Le Roy des Ribauds, intrigues et coups de couteaux

Après l’excellent Block 109 Brugeas et Toulhoat sont de retour dans une Bande dessinée qui nous invite à une plongée dans l’Histoire, et plus particulièrement dans celle riche en châteaux fort, en chevaliers et en margoulins de toutes espèce, c’est à dire le Moyen Âge. S’il est une des périodes historiques les plus chargées de représentations dans l’imaginaire collectif c’est bien celle-là. Ces représentations peinent à se diversifier malgré les progrès de l’Histoire. Souvent c’est le temps de l’obscurantisme bigot et de la violence armée débridée, sans grande nuance avec pour symboles l’épée, le loup, la peste, l’Inquisition… C’est un sombre tableau livré par la Renaissance ; on ne passe pas outre cinq siècles d’habitudes de pensée rapidement, d’autant que tant d’âpreté et de fléaux font de très bonnes histoires. On préfère évidemment suivre les malheurs des Cathares cramés sur les bûchers de la France méridionale ou les affres terribles de la Guerre de Cent Ans, que se pencher sur les innovations économiques et sociales apparues au Moyen Âge et qui structurent encore notre société… sans parler des découvertes techniques. Avec la BD dont nous allons parler, nous restons essentiellement dans ce canevas connu, mais habilement remis au goût du jour.


Les éditions Akileos ont  même réalisé une bande annonce !

Adapter l’Histoire

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Maurice Druon, cigare style

Mais précisons d’emblée, les auteurs ne se sont pas lancés dans l’aventure avec leurs seuls souvenirs scolaires. Leur idée provient, comme souvent, de Maurice Druon et de ses Rois Maudits, et plus particulièrement de la découverte de ces roys des ribauds dans l’oeuvre de ce dernier, individus réels mais en marge de la grande Histoire, et faisant naguère la loi dans les bas-fonds de la capitale. Intrigué, Vincent Brugeas, le scénariste, s’est penché sur ces hommes de l’ombre et a décidé de placer son œuvre à leur origine, sous le règne d’un roi méconnu mais ô combien important pour la genèse de notre pays, Philippe Auguste. S’il a coulé son propos dans les méandres de l’Histoire il n’a néanmoins pas décidé de faire un reportage illustré sur la France médiévale. Il se drape alors dans cet oriflamme de la liberté scénaristique vis à vis de l’Histoire, la célèbre phrase de Dumas : « Il est permis de violer l’Histoire, à condition de lui faire un bel enfant ». Il est certain que cela sonne souvent comme une marotte permettant de tout justifier, mais pour le coup, le travail consenti sur la transcription du Paris de la fin du XIIe siècle est suffisamment convaincant pour faire admettre un tel préambule à la création.

 

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Posons les vraies questions ma bonne dame

Arrêtons-nous quelques secondes sur cette épineuse question qu’est la reconstitution du passé parce qu’elle est fort importante. Pour simplifier disons qu’on peut travailler selon trois niveaux d’exigences, depuis la reconstitution la plus scrupuleusement historique, jusqu’aux plus grossiers ersatz bourrés de clichés, en passant par l’évocation. Souvent le fait d’historiens de formation ou de passionnés, membres d’association de reconstitution historique, le premier niveau demande un investissement de tous les instants et une recherche documentaire considérable pour malgré tout n’arriver qu’à un résultat probable tant les manques dans la documentation plombent nos certitudes.

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Les ruelles, les effets de lumière, l’ambiance, la construction… cette planche matérialise bien la réussite visuelle de l’oeuvre

Le défaut de ces recherches poussées, pour ce qui est de la composition de récits, est qu’ils manquent de contrastes violents, mettent en avant des détails qui n’évoquent rien ou si peu au non initié, ce qui peut conduire à dépenser beaucoup d’énergie et de temps dans des précisions qui ne seront même pas remarquées, si ce n’est par quelques spécialistes. Plus souvent donc les auteurs choisissent l’évocation du passé ; ils travaillent, font des recherches, (selon différents degrés) puis arrangent l’Histoire aux besoins de leur œuvre, afin de la rendre plus pittoresque, colorée, évocatrice, rythmée… Là aussi il y a à boire et à manger et les bouses cosmiques peuvent aussi naître dans les meilleures intentions du monde… Le reste, les histoires bourrées de clichés, qu’en dire… ? Elles se contentent d’empiler les lieux-communs en comptant sur l’ignorance supposée du publique pour vendre. Je crois que cela suffit à les définir.

On te pose les gonades sur la table

Tout cela pour dire que Le Roy des Ribauds réussit, par la recherche d’informations et par le sens du récit, à construire une histoire à la fois crédible et tout à fait immersive. Il s’agit d’une plongée dans l’univers retors des coulisses de la politique, dans les intrigues des puissants qui se livrent de véritables luttes d’influences qui s’ajoutent aux événements plus visibles comme les guerres ou les grandes cérémonies officielles.

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le Triste Sire

Nous suivons donc le Triste Sire, cet homme de l’ombre dans une aventure qui commence très vite, la présentation des personnages à peine esquissées. On en apprendra plus dans la suite de l’histoire, mais le scénario n’a pas été forgé pour faire dans le procédurier (je n’insiste pas sur l’intrigue pour ne pas en gâcher la découverte, ça serait vraiment dommage). Il nous immerge de suite dans l’existence du héros et de ses fidèles, dans les bas-fonds de Paris. Très vite donc, un affront précipite l’intrigue et bouleverse la position de notre héros. Les premières pages ont suffi à nous montrer dans quel acier étaient forgés le bonhomme et ses sbires. Ils en ont vu d’autres et on ressent combien leurs histoires personnelles sont chargées. Leurs adversaires ne sont pas moins redoutables, depuis l’espèce d’ogre énorme jusqu’à la maîtresse en intrigue. On a affaire à une belle galerie de personnalités très charismatiques. Cela fait un peu penser à des œuvres bien contemporaines comme Le trône de fer, popularisée par la série, dans laquelle on retrouve beaucoup de l’atmosphère de cette bande-dessinée. Influence ? Pas nécessairement, on pourrait plus justement y voir une conséquence de «l’ère du temps», une sorte d’ambiance dans laquelle se tissent beaucoup de scénarios actuellement. La raison en est difficile à tracer, depuis les besoins cathartiques de sociétés enfermées dans une routine prévisible ou le désenchantement face au réel, jusqu’au résultat d’un crescendo dans la noirceur qui finit par trouver une consécration dans son esthétique… Le fait est que c’est très actuel, pas loin des ficelles connues du genre avec sexe, sang et violence.

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Et on est seulement dans les premières pages

La puissance du dessin

Mais attention, résumer l’œuvre à ces seuls éléments serait une erreur. La force de la bande-dessinée est dans l’efficacité du déroulé de l’histoire, mêlée à une excellente qualité du dessin. En effet, il ne m’a pas fallu plus d’un coup d’œil pour être happé par cet encrage nerveux, ces ombres profondes, ces contrastes violents. Beaucoup de cases ont une composition vraiment superbe, comme celle de la page 89… magistral. La colorisation numérique est de bonne facture avec peu de couleurs employées dans chaque case, le but étant de créer une vraie atmosphère dans chaque scène en fonction du lieu, depuis les bleus-gris métalliques des rues parisiennes sous la pluie jusqu’aux réunions secrètes au coin du feu dans le chatoiement des orangés et des bruns.

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Gamme de couleurs simple mais suggestive pour cette vue du Paris médiéval

C’est beau, c’est efficace, ça facilite encore l’immersion. On ressent une possible influence de la bande-dessinée américaine, surtout dans le traitement du mouvement et de l’intensité du découpage. Ces aspects visuels sont très importants pour soutenir l’attention dans la lecture. Avec Le Roy des Ribauds sur les genoux, j’avoue ne pas avoir vu le temps passer. J’ai englouti d’une traite les 156 pages avec une agréable sensation d’avoir passé un très bon moment. L’ouvrage est de belle facture, relié en plus et avec une couverture à tomber par terre. Non, vraiment, ils ont pigé comment il fallait les composer pour attirer l’œil. J’en ai été la première victime, consentante évidemment, et comment ne pas être complice de la tentation face à une composition si bien bâtie ? Toute en sobriété, elle fonctionne tellement mieux que celle qui veulent trop en faire en étant trop foisonnante.

Faire vivre un roi

Revenons maintenant sur quelques considérations de l’évocation de l’époque (oui, j’y tiens). Le cadre urbain est bien restitué avec les ruelles étroites sous les encorbellements, sans trop en faire sur leur aspect sordide et sale, dont on nous a un peu trop souvent abreuvé. Les intérieurs austères des demeures des Princes sont aussi bien traité, même si ça manque d’un peu de tenture aux murs.

roy des ribauds08J’ai surtout été fasciné par la représentation de Philippe Auguste, personnage jeune mais prématurément usé par son règne et qui traîne sa silhouette impérieuse et fatiguée, cherchant à faire rayonner sa majesté royale tout en masquant ses mortelles inquiétudes. Un vrai souci de l’image en politique qui ne déplairait pas à nos directeurs de communication moderne mais dont la fonction est vieille comme la politique… Ce traitement du roi rejoint en tout cas très bien la personnalité du personnage historique, intelligent, adroit politique à défaut d’être un chef de guerre, qui su patiemment abattre la puissance gigantesque des Plantagenet, grande famille d’Anjou qui par stratégie matrimoniale, héritage et guerre, réussit à rassembler un « empire » allant de la frontière de l’Écosse aux Pyrénées. Ces vassaux inquiétants, car plus puissant que lui, le Capétien les déchira de l’intérieur en jouant des rancœurs familiales et bien qu’il ne fut pas au départ le plus fort il parvint à en triompher. Laissons le héros, le Triste Sire, en dire davantage : «Notre roi est le plus habile des hommes» (p. 107). Cela résume tout, mais serait incomplet sans les cases qui focalisent l’attention sur le regard meurtri du souverain et qui sont lourdes de signification.

Pour ce genre d’idées, je valide les libertés avec la grande Histoire parce qu’elles la soulignent intelligemment plutôt que de la plier méchamment pour la faire loger dans un cadre trop étriquée pour elle.

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Ce regard…

Un autre point : la diffusion des armoiries était encore en train de se produire à l’époque. Le fait que les auteurs aient choisi de les faire complètement adoptées par les protagonistes du récit n’est pas une mauvaise chose. Bien qu’ils aient anticipé de quelques décennies sur l’Histoire, c’est un référent visuel tellement important pour les lecteurs, qu’il aurait été sans doute dommage de ne pas les employer, surtout pour la célèbre livrée royale, le semé de lys d’or sur fond d’azur que l’on associe immédiatement aux rois de France. Et puis ce bon vieux pittoresque qu’on marie si intimement au Moyen Âge se trouve parfaitement résumé à la page 84, sur une enseigne de taverne nommée « Au chien galeux ». Mais comme au Cri du Troll nous sommes Limougeaux on a connu pire avec l’auberge « La crotte de poule ».

Verdict

Couv_235151Le Roy des Ribauds est vraiment une belle découverte. Tous les amateurs d’intrigues « policières » menées durant les périodes historiques peuvent s’y lancer s’ils ne sont pas allergiques à ce style badass très actuel. Personnellement je suis très sensible à ces atmosphères sombres et violentes et  aux personnages charismatiques. C’est en plus une œuvre qui souligne l’Histoire d’une belle façon en invitant tout le monde à découvrir une période, un roi, une ville à une époque reculée mais tellement fascinante. Ce n’était là que le premier tome, l’aventure se poursuit et maintenant, le plus dur, est de patienter pour connaître la suite.

En bonus :

Notre intervention télim pour la chronique des trolls spéciale Bad Ass, avec le Roy des Ribauds !

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

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