Twin Peaks : une série culte presque fantastique

Twin Peaks a deux particularités pour une série sortie en 1990. Tout d’abord elle est réalisée par un nom très connu du cinéma, à savoir David Lynch. De plus, elle fait partie des séries qui apparaissent régulièrement en tête des classements, et fait souvent figure d’exception car elle est de loin la plus vieille des séries citées comme étant les meilleures. De plus vieilles séries peuvent apparaître, dont l’attrait est souvent accentué par la nostalgie de l’époque où elles étaient diffusées ; mais souvent quand on les regarde on est un peu déçu, on découvre des codes d’un autre temps, une qualité scénaristique parfois approximative et loin du niveau du cinéma produit au même moment. Bref, ça a mal vieilli, et on ne sent pas l’excitation qui pousse à la surconsommation comme savent si bien le faire les productions contemporaines. Est-ce le cas de Twin Peaks ? Enquête.

 Le synthé c’est sûr, ça vieillit mal. Mais quel pays !

Du nouveau dans le Nord-Ouest profond

Ce type est parfait. C’est très agaçant.

Twin Peaks se déroule dans une petite ville du Nord-Ouest des États-Unis, à un trajet de bagnole de Kurt Cobain et du Canada. C’est tout près de là que Rambo a croisé un sheriff fort désagréable… Heureusement celui de Twin Peaks est un mec bien qui veille sur une ville paisible, dans un cadre sauvage et enchanteur, etc, etc. Le décor est planté.

Et puis un jour, la jeune Laura Palmer est retrouvée roulée dans une bâche flottant dans la rivière… Évidemment, le FBI s’en mêle, en la personne de Paul Atreides, enfin je veux dire, le Capitaine. Bref, l’agent trèèèès spécial Dale Cooper rapplique. Très spécial parce que malgré un talent certain pour son boulot, il n’est pas tout seul dans sa tête et a tendance à invoquer la puissance de l’inconscient et des méthodes fort peu scientifiques pour résoudre les cas.

L’enquête et la vie suivent leurs cours. Les parents de la victime pètent salement les plombs, et il s’avère rapidement que cette dernière était loin d’être une lycéenne modèle. (Comme un air de déjà vu non ?) Pendant ce temps en ville, ça couche, ça complote, comme dans un « bon » soap opera quoi.

C’est là que réside une des premières particularités de Twin Peaks : ses créateurs l’ont bel et bien imaginé comme un soap opera « à leur manière ». Selon les aveux de David Lynch, le meurtre de Laura n’est qu’un alibi, un « McGuffin » pour reprendre le terme hitchcockien. Le but réel était de montrer une petite ville américaine avec ses personnages phares, ses lieux incontournables (café, hôtel, bar…), et ses complots et magouilles (amours interdits, héritages, petites frappes qui dealent…). Pour autant si on n’est pas prévenu, ça pourrait presque passer inaperçu pour nous autres spectateurs européens du XXIème siècle. Au plus, on trouvera une ficelle un peu grosse ou un comportement un peu caricatural, mais quand on multiplie les intrigues, rien d’étonnant à ce qu’il y en ait une parfois un peu bancale. Sauf qu’en fait tout ça est volontaire !

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Et un lama.

Dans son style très personnel, Lynch s’amuse avec les codes, fait surjouer telle ou telle réplique (comme le devenu célèbre « c’est une sacrément bonne tasse de café ! »), glisse des éléments surréalistes, et finalement questionne le principe même de la série, et de la « réalité » qu’elle est supposée présenter. A l’écran, chaque personnage n’est qu’un personnage, et Lynch et Frost (le coscénariste, l’écriture de la série est un vrai partenariat entre les deux) jouent, on les entend presque nous dire « regardez, si je veux je peux lui faire faire ça ! Et je vais mettre une troupe de danseurs à l’arrière-plan de cette scène, parce que je peux ! »

Cette douce ambiance surréaliste est au cœur de la série et c’est ce qui a si fortement marqué le public américain, peu habitué à ce genre de fantaisies dans un créneau grand public. Puis après la diffusion de la scène de rêve du troisième épisode, qui comporte un nain qui parle à l’envers et danse, et une vision de la victime, la frénésie a atteint son comble, et l’identité du meurtrier est devenue l’objet de bien des spéculations de machine à café. Si l’Internet avait eu l’importance qu’il a aujourd’hui, on peut supposer que l’effet aurait été décuplé. On pourrait mettre cette série en parallèle avec Lost sur bien des aspects : mystère, surnaturel, indices nombreux qui ne font que rajouter à la confusion… et fin tristement ouverte. Mais ne sautons pas les étapes.

La Red Room, the place to be

Faut-il regarder Twin Peaks ?

Si on place la télévision au même niveau que le cinéma, il est bien normal de vouloir se jeter sur Twin Peaks. Peu de séries TV auront eu un tel impact et créé un tel culte. Pour des films au moins aussi vieux, voire bien plus, on ne se pose pas la question de savoir s’ils ont vieilli, puisqu’ils sont inscrits dans le contexte d’une époque. Qu’importent les synthés ringards, les coiffures horribles, certains comportements rétrogrades, un bon film se regarde toujours, même à travers le filtre du temps écoulé.

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Pour autant, attention. Malgré le fait nouveau pour l’époque que ce soit un cinéaste qui s’y soit attelé, Twin Peaks obéit également à des codes télévisuels qu’on n’a plus l’habitude de voir. C’est aussi pour cela que le côté soap parodique peut laisser perplexe, et le rythme n’est pas toujours au rendez-vous. Défaut qu’on peut encore rencontrer dans des productions actuelles, mais à l’aune duquel on mesure le chemin parcouru depuis. Cependant, la sauce prend, car l’ambiance est là, et les personnages ont leurs attraits ; surtout l’agent Cooper, qui crève l’écran, mais également Audrey Horne, dont le personnage poursuivra son interprète Sherilyn Fenn pendant des années.

La poupée qui dit non.

On en arrive au côté le plus fâcheux de la série, universellement reconnu, qui est la faiblesse de la dernière demi-saison. Comme souvent, des craintes de la chaîne par rapport aux taux d’audiences ayant conduit à des pressions sur les réalisateurs, le meurtrier est révélé au milieu de la deuxième saison, dans le but de relancer l’intérêt… Une fois fait, voire déjà un peu avant, la qualité s’est mise à sérieusement flancher. Avec à la clé un nouveau méchant sans charisme ni cohérence dans la personnalité ou le comportement (le bon vieux « il est méchant parce qu’il est méchant »), des arcs scénaristiques tournant à vide, et surtout du surnaturel à la pelle alors que jusque là, et c’est un point qui me tient à cœur, tout pouvait être interprété d’un point de vue « fantastique », au sens littéraire du terme.

En effet, dans la première partie de la série, tout ce à quoi on assiste qui sort véritablement de l’ordinaire n’est à chaque fois vu que par une seule personne. Si on s’en tient à la tonalité générale de la série, et au comportement parfois étrange de la majorité des personnages, on peut s’imaginer qu’en réalité, ils sont tous un peu fous, et que rien de ce qui semble surnaturel ne l’est réellement. Pour rester dans l’esprit de l’époque, il n’est pas difficile de faire sa Scully, pour en arriver à une conclusion que je trouve pour ma part assez satisfaisante. L’épisode de la révélation se suffit à lui-même en tant que final, et les interrogations qu’il soulève pourraient facilement être balayées d’un « arrêtez de délirer, les gars ». La forte suggestion du surnaturel mais sans preuve définitive est l’essence même de ce genre littéraire qu’on ne rencontre plus guère une fois sorti du lycée, et je me suis pris à espérer que cette ambigüité resterait en l’état. Autant dire que j’ai été doublement déçu par la suite, d’autant plus que les effets spéciaux sont quand même très low cost, et que finalement cette intrusion du merveilleux (révisez vos cours de troisième !) ne répond qu’à une seule question et en pose des tas de nouvelles, auxquelles Lynch et Frost n’avaient clairement pas l’intention de répondre.

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Si on cherche à se faire une culture télévisuelle complète, Twin Peaks est un classique incontournable. Ambiance, mystère, personnages, et visuels, on est vraiment pris au jeu pendant les seize premiers épisodes, qui je le répète peuvent être considérés comme un tout cohérent. Puis, ça se gâte. Faut-il tout jeter pour autant ? Bien sûr que non, mais on n’attendra pas trop de la fin, ni du film qui part d’une idée intéressante, montrer la vraie Laura Palmer bien vivante dans les jours qui précèdent sa funeste destinée, et l’étire et l’enrobe de délires mystiques jusqu’à l’écœurement.

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N’oublions pas une autre bonne raison de regarder cette série, c’est que la suite arrive ! Et oui, une nouvelle saison avec Lynch et Frost aux manettes et une bonne partie des acteurs originaux va voir le jour, et est attendue en 2017. Il n’est pas sûr qu’il y aura beaucoup de réponses apportées, mais il serait quand même dommage de ne pas connaître les questions…

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