2019, l’année des bons crus de films d’épouvante

D’aucuns déplorent la qualité déliquescente des productions cinématographiques, quelques 120 ans après l’invention dudit art. Force est de constater, sinon son déclin, tout du moins une certaine monotonie chez les genres aussi codifiés que la romance, l’action, ou l’épouvante. Cette dernière, censément subversive et dérangeante, serait peut-être devenue paradoxalement la plus normée d’entre tous, n’échappant pas même à la mode des remakes et autres licences exsangues. Quoi de plus tragique que l’absence d’émotions face à l’un des arts les plus expressifs et figuratifs qui soient ? Si notre surexposition aux contenus artistiques a sans doute accru nos exigences, voire provoqué une forme d’accoutumance (dans le pire des cas), elle n’a pas pour autant compromis toute opportunité de frissonner et de voyager. Et, en la matière, l’année qui s’achève fit (Anouar el-Sa)date. 

Midsommar, l’horreur boréale 

Second film du cotonneux Aster (vous l’avez ?), déjà auteur d’un court métrage sur le viol filial (oui oui, commis par un fils sur son père, ce genre de choses), Midsommar succédait au prometteur et salué Hereditary. Alors que les thèmes hantant son début de carrière, pour le moins tabous et repoussants, ont de quoi en bouleverser plus d’un, Aster annonça le petit dernier comme un film… de rupture sentimentale. En effet, l’héroïne du film, jeune femme américaine orpheline depuis peu, fait l’expérience d’une solitude croissante. Son conjoint, préoccupé par son projet de thèse, semble démuni voire indifférent face au vague-à-l’âme de sa moitié. En désespoir de cause, il accepte de convier celle-ci à un festival suédois célébrant le solstice d’été, parmi une communauté isolée… Une famille de substitution rêvée pour l’endeuillée.

On ne dirait pas, comme ça, hein ?

Les bandes-annonce laissaient entrevoir un folk-thriller façon The Wicker Man (premier du nom, et non la bouse memeisée où Nicolas Cage distribue les tatanes grimé en ours brun). Une imagerie païenne et chamarrée était convoquée sous un soleil éclatant, sans l’ombre d’un plan nocturne. Midsommar se situe pourtant dans des territoires plus incongrus encore. Sa démarche très expérimentale vaut avant tout pour l’ambiance développée : ouatée, lente, troublée par quelques menus détails échappant aux personnages eux-mêmes, en proie aux hallucinations. Seuls de rarissimes explosions de violence, d’autant plus inattendues que certaines (mais pas toutes) sont suggérées, contrastent brutalement avec les émotions jusque-là élaborées.

L’horreur, lorsqu’elle est montrée, l’est crûment, sans fard aucun. Pour autant, comme nous l’avons vu, Midsommar ne saurait être assimilé à un projet documentaire. Bien au contraire, le spectateur, happé par la communauté, est entraîné dans la plongée hallucinatoire des personnages. Outre les musiques minimalistes et répétitives, à mi-chemin entre Philip Glass et Wardruna, Aster emploie quelques procédés sobres mais efficaces : filtres lumineux, distorsions de certains éléments périphériques (visages difformes, dilatation des corolles de fleurs, comme si les végétaux respiraient…). À aucun moment le sens des symboles utilisés, pas plus que l’histoire ou le fonctionnement de la communauté, ne sont véritablement exposés. Et pourtant, son imaginaire et ses pratiques sont constamment présents à l’écran, rythmant les séquences de manière répétitive, presque prévisible. Ce qui se joue est donc moins le rejet de la secte, en ce qu’elle a de monstrueux, mais davantage notre consentement à y entrer, s’y réfugier, par dégoût des « héros » qui lui sont extérieurs, tous plus individualistes et médiocres les uns que les autres.

The Lighthouse : Poulpe Fiction 

Que ceux qui n’ont jamais pêché me jettent la première pierre

Là encore, The Lighthouse constitue un second métrage, celui de Robert Eggers, déjà auteur du salué VVitch en 2015. En interview, le réalisateur résumait ainsi son nouveau scénario : « Que se passe-t-il lorsque deux hommes se retrouvent enfermés dans un symbole phallique géant ? » Vous l’aurez compris (ou peut-être pas, si vous n’avez pas suivi en anglais au collège, cancre), The Lighthouse relate l’histoire de deux gardiens de phare, isolés sur un îlot rocheux. Que l’on pense à Godot ou au désert des Tatares, le film raconte à son tour l’attente d’une relève promise qui ne vient pourtant pas. S’ensuit, bien évidemment, une dilatation temporelle, une perte de repères et un rapport biaisé avec la réalité… charriant leur lot de soupçons, de haines mesquines quotidiennement alimentées, de refoulements, et pour finir de violence extrême. Autant de glissements aussi progressifs qu’inexorables, sur fond d’horizons brumeux, de sirènes tentatrices, de déferlantes infernales et de pets de Willem Dafoe. Tout un programme, dont le dernier élément n’est pas le moins cauchemardesque. 

Là encore, l’intérêt du film se trouve moins dans la richesse de son intrigue que dans sa longue montée en puissance, débouchant sur un dénouement à la fois ouvert et traumatisant. Hitchcockien, The Lighthouse est un huis-clos théâtral, interprété par deux monstres sacrés campant deux insondables menteurs. L’un, mutique, semble fuir ses crimes passés par pur opportunisme ; l’autre, hâbleur revenu de tout se piquant de poésie, se joue des dates, des rôles, et alimente une inquiétante superstition… Deux trajectoires obscures, deux trognes abominables remplissant l’écran comme leur phare maudit à l’expressionnisme surannée. La musique, bruitiste et dissonante, emploie des sons évoquant aussi bien les sirènes des phares que les gémissements des grands cétacés. Une OST absolument terrifiante pour quiconque,  l’instar de votre serviteur, a la trouille bleue des abysses. Ajoutez à cela quelques tirades shakespeariennes, dansant toujours sur le fil ténu du délibérément grotesque ou de l’outrance édifiante : imprécations, malédictions, superstitions… Tout est bon à Eggers pour faire prendre vie à ses vieux récits de marin hanté. Précisons enfin les inspirations multiples à l’origine du projet : un poème inachevé de Poe, les écrits de Melville et de Stevenson, ainsi qu’un authentique fait divers survenu au Smalls Lighthouse (Pays-de-Galle) au XIXe siècle. Autant d’éléments qui laissent en suspens l’interprétation du spectateur, jusqu’à l’ultime et abominable plan qui clôt le film. 

Si l’on s’affligera à juste titre des tombereaux de bouses convenues dont nos écrans abondent, ne sonnons pas le glas de la créativité pour autant. Même le film d’épouvante contemporain semble receler des pépites nouvelles à l’audace inespérée, d’autant plus enthousiasmantes qu’elles sont le fait de jeunes cinéastes faisant ici leurs premières armes. Midsommar et The Lighthouse donc, à voir, à découvrir, et à déguster comme un bon vin !

Fly

Créature hybride issue d'un croisement entre le limougeaud et le normand, le Flyus Vulgaris hante les contrées du Sud-Ouest. Son terrain de chasse privilégié étant les poubelles, celui-ci se délecte de musique progressive, de livres d'histoire ennuyeux et de nanards des années 90. Dans sa grande mansuétude, la confrérie du Cri du Troll l'admit en son cercle, mettant sa bouffonnerie au service d'une noble cause. Devenu vicaire du Geek, il n'en fait pas moins toujours les poubelles.