Devil all the time, un film noir comme la suie

Il y a peu de temps sortait sur Netflix un film qui collait bien à l’atmosphère de cette fin 2020, aussi grise, opaque et désespérante qu’une nuit sans lune en plein hiver : Devil All The Time (Le diable, tout le temps dans la langue de Jean-Baptiste Poquelin).

Devil All The Time est une adaptation du livre éponyme de Donald Ray Pollock – auteur qui s’est révélé sur le tard après plus de trente piges à bosser dans une usine (la vie, parfois…) – et qui a attiré la chère Mela et votre serviteur, Lazylumps, comme deux mouches sur un pot de miel, sevrés de bons films et de nouveautés qu’ils étaient…. D’autant qu’à la vue du casting prestigieux, il était impossible de passer à côté, jugez plutôt : Tom Holland, (ce bon vieux Spiderman), Bill Skarsgard (le clown de Ça), Mia Wasikowska (Alice au pays des merveilles) Robert Pattinson (je dois vous le présenter ?) et tant d’autres. Notez aussi que l’on aurait même dû avoir Chris Evans (Captain America fuck yeah), mais le bougre a dû être remplacé au pied levé par Sebastian Stan (Gossip Girl, mais aussi le fameux Winter Soldier) qui s’est avéré finalement tout aussi qualifié pour le job.

Et de quoi donc que ça parle vous vous demandez ? Eh ben déjà si vous aviez regardé la bande-annonce un peu plus haut vous sauriez… Mais j’vais vous la faire courte : ça parle d’un sacré foutu manque de pot, de destins brisés, et de salopards.

Bref, intrigué ?

Alors laissez-nous vous convaincre.

Spiderman au pays des consanguins

Devil All The Time est un conte cruel à la morale fracassée qui plaira aux friands de roman noir…
Mais noir, noir.

Le film commence en 1950 et court jusqu’au début des années 1970. Porté par une voix off ténébreuse, il va nous faire suivre les trajectoires de plusieurs personnages aux mœurs et à la morale discutables tous interconnectés dans l’espace et le temps d’une façon où d’une autre, que ce soit par la vie, l’amour, la haine, la foi, le vice, le sang… Le tout avec pour toile de fond des régions reculées des States (L’Ohio, la Virginie), qui semble comme figée depuis des décennies dans sa crasse, dans sa rudesse et son obscurantisme.

La région du Diable. Là où les hommes sont à l’abri du regard de Dieu.

Mais Devil All The Time c’est avant tout l’histoire d’Arvin Russel, jeune orphelin traumatisé qui évolue dans ce monde de violence et de lâchetés en faisant du mieux qu’il peut pour rester droit malgré la vie qui le tord en tous les sens. Ici la loi des hommes est viciée et les valeurs ne sont plus que des mirages souillés. Les humains s’avilissent et se délectent de leur propre noirceur tandis que lui tente de toutes ses forces de rester intègre. D’abord en grandissant sans parents… puis en chérissant de toutes ses forces sa petite sœur. Jusqu’au point de non-retour qui le fera basculer. Je n’en dirai pas plus, car il me faudrait spoiler les tenants et les aboutissants de cette quête initiatique au pays des cinglés.

Avec ses paysages apocalyptiques, cette terre humide, marécageuse où la boue aspire les hommes jusqu’à leur tombe, bien aidée par le poids d’un ciel gris dénué de toute présence divine, Devil All The Time plonge le spectateur dans une noirceur poisseuse qui envahit par tous les pores de la peau. Je me suis senti sale en regardant Devil All The Time, à patauger avec les personnages et à les regarder s’enfoncer toujours plus loin dans l’horreur… Je me suis pris à les détester pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font, ou ne font pas, ces fracassés de la vie, et puis j’ai eu de la compassion, immense, pour ce petit Arvin qui se débat pour sortir de la nuit.

Ils semblent tout droit sortis d’un roman de Cornac Mac Carty : loosers, ces abandonnés de la société, ces laissés-pour-compte abrutis par leur condition. Comme chez Mac Carty, il y en a peu qui cherchent à s’en sortir, qui cherchent la droiture… et puis il y a les autres, majoritaires. « Il y a beaucoup de salopards là-dehors » répétera le père d’Arvin à ce dernier en guise de mantra. Et ce ne saurait être plus juste : ici-bas, les hommes se repaissent de leurs failles jusqu’à épouser les ombres et diluer leurs âme dans la crasse, délaissant Arvin, seule lumière dans les ténèbres.

Alors que dire du film ? Tout d’abord, Devil All The Time est beau. Il est bien réalisé, joliment mis en scène avec de gros parallèles de style et d’ambiance avec la saison 1 de True Detective. Antonio Campos, le réal, a un style sans fioritures, sans folie, mais qui est tout à fait adéquat avec le propos porté : on est immergé dans ce pays poisseux.

Et puis surtout Devil All The Time est divinement joué (mention spéciale à Pattinson et Holland qui sont immenses) les acteurs parvenant à emmener le spectateur avec eux, dans leur enfer.

Enfin pour conclure, Devil All The Time est définitivement un bon film, de ceux qui vous prennent aux tripes et ne vous lâchent pas, porté par un scénario cruel et noir comme la suie. J’ajouterai cependant qu’il doit être un bouquin encore meilleur, tant le côté viscéral de l’histoire doit rentrer dans votre tête en lisant les mots de Pollock.
C’est donc validé pour ma part !

 

Bon, maintenant que Lazylumps est entré dans le vif du sujet, laissez-moi prendre la suite, par pitié. Disons le franco de port, si vous n’êtes pas d’humeur festive, je ne vous recommande pas la vision de ce film, enfin pas avant un bon jus multi-vitaminé tout du moins. Par contre, là où mon redak chef a choisi de ne rien spoiler de l’histoire du film (vu qu’il ne l’a sûrement pas vu, mais qu’il a besoin d’exister, m’voyez), de mon côté je vais sûrement rentrer un peu plus dans l’histoire de Devil all the time, donc gare à vous, si vous ne voulez absolument rien savoir, lisez une ligne sur deux (#SPOIL quoi).

Si quelqu’un m’avait demandé mon avis juste après que j’ai vu le film (mais personne n’y a pensé hein, bande d’égoïstes !), j’aurais sûrement dit : « Ce film pue des bras ». Imagé, non ?

Il suinte par tous les morceaux de sa pellicule le vice de ses personnages, l’odeur de putréfaction qui entoure tous les aspects de la vie d’Arvin, de son enfance désabusée aux gens qu’il essaye tant bien que mal de protéger. Arvin, gueule d’ange mais âme brisée, se débat pour se sortir des sables mouvants qui l’entourent, alors qu’il serait tellement plus simple de se laisser couler. L’abnégation dont il fait preuve, la droiture qu’il porte en étendard, font de lui le phare du film. Celui auquel on se raccroche, qu’on regarde tomber, se relever pour mieux se rétamer la tronche deux plans plus tard. Il y a des destins comme ça qui dès le début vous condamnent. Mais Arvin est de ceux qui forcent le jeu, qui rebattent les cartes en espérant avoir une meilleure main. Non pas qu’il soit ambitieux le loustic, non, loin de là. Il veut juste qu’on foute la paix aux gens qu’il aime. Mais c’est trop demander aux diables et aux dieux qui peuplent le film.

On ira tous au paradis ? 

Les diables sont là, partout, tout le temps. Ils tuent, violent, poussent le tabouret sous les pieds des plus faibles, se délectent de leurs actions et se léchent les babines. Ils ont visages humains, agissent en plein jour, là où l’horreur a l’habitude des ténèbres. Il est difficile de regarder ce film sans haïr la majorité des protagonistes, qui ne cherchent pas la rédemption. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, dans l’Ohio des années 60/70, il est surtout visible à l’œil nu.

Et au milieu de toute cette crasse, quelques formes divines apparaissent. La vraie figure de Dieu pour commencer, si tant est qu’on y croit. God bless les ricains, peuple croyant s’il en est qui aime encore jurer sur la Bible pour un oui ou pour un non. La religion est un personnage à part entière de ce film. Elle donne une ligne conductrice aux héros du film, leur permet de se rencontrer, de parfois s’aimer, de souvent se détruire, car ici, elle est aussi signe de pouvoir.

Le pouvoir du prédicateur d’abord, interprété par Robert Pattinson, qui d’un revers de main balaie le bon du mauvais quitte à briser les autres sur son passage car il est investi d’une mission divine. « Gradé », l’Eglise lui offre ce pouvoir de persuasion des autres membres de la communauté (comme elle le fait de façon quasi systématique). Il distille la bonne parole, donc il ne peut être mauvais, n’est-ce pas ? On ne peut pas dire non à un révérend aussi charismatique que lui…

 

Le pouvoir de la foi, qui pousse la sœur d’Arvin dans ses derniers retranchements, jeune fille pieuse et sûrement trop pure dans un monde rempli de monstres, que tous les Ave Maria ne pourraient pas sauver. Cette croyance que Dieu est toujours là, quelque part… cette peur de son jugement aussi et avec elle le besoin qu’elle éprouve de se raccrocher à cette figure mystique, coûte que coûte. 

Mais si la vraie figure divine de ce film, c’était Arvin ? Car si les diables l’entourent, il ne se laisse pas conter fleurette. Né les deux pieds dans la merde, il regarde la vie dans les yeux, n’hésitant pas à se faire justice lui-même, ne cédant pas aux tentations du mal qui semblent pourtant être partout autour de lui. Vous l’avez déjà lu plus haut, il est un exemple de droiture. Une fleur qui a poussé parmi les gravats de l’Amérique d’après guerre, et il serait facile pour lui de détourner le regard, de laisser faire. Il ne le fait cependant jamais, ce qui me donnait parfois l’impression de regarder un chemin de croix, où il est impossible pour lui de fermer les yeux.

La fin du film en est d’ailleurs un exemple flagrant. SPOIL Arvin, pris en stop par un type, tente de ne pas s’endormir à côté d’un inconnu. Il est épuisé, a subi en peu de temps une vie de peine. Il baisse les yeux quelques instants. La radio du vieux van défoncé dont il est passager le berce. En bruit de fond, il nous semble entendre que des jeunes hommes vont bientôt être appelés pour partir au Vietnam. On se doute alors que le repos sera de courte durée pour lui. 

Pour les plus cinéphiles d’entre vous, rappelez-vous la toute dernière phrase du Seven de David Fincher, où Somerset (l’inspecteur interprété par Morgan Freeman), cite cette phrase d’Hemingway « Le monde est un bel endroit qui mérite que l’on se batte pour lui « . Je pense que tout comme Somerset, Arvin ne serait d’accord qu’avec la deuxième partie de cette phrase. 

En résumé, Devil All The Time  m’a fait forte impression. Un tel portrait de l’Amérique dispo sur Netflix, n’hésitez pas à foncer.

 

 

 

 

 

En définitive, Devil All The Time est un bon film qui rend hommage à la littérature « roman noir » comme rarement on le voit encore de nos jours. Ce conte cruel nous emmène avec justesse dans les tréfonds de l’âme humaine et nous met le nez dans la crasse aux côtés de ses protagonistes, tous fracassés par la vie. Casting prestigieux, scénario solide, ambiance au top. C’est un oui

 

 

 

 

LazyLumps

Déjà petit, le troll Lazylumps collectionnait les cailloux. Après en avoir balancé un certain nombre dans la tronche de tout le monde, il est devenu le "Rédak' Chef" de la horde, un manitou au pouvoir tyrannique mais au charisme proche d'un mollusque. Souvent les nuits de délire on l'entend hurler "ARTICLE ! ARTICLE ! IL FAUT UN ARTICLE POUR DEMAIN".