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Le Bureau des légendes : le droit d’en connaître

Punaise, que les temps sont moroses. On est confinés un mois de plus, et après de retour au charbon, pour engraisser toujours la même oie qu’on ne peut jamais bouffer après. Je suis amère, aussi amère que les bières que je dégomme avec un systématisme qui tient lui aussi de l’effort de guerre, celle perdue d’avance contre mon alcoolisme. Et du coup, quand ma journée de parfaite petite confinée se termine, entre un tour de salon au pas et une visite guidée de la litière du chat, je bouffe de la série. C’est pratique, moins de temps de cuisson que les pâtes dis donc !

Puis voilà, il l’ont tous dit les médias, pour bien becqueter, faut becqueter français. Ça je le savais déjà. Alors le doigt sur la couture et le patriotisme comme seule horizon, j’ai décidé d’arrêter de bouffer autre chose que du made in Franchouille. Fini mes séries remplies de Yankees, terminé les virées dans Londres en compagnie de Sherlock ou Luther. Adieu mes servantes écarlates, et démerdez-vous sans moi, j’ai plus le choix. Maintenant c’est Louis la Brocante, matin, midi et soir.
 
Puis un jour, comme souvent, un éclair de génie arrive. Sous la forme d’un mail du rédak’ qui demande des articles. En bon stakhano-capitaliste qu’il est, même en temps de crise, il faut du contenu. Tout ça pour toi, petit lecteur. Me voilà pas dans la mouise, avec mes trois idées qui se crêpent le chignon… Je me suis dit : « Allez, un peu de nerfs ma fille, ressaisis-toi ! », et j’ai choisi une série. J’ai enquillé les épisodes, ne tenant pas compte de ma fatigue. Puis j’ai kiffé. Merci Le Bureau des légendes d’exister, et d’attaquer ta saison 5 pile pendant ce confinement. Parce que les séries françaises qui ont de la gueule, c’est quand même rare. Autant on est connus pour les baguettes, le camembert et la Tour Eiffel, mais niveau reconnaissance et qualité, Sous le soleil ça n’a pas tant marqué les esprits que ça.
Canal + s’est attaqué au problème depuis maintenant plusieurs années, avec des résultats parfois brillants (Baron Noir) et d’autres moins glorieux. Mais leur plus belle réussite reste pour moi cette série d’espionnage.

Panique au Bureau 

Crée par Éric Rochant en 2015, Le Bureau des légendes est la série française la plus ambitieuse de ces dernières années. Pour commencer, elle s’attelle à un sujet de fantasme pour l’imaginaire du spectateur : celui de l’espionnage français. En d’autres termes, au fonctionnement de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure ou DGSE. Loin de l’imagerie à la James Bond, les agents que nous suivons ne sont pas des mecs en costume impeccable, conduisant des Aston Martin en galochant une bombe défiant toutes les lois de l’anatomie.
 
Ici, on découvre le fonctionnement du Bureau des légendes, entité qui donne son nom à la série. Au sein de cette partie de la DGSE, la mission est la suivante : gérer les clandestins. Les clandestins, ce sont les agents français partis en mission sous identités fabriquées de toutes pièces, les fameuses « légendes ». Le but de ces « clandés » est de repérer des personnes susceptibles d’être recrutées par la DGSE comme sources de renseignement éventuelles. Les clandestins endossent pendant parfois des années leurs identités de légendes. C’est le cas de Guillaume Debailly, héros de cette série.
Lorsque nous rencontrons Guillaume (interprété par Mathieu Kassovitz), il revient de Syrie, où il a passé six longues années, sous le nom de Paul Lefebvre. Là-bas, sous légende, il a construit une vie. Rencontré une femme, Nadia. Et c’est là que les choses commencent à se corser pour lui. 
Car Guillaume n’arrive pas à se distancier de son ancienne vie de clandestin. Difficile de passer des années dans les pompes d’un autre homme et de devoir du jour au lendemain redevenir soi-même. Alors en rentrant en France et en retrouvant ses collègues, il est pas forcément à l’aise, le bougre. Puis il revoit Nadia, à Paris. Grosse erreur de sa part.
Parce que cette histoire d’amour va foutre un bordel monstre dans toute la vie de Guillaume. Je vais tenter de t’en dire plus sans te gâcher le plaisir de la découverte.
 
Au Bureau des légendes, tous les agents ont un nom de code. Celui de Guillaume est particulièrement savoureux puisqu’il s’agit de Malotru (petit fun fact : tous les noms de code des personnages sont extraits du vocabulaire fleuri du Capitaine Haddock dans Tintin). Un malotru, dans le langage familier, c’est quelqu’un qui manque d’éducation, un peu le rustre du coin en somme. Sauf que là, c’est tout l’inverse.

Un héros presque imparfait 

Malotru est le anti-héros par excellence. Derrière sa mine sérieuse et son professionnalisme se cache un type capable de tout pour ne pas sacrifier les êtres qui lui sont chers. Et quand je dis de tout, ce n’est pas une métaphore. On ne peut s’empêcher de juger ses actions par moment, de se demander pourquoi il semble toujours un peu plus creuser sa propre tombe. Mais si les chats ont neuf vies, Malotru semble en avoir quatorze au fil des saisons. Il encaisse, de façon indiscutable, les conséquences de ses fautes. Il apprend, parfois en même temps que le spectateur, jusqu’où la diplomatie et les intérêts entre États sont prêts à aller. Néanmoins, quoi qu’il se passe, son esprit stratège et sa connaissance de la nature humaine lui permettent de toujours retomber sur ses pattes.
 
Mieux qu’un chat, je viens de te dire. Traître pour certains, héros pour d’autres, Malotru est une énigme que l’on essaye de résoudre un peu plus à chaque instant, tant il peut être imprévisible. Un personnage principal charismatique donc  au sein d’ une série qui prête beaucoup d’attention à tous les personnages, car si Malotru est le héros de cette aventure, ses comparses ne sont pas en reste.
On découvre notamment le département du Bureau des légendes à travers les yeux de Marina Loiseau, nouvelle recrue lors du début de la série. La naïveté dont elle fait preuve nous renvoie à notre propre perception du service d’espionnage, milieu aussi fascinant que mystérieux. Le personnage de Raymond Sisteron, analyste chargé de s’occuper de clandés, de les accompagner « virtuellement » depuis son bureau et de garder le lien avec ceux dont il s’occupe apporte beaucoup d’humanité à la série, de part son empathie constante et sa foi en l’homme. Ce mec sensible et parfois déstabilisé est vraiment une ancre attachante au sein de la série.
Le show fait également la part belle aux femmes, au travers du personnage de Marie-Jeanne, faux cœur de pierre qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, mais qui agit toujours avec la dignité et l’intelligence nécessaire. Mention spéciale au personnage de la Mule qui, chargée de la logistique auprès du Bureau et des clandés, est absolument géniale, tant par son côté pince-sans-rire que par sa faculté à ne jamais être prise au dépourvue.
Aucun des personnages n’est un cliché de héros, ou de gros méchant qui fait peur ; ils ont tous leurs failles, et les blessures qui leurs sont infligées au fil du temps peuvent les rendre parfois antipathiques, paranoïaques ou complètement mégalos, parfois seuls, tristes et même un peu lâches

Objectif réalisme 

La deuxième force du Bureau des légendes, c’est son réalisme. Crois-moi, je n’y connais rien en espionnage, mais tout semble crédible. Tout sonne juste. De la décoration des bureaux, au quotidien parfois banal de leurs occupants, tout pue le vrai. Éric Rochant et Mathieu Kassovitz ont indiqué en interview avoir pu faire une « immersion » d’une demi-journée au sein de la DGSE, afin d ‘être authentique à l’écran et de rendre palpable l’atmosphère qui peut régner dans ses locaux. Par souci du détail, les épisodes sont montrés en amont de leur diffusion à certains membres de la DGSE qui saluent à chaque fois la véracité avec laquelle est reproduit ce bastion de la Défense française, sans jamais trop en révéler. Les enjeux du monde réel sont montrés (le cyber-espionnage par exemple) mais le spectateur ne se sent jamais perdu dans un lexique rocambolesque à la Q dans James Bond, tant le souci de vérité de Rochant et son équipe est d’expliquer au public la vie et les tourments d’un service aussi secret que nécessaire. Certains agents de la DGSE ont d’ailleurs remercié Rochant en lui disant que grâce à la série, leurs familles comprenaient mieux ce métier plus ingrat qu’il n’y parait. 
Le Bureau des légendes est également très bien servi niveau interprétation. Tous les acteurs jouent leur partition de façon souvent virtuose. Mathieu Kassovitz est incroyable et montre l’étendue de son talent en tant qu’acteur (qui n’est plus à prouver) . Toujours en tension, sur la corde raide, il ne semble jamais totalement en confiance mais il hypnotise le spectateur dès qu’il apparaît à l’écran. À ses cotés, Jean-Pierre Darroussin, Florence Loiret-Caille ou encore le génial Mathieu Amalric sont des choix judicieux dont la plus-value à l’écran est évidente, mise en avant par des dialogues fins et savoureux, au service d’une intrigue toujours bien ficelée. Artus, qui joue le rôle d’un jeune analyste, est également impeccable. 

Une série comme on les aime, réaliste sans être ennuyeuse, et fidèle à l’histoire qu’elle raconte depuis sa première saison, sans jamais perdre en qualité.

Le Bureau des légendes fait partie des petites bombes du paysage audiovisuel français. Sans jamais se départir de son réalisme et de son intelligence, la série arrive à nous tenir toujours en haleine, depuis maintenant cinq saisons. La subtilité des intrigues et leur dénouement ne sont jamais tirés par les cheveux, mais nous questionnent sur qui sont ces humains, imperceptibles et mystérieux, qui font ou défont nombre de nos actualités. Alors, ne perds plus une seconde, au lieu de faire des selfies dont, soyons honnêtes, tout le monde se fout, va découvrir le monde et voyager plus loin que ton appartement en poussant la porte du Bureau des légendes.

 

KaMelaMela

Kamélaméla aime deux choses: la blanquette et Eddy Mitchell. Sinon, de temps en temps, elle va au ciné. Voila, vous savez tout.