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Dévoreur, le petit livre qui conte

Ça y est, on est des grands chez Le Cri du Troll, la preuve : on nous envoie un livre sans qu’on ait harcelé quiconque pendant trois semaines avec notre subtilité légendaire (oui, enfin, pas que ce soit dans nos habitudes hein…). Et attention, c’est pas n’importe quoi ! Les Moutons Électriques nous ont proposé le tout pitit et tout mignon Dévoreur de Stefan Platteau, un roman court de moins de 150 pages situé dans l’univers du Sentier des Astres dont le tome 1, Manesh, est sorti en 2014.

Le retour du conte

« Oui, mais personne n’a lu Manesh ici ! », s’est exclamé le troupeau de trolls déconfits. « Ne vous tracassez donc point » répondit l’éditeur ovin, « Il n’est nul besoin de connaitre l’univers pour se délecter de Dévoreur ». Qu’à cela ne tienne, on a donc voulu tirer à la courte-paille le chanceux qui allait pouvoir chroniquer la bête, et puis on s’est rappelé qu’on était des trolls, et nous avons sorti les massues… Et me voici donc devant ce petit ouvrage à la couverture magnifique, réalisée par Melchior Ascaride comme tout le design intérieur. De la taille d’un format poche à la forme presque carrée, le livre est illustré par des petits cabochons à chaque début de chapitre, et toutes les pages sont bordées de runes pour habiller le texte. Ça donne un objet magnifique.

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Dans Dévoreur, nous faisons la connaissance d’Aube Romo qui vit avec son mari et ses deux enfants dans une maison isolée sur la montagne. Peyr, son époux, est un grand magicien qui doit partir pour une mission de plusieurs mois en laissant ses proches. Heureusement que Vidal, leur meilleur ami et plus proche voisin, est là pour leur rendre visite et distraire la petite famille restée à la maison grâce à sa bonne humeur. Mais un jour, Aube remarque que Vidal ne vient plus, il reste cloitré dans sa maison avec ses enfants, se comporte froidement avec son amie. Quelque chose de pas très frais se trame dans la montagne et Aube va bientôt découvrir ce qui rôde et menace sa famille.

On retrouve une ambiance de conte à travers ce court récit, l’auteur nous plonge dans cet univers avec maitrise et talent dans un style proche de ses modèles. Ce style est impressionnant, on prend un réel plaisir simplement avec la prose de Stefan Platteau. Par-dessus tout, il nous donne de suite envie d’entendre cette histoire à l’oral, ou même de le lire à voix haute tant la narration s’y prête (une version audiobook m’inciterait sûrement à tester ce format). Elle parvient à garder cette tradition de la transmission orale des histoires alors qu’on la lit, oui je sais, c’est con mais c’est ce que j’ai ressenti tout de suite.

♪ Et vice et versaaaaaaa ♪

devoreurLe livre se découpe en deux parties distinctes : Dans la première, on suit Aube tandis qu’elle essaye de comprendre le phénomène étrange qui plane sur la montagne. Cette partie est très réussie grâce à son aura de mystère. L’héroïne va tout faire pour découvrir ce qui se trame malgré le danger et la peur car la sécurité de ses enfants est en jeu. L’ambiance effrayante emporte le lecteur jusqu’à ce qu’il comprenne à quoi il a affaire. Dans la seconde partie c’est Peyr qui va prendre le relais, la menace est maintenant déclarée et l’histoire devient plus orientée vers l’aventure et change légèrement de ton. Le magicien va partir affronter le danger armé de son arsenal de sorts et de connaissances.

Les contes sont en général destinés aux jeunes et servent à leur transmettre des valeurs à travers une morale et un sens du danger. D’ailleurs ils apparaissent aujourd’hui comme bien violents pour leur cible et sont souvent édulcorés pour nos contemporains, mais pas de ça ici ! Dévoreur prends ce ton cruel et gore propre aux grands classiques, c’est génial de constater que l’auteur garde ce qui fait la force du genre et ne prend pas les lecteurs pour des êtres fragiles que la moindre babiole traumatiserait. Mais l’originalité de cette aventure est que, pour une fois dans un récit de ce type, on ne se place pas du point de vue des enfants.

Par ce simple changement de perspective, Stefan Platteau donne à son histoire une signification nouvelle. Il parle à l’enfant en dévoilant les dangers du monde et le sens de la peur, mais on s’aperçoit vite qu’il parle également à l’adulte, et surtout au parent ou futur parent potentiel. Dévoreur explore notre responsabilité face à l’enfant, que ce soit le nôtre ou celui des autres. La dédicace à la fin du roman trouble autant qu’elle éclaire sur l’intention, surtout par rapport à la relation entre Peyr et sa fille à la fin de l’histoire.

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The evil within

Dans les classiques comme Le petit Poucet ou encore Hansel et Gretel, les enfants sont isolés des adultes ou opposés à eux, ils sont livrés à eux-mêmes face à la dure réalité et à la cruauté du monde. Ici l’écrivain intègre les adultes à leur aventure, ils ne sont ni exclus, ni placés en opposition du monde des enfants. Ils en font partie intégrante. C’est marrant quand on voit que « les adultes sont devenus méchants/ont disparu/ont abandonné les enfants » est devenu un des clichés absolus de la littérature Young Adult alors qu’il est tellement plus puissant de parler du mélange des générations que de leur exclusion mutuelle, ce qui nous est vraiment bien démontré ici.

ALERTE SPOILER : Dans la suite de l’article, je vais parler d’un des thèmes du livre, mais qui constitue en soi un spoiler par rapport à l’identité du mal qui rode dans cette première partie. Je ne dévoile rien sur les évènements ou la fin, mais si vous voulez vraiment garder la surprise sur la menace qui plane sur les Romo (ce que je recommande si vous ne savez rien du livre), sautez directement au verdict, mais je ne peux décemment pas critiquer le bouquin sans  aborder ce thème.

dévoreurinterieurMazette, c’est bô

En effet, Stefan Platteau revisite la figure de l’ogre si emblématique des contes classiques, l’ennemi est une créature immense qui ne pense qu’à manger les montagnards et surtout les enfants. L’ogre a toujours représenté le monde extérieur une fois sorti du cocon familial, les adultes dangereux et cruels, mais ici on ne peut s’empêcher de prendre ça comme une réflexion sur la paternité. L’adulte peut être responsable et protecteur, c’est un refuge pour les petits qui ont besoin de confiance et d’affection. Mais il est aussi l’effrayant, le violent et le menaçant qui a le plein pouvoir sur plus faibles que lui. Et dans les yeux d’un enfant, la vision de l’un ou l’autre changera son rapport au monde et on assiste à ce changement du point de vue du parent, impuissant à complètement protéger l’innocence de son gosse. C’est puissant.

bandeau17Dévoreur est tout petit, mais c’est un livre immense. Il reprend tous les codes du conte classique mais en modifie juste ce qu’il faut pour y apporter la touche personnelle et la fraicheur qui suffisent à emporter le lecteur, et à lui donner de la profondeur et de l’importance. Dans le fond comme dans la forme, ce roman est une réussite absolue. Bon, j’ai un peu envie de lire Manesh maintenant…

 

2 réflexions sur “Dévoreur, le petit livre qui conte

  • L'ours inculte

    Merci Estelle !
    Oui, ne le laisse pas se morfondre dans ta PAL, ça serait dommage :D
    J’espère qu’il te plaira autant qu’à moi

  • Estelle Hamelin

    Superbe chronique! Il est dans ma PAL depuis début Octobre, je vais tenter de l’en extraire rapidement. ^^ En plus, j’ai déjà lu Manesh. Merci pour la chronique! :)

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