroïne arborant les symboles d’une nation ennemie peut vraiment soulever l’opinion dans l’Amérique de la Guerre Froide.

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Red Skin est une histoire de super-héros politique qui prend le parti (le Parti, même) du divertissement décomplexé. D’une excellente facture à tout niveau, la BD a du fond même s’il est frontal, une manière de réfléchir… en posant le cerveau. En tout cas, moi je suivrais cette excellente surprise !

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