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Hercule, je croyais que les jupettes c’était typiquement romain?

Le plus célèbre des héros antiques a été « à l’honneur » cette année, distingué par deux films dont la seule bande annonce du premier m’avait fait frémir d’horreur. Le péplum moderne ne brille guère par sa superbe, nous faisant regretter les productions italiennes fauchées, certes peu flamboyantes mais ayant de l’envie à revendre et accrochant toujours le spectateur par une sorte de bonhomie méditerranéenne rafraîchissante, que les grosses productions prétentieuses sont bien loin de pouvoir approcher. Mais vint le second Hercule, auréolé de la tronche épique de Dwayne Johnson et de quelques scènes prometteuses dans la première bande-annonce et je me dis que j’allais peut être me fendre d’un petit visionnage un peu nanar mais sympathique. La seconde m’a nettement moins emballé et ce n’est qu’une réduction de tarif au cinéma du coin (intervention de Lazylump : « 10 putains de balles en temps normal! ») qui me décida vraiment à sauter le pas, c’est dire si j’étais confiant.

Je ne savais pas trop à quoi m’attendre avec ce film et le réalisateur Brett Ratner me semble assez insaisissable, capable de commettre les deux derniers et piteux Rush Hour comme de surprendre avec l’excellent Dragon Rouge, pas loin d’être mon épisode préféré de la série du Silence des Agneaux (et j’assume totalement).

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Je suis donc allé à la séance en traînant un peu les pieds, pensant tout de même m’aventurer dans quelque chose de bien peu fameux… Mais voilà, passé quelques pesanteurs liminaires, certaines craintes quant au message général, je me suis peu à peu pelotonné dans mon fauteuil et j’ai commencé à apprécier ce film.

La chose la plus importante à signaler est qu’il est bien moins stupide qu’il y paraît.

Ce n’est pas un énième péplum décérébré avec pour trame de fond un prétexte historique pour nous mettre des jupettes et des torses huilés (il y aurait sans doute à faire une analyse psychologique derrière ce concept très usité), c’est bien au contraire une œuvre portant un message, un questionnement sur un élément central des histoires à l’antique et plus largement, que l’on rencontre dans bien d’autres œuvres de fiction ; qu’est-ce qu’un héros ? Cela claque comme une évidence, tant on est abreuvé jusqu’à l’écœurement de films de super-héros par exemple, or il serait faux de penser qu’on peut aisément embrasser toutes les réalités que recoupent cette idée avec une bordée de poncifs du genre de ce que Jordan-Kévin, là-bas au fond, tente de souffler en pouffant d’un rire gras d’adolescent : « Un héros, c’est un mec super fort avec des muscles et qui protège le monde m’sieur ! »
Je crois que tu oublies un peu vite le concept de l’antihéros mon jeune ami, la personne torturée, ou physiquement faible, ou encore sans volonté philanthropique… qui fait de superbes héros sans en revêtir pour autant les codes que tu sembles vouloir asséner d’une façon fort sentencieuse… Oui… certes Dwayne Johnson a de gros biscotos et représente un des héros les plus charismatique de l’Antiquité qui brille tant par sa force colossale que par sa bienveillance… Mais tu ignores, frêle proto-humain, sa part d’ombre, la folie destructrice qui le poussa dans le mythe à terrasser sa propre famille, le laissant brisé… En somme une figure plus complexe, hybride entre héros et antihéros, difficile donc à aborder dans une histoire cinématographique puisqu’il faut cheminer sur la brèche pour éviter de tomber dans la caricature lourde, ou le franchement cheap naïf (même si j’ai de la tendresse pour cela).

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Coup de théâtre, Ratner réussi à surprendre sur ce point, livrant un Hercule original, plus profond qu’on pourrait le penser de prime abord, et en dépit de toutes ses maladresses, mérite un franc coup d’œil, débarrassé de tous les à-priori sur le réalisateur, sur Dwayne Johnson et les jupettes en cuir. Ce film n’est pas celui qui renversera les codes, éblouira le cinéphile, esbaudira le mythologue, mais il a le mérite de ne pas tomber dans la facilité du héros invincible ou la bouillasse numérique jusqu’à saturation.

Si vous avez des envies de découverte vous pouvez vous laissez tenter. Contrairement à ce que certains ont écrit ce n’est pas un navet sidéral ; on aime trop hurler avec les loups dans notre temps et les « critiques » que j’ai pu lire à droite à gauche n’ont souvent à étaler que mépris, suffisance et peu de matière, mal à l’aise qu’elles sont avec les affres de l’Antiquité. Alors essayons d’aller un peu plus en profondeur après ces quelques vagues esquisses. Nous entrons donc dès maintenant en zone de SPOIL caractérisé, obligatoire pour comprendre le film et son propos. Je vais également tenter de le replacer dans la période historique concernée afin de démêler l’écheveau. Alors Jordan-Kévin, et vous cher lecteur on se retrouve après visionnage !

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SPOIL

Bon, j’espère ne pas avoir fait fausse route en vous incitant à voir l’œuvre. Continuons et décortiquons le film. L’axe principal de la structure narrative est ce contre-pied tenté autour de la personne d’Hercule. En faire un simple mercenaire, un humain normal dont on magnifie les exploits est à la fois un pari osé et dans le même temps une possible belle couillonnade nihiliste. Un pari parce que faire descendre de son piédestal iconique le demi-dieu le plus célèbre qu’ait produit la Grèce antique n’est pas chose aisée, malgré les siècles qui nous en séparent. Ce mythe est encore vivace dans notre culture et même si nous ne faisons plus guère nos Humanités comme naguère, on s’est tous pris à rêver sur les empoignades musclées du héros avec le lion de Némée ou de l’Hydre de Lerne. Casser cette image, renvoyer à de simples actes humains les douze travaux, pouvait mener droit à la couillonnade que j’évoquais, celle qui, avec un cynisme mesquin, se plaît à tout flétrir en sacrifiant le moindre élan, la moindre étincelle de vie, dans un raisonnement froid et comptable, bien de notre époque. On a souvent trop tendance à chercher dans des histoires des explications qui n’ont pas lieu d’être, à inféoder toutes productions aux vices mesquins de nos coutumes et finalement les entacher de vulgarité. C’est un peu ce dont j’ai eu peur avec Hercule et ce qui a failli me jeter, maussade, hors du cinéma. Or l’intelligence du film est justement de partir de cette déconstruction de l’image du héros, le héros invincible, pour l’humaniser, avant de lui faire suivre un chemin initiatique pour qu’il trouve, à travers de nouveaux travaux, de nouveaux exploits, bien réels ceux-là (et surhumain), l’assise de son nouveau statut, celui de héros iconique fédérateur.

Le film laisse ainsi entendre un message très classique autour de la volonté qui renverse les montagnes et permet de s’accomplir, de trouver sa voie et sa place, pour devenir un modèle pour tous par son exemple. Chacun en pensera ce qu’il voudra en fonction de ses sensibilités, l’important me semble ailleurs. Cela se trouve dans la logique de la démarche. Hercule est dès le départ un homme brisé qui fuit son passé, un pauvre mercenaire qui tient lieu de héros surhumain et qui va cheminer en lui-même autant que dans le réel pour dépasser ses souffrances et ses doutes, ce qui se fait en plusieurs étapes ; accepter la mission, refuser de partir après la volte face du roi et finalement lorsqu’il est enchaîné et que son ami Ampharios l’assaille de questions pour l’amener à se transcender. On aurait aimé que ces moments soient plus viscéraux, plus marquants afin d’exalter la force des basculements dans le chemin initiatique, qui, à part le dernier, restent un peu plat.

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Donc cette humanisation, ainsi traitée, est une bonne idée. La question du mythe n’est pas digérée par le nihilisme et le film va même plus loin en intercalant fort opportunément les histoires du jeune conteur Lolaus au développement, comme socle mythique au héros qu’est Hercule au début du film. Néanmoins il aurait été largement plus malin de situer historiquement le film dans des temps plus reculés, la période archaïque de la Grèce (VIIIe-VIe siècle avant notre ère), pour laquelle nous n’avons que peu d’informations par les textes, ce qui laisse davantage de liberté pour construire un propos original. Cette époque, antérieure au premier véritable historien, Hérodote, emblématique de l’époque classique (Ve siècle avant notre ère), connaissait une sorte d’intrication entre le mythique et le réel, de sorte que les références à l’existence des centaures, des héros… aurait eu une résonance plus forte que dans le siècle d’Aristote (IVe siècle avant notre ère), où une pensée plus proche de la notre se met doucement en place. D’ailleurs Lolaus, en temps qu’Aède aurait fait un parallèle plus fort avec le mythique Homère.

En tout cas une chose me paraît vraiment agaçante dans ce film, et c’est un reproche que j’adresse à beaucoup de péplums ; le recours à des cabrioles dignes du cinéma du Hong Kong de la grande époque. Ce n’est pas le propos ici ! Ainsi le personnage campé par Rufus Sewell, Autolycos, nous semble tout droit sorti de l’épouvantable Roi Arthur, avec ses armes de ninja au rabais, complètement égaré dans l’Antiquité grecque… Un frondeur eut été magnifique ! Ainsi il fait toc. Combien plus intéressant est Tydée, le jeune guerrier né sur un champ de bataille (Conan?), complètement fou et touchant, un poil surjoué mais très attachant.

En tout cas il fut opportun de traiter cette question de la folie dans le film, autour de la personne d’Hercule. C’est un être torturé comme je le disais plus haut et avoir en trame de fond le meurtre de sa famille dont il est accusé donne une dimension supplémentaire au héros. L’idée des cauchemars était intéressante puisqu’elle venait brouiller la frontière entre le réel et le mythique mais il est finalement dommage que le film disculpe Hercule du meurtre, puisque cela rend du coup le personnage trop lisse à la fin…

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Étrange, protéiforme, un peu kitch et balourd, le film n’est pour autant pas dénué de finesse et d’intelligence. Il laisse une sensation d’inachevé et il semble un peu hésiter entre la profondeur de la réflexion conduite et la sensation visuelle du blockbuster. Ce qui est clairement le plus intéressant est ce qui se passe autour de ce cheminement du héros, donc autour de la personne massive d’un Dwayne Johnson attachant et qui distribue en plus de belles tatanes qui raviront les amateurs du genre. Hercule n’est pas un navet déprimant et mérite le coup d’œil.

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

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