[SORTIE CINE] Les Nouveaux Héros : Un film qui joue avec l’emballage
Hiro est un jeune prodige qui gaspille ses talents dans des combats clandestins de robots. Ayant perdu ses parents très jeune, Peter Park… euh… Hiro vit avec sa tante et son oncle B… son frère aîné Tadashi qui va le convaincre de mettre son intelligence au profit du labo top cool dans lequel il travaille sous la direction de leur idole, le Pr. Callaghan (information qu’il avait manifestement cachée au petit frère sans raison apparente même si ça aurait pu le motiver à arrêter les conneries plus tôt, mais bon…). La mort d’oncl… de Tadashi va pousser Peter P… Hiro a utiliser sa technologie pour devenir Iron Ma… un super-héros, pour venger son frère. Il va également s’entourer d’autres jeunes brillants et de Baymax fruit de l’union d’une copie de Wall-E et d’une copie d’Eve un robot-soigneur conçu par feu Tadashi.
La Maison sans Idées
Les Nouveaux Héros (Big Hero Six en VO) est le premier Disney à piocher dans sa nouvelle acquisition (et pas des moindres) Marvel. Ils ont donc été chercher une obscure équipe de super-héros japonisants dont les scénaristes eux-mêmes avouent n’avoir peu ou pas lu d’épisodes. Bon, comme ça, ça parait un peu débile, mais bon, ils ont bien cartonné avec Les Gardiens de la Galaxie, personnages dont tout le monde se foutait à part trois comicovores indécrottables (par exemple notre nouveau chroniqueur Dr Tyriel).
Le film est en réalité LE Disney de l’année dernière (il est sorti en novembre aux States avant de sortir aujourd’hui en France, pour une raison qui m’échappe). Il donne l’impression que l’ami Mickey est dans une logique d’alternance entre « films de princesses » et « trucs geeks » (Raiponce puis Le Monde de Ralph basé sur les jeux vidéos, La Reine des Neiges puis Big Hero 6 sur les super-héros). Étrangement, ce sont encore les Disney princesses qui marchent le mieux (et sont les plus réussis à mon humble avis, mais c’est une autre question).
Exposition universelle
Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas là pour déboulonner ce bidule tel le premier chroniqueur auto-satisfait de sa destruction gratuite (c’est bien connu, plus on est méchant avec les films, plus on est un critique supérieur, hein?) Et je dois reconnaître les mérites de ces Nouveaux Héros, qui sont globalement tous dans sa première partie, une exposition assez réussie.
Premièrement, Disney a choisi de situer l’aventure dans San Fransokyo (c’est pas une blague, ils l’ont appelé comme ça), mégalopole mixant cultures japonaises et étasuniennes. Rien de bien foufou depuis Blade Runner ou Firefly dans la rencontre Orient-Occident mais il faut avouer que cela donne un cachet à la direction artistique. D’autant que nous ne sommes pas dans la pure SF mais dans un mélange plus subtile des deux modernités. Ainsi l’on trouvera les avenues américaines côtoyant les bas-fonds type quartiers yakuzas, un bad guy matrix-kabuki ou un robot mi-apple (ééééveeuuuu) mi-shinto.
♪ C’est une pagode bleue, adossée au Mont Fuji ♪
Deuxièmement, l’univers baigne dans une ambiance technologique qui irradie de partout. Ici, on est dans un monde où n’importe quel petit génie semble pouvoir bricoler des inventions révolutionnaires avec trois poubelles sans que cela ne change véritablement la face du monde. On surfe clairement sur une tendance « la science c’est trop cool » / « être un nerd c’est la classe » , sans aucune volonté très sérieuse, juste du fun avec de vagues conceptions techniques pour justifier des gadgets plus stylés les uns que les autres. Pris comme ça, c’est assez chouette et les animateurs se font plaisir sur les effets physiques, les plasmas, les antigravs et autres possibilités visuelles : on ne peut pas leur enlever ça.
Troisièmement, les personnages, bien que peu approfondis, sont tous amenés assez efficacement. Souvent quelques lignes de dialogues, des identités visuelles claires et surtout – ça va faire bizarre dit comme ça – un bon « jeu d’acteur ». C’est l’une des qualités « invisibles » du film qui m’a le plus percuté au milieu de son absence d’éléments notables : les personnages sont incarnés, leurs mimiques, leurs postures, leurs réactions sont à la fois très expressives et pleines de sens, les rendant tout de suite sympathiques et compréhensibles malgré le peu d’écriture dont ils bénéficient.
Ensuite, il y a l’argument marketing central, le jouet à vendre par millions et le fournisseur des quelques scènes qu’on oublie pas dès la suivante : Baymax.
Ça aurait fait un bon court-métrage
Baymax est un robot qui soigne. Un genre de bonhomme Michelin de Machintosh (si tu crèves un pneu, faut racheter toute la voiture ?). Comme dans un bon classique amitié enfant-robot (même mécanismes que « amitié enfant-animal »), il va se lier à Hiro comme substitut à son grand frère.
Les premières scènes de Baymax sont de loin les plus réussies du film.
C’est pratiquement le seul personnage sur lequel on s’attarde, on prend le temps, on apporte un soin particulier à le mettre en scène. Son design, sa voix (note : j’ai vu le film en VO, je ne sais pas ce que donne le travail de Kyan Khojandi en VF), ses attitudes, tout. Malgré une inexpressivité totale, on sent chaque moment de réflexion, de calcul quand il veut passer un obstacle, d’incompréhension face à ce qu’on lui demande, de profonde envie d’aider. Il suffit de voir la scène où Hiro lui apprend un check : les « yeux » rivés sur les gestes, il observe, déduit, exécute avec à chaque étape un peu moins de latence, une volonté criante de vouloir bien faire alors qu’il ne voit pas ce qu’on lui veut. Le timing de ces scènes est millimétré comme une excellente performance d’acteur.
Et bien sûr, il est très drôle : pataud, touchant, adorable, profond sans en avoir conscience. La première partie du film développe des trésors d’ingéniosité pour tirer de sa mascotte tout le potentiel comique des situations qu’il permet (une scène où il est en batterie faible et paraît rond comme une queue de pelle – absolument hilarante – ou ce long moment où on l’observe se scotcher des « trous d’air », totalement inconscient de son ridicule).
De plus, il cristallise tout le fond du film comme un grand : le propos sur le deuil, en représentant le frère disparu / le propos sur la technologie et son usage avec l’opposition entre le Baymax voué à soigner et ses potentialités destructrices. Sa relation avec Hiro est, dans les premières scènes, extrêmement drôle, touchante et prometteuse. C’est étrange, mais le personnage le plus écrit, le plus fin, le plus investi dans la narration, est une grosse baudruche.
Malheureusement, comme tout le reste, ces moments de grâce se cantonnent à la première partie du film. Première partie qui a en germe tout ce qui va faire du reste un film médiocre.
Gadgeto-film
Car Les Nouveaux Héros est une œuvre qui ne sait pas où elle va, ni ce qu’elle fout là, ni pourquoi elle existe. Tous ses ressorts sont désespérément attendus parce que déjà faits ailleurs quasiment à l’identique et il n’a rien à ajouter sur aucun des sujets qu’ils abordent.
Prenons le « drame fondateur » : la mort du grand frère. Je ne vous spoile pas grand-chose car cela arrive tôt dans le film et surtout parce que c’est évident au bout de 5 minutes. Tadashi est un grand frère tellement parfait, tellement sympa, tellement inspirant qu’il porte sur lui un énorme panneau « Je vous en prie, tuez-moi pour que j’ai un intérêt narratif ». Faisant office d’oncle Ben, sa mort est gérée exactement de la même façon par Hiro que par Peter Parker : il est triste, il s’en veut, il prend conscience des enseignements de son mentor décédé, il veut rendre justice mais doit lutter contre sa haine, il devient un super-héros.
Tous les personnages sont des archétypes sans réel développement (bien qu’ils soient efficacement exposés), faisant office de sidekicks et vitrine d’effets visuels (chacun ayant sa propre technologie). Technologies uniquement survolées et prétextes à « effets cools », sans qu’il y ait grand-chose à en dire d’autre, à part une déclinaison de la genèse d’Iron Man. Le méchant en est le parfait exemple : il utilise des nuées de microbots capables d’à peu près tout former. L’effet est impressionnant, d’autant qu’ils l’ont pourvu d’un design plutôt charismatique. Mais dans toutes les scènes où il est, il se contente de prendre la pose (classe) et de faire des démonstrations des possibilités visuelles (classes) de ses bots, en dépit du bon sens. Jamais il n’essaie efficacement de s’en servir pour arrêter les héros, alors qu’il pourrait les tuer 200 fois. Après tout, pourquoi les attraper directement alors qu’on peut former un super-tunnel autour d’eux dans lequel leur voiture va rouler ? C’est super stylé non ? Super débile aussi mais bordel ça en jette !
Oh mon dieu je me suis encore laissé distraire par mon style et ils en ont profité pour s’échapper !
(Note : le méchant bénéficie quand même d’un certain fond dans ses motivations mais qui ne font que surligner les thèmes du film)
Tout dans le film devient assez vite un énorme prétexte à on ne sait trop quoi.
Pourquoi devenir des super-héros ? Et bien parce que la police ne les croient pas ! Standard. Bon, même s’il doit y avoir 300 témoins à la première scène dantesque de course-poursuite avec le méchant. Ne mêlons pas la police à ça, des super-héros c’est plus cool. Depuis quand on doit justifier des trucs cools ?
Les personnages en deviennent vains et parfois agaçants (le « fan de comics » qui passe son temps à faire des blagues référentielles et à commenter). Après tout, pourquoi justifier un film de super-héros si on peut faire des clins d’œil au spectateur en disant « eh t’as vu ? c’est un film de super-héros ! »
Le fond est gratifié du même traitement. Vous apprendrez donc que la technologie c’est mieux quand c’est utilisé pour faire le bien, que la vengeance c’est pas sympa, qu’il y a de vils capitalistes qui font des trucs pas bien de science pour – tenez-vous bien – le profit. Tout est survolé, sans avoir rien de nouveau à dire, presque comme s’ils avaient construit des « morales minimum syndical » (« tu peux mettre celle qui dit que l’amitié c’est super important ? faut juste que ses amis le disent et c’est bon, te fais pas chier à dire un truc nouveau sur le sujet »). Le propos sur le deuil se paie même le luxe d’être une simple confirmation d’une phrase énoncée au début (Hiro dit textuellement : « Je sais que tout le monde me dit que mon frère est toujours là mais quand même c’est dur… »)
Même Baymax, que l’on compare partout à Wall-E comme si c’était forcément un compliment d’avoir fait un truc moins bien mais qui ressemble à un truc génial : une fois dépensé le stock de bonnes situations, il rentre dans le décor avec les autres. Le film ne sachant pas s’il s’agit d’une histoire super-héroïque, d’un délire technologique, d’une métaphore sur le deuil et d’une amitié, il passe son temps à abandonner un des aspects pour un autre, et c’est ce qui se produit avec Baymax. La résolution se paie d’ailleurs un cas de ce que j’appellerais « escroquerie à l’émotion » (je m’explique en « zone spoiler » en fin d’article pour ceux qui l’ont vu).
Les Nouveaux Héros n’a rien de nouveau, rien de mémorable et rien de honteux. Si vous êtes en manque de gros machins d’animation après cette année sans Pixar (et pour nous sans Disney du coup), vous passerez un moment supportable avec quelques rires sincères et quelques « Wouah ! » sympathiques. Le film n’est pas un mauvais bougre, comme on dit. Il s’agit d’un sous-plein de trucs (sous-Spiderman, sous-Iron Man, sous-Wall-E, etc.) qui n’est pas pour autant en-dessous de tout. Vous pouvez sans remord priver Disney de vos 10 euros, avec la VO depuis longtemps sortie ou en attendant le DVD pour voir les quelques excellentes scènes.
En fait, les Nouveaux Héros est comme un gamin qui a reçu plein de jouets cools, autant visuels que sur le fond, mais qui préfère jouer avec l’emballage (qui est fort joli d’ailleurs).
BONUS : Qu’est-ce qu’une « escroquerie à l’émotion » ?
Cette technique consiste à mettre en place artificiellement une scène dans le seul but de créer de l’émotion en dépit de la cohérence et de la logique.
Ci-dessous, pour l’illustrer, un MÉGA SPOILER après ce caméo numérique de Stan Lee
A la fin du film, Baymax se « sacrifie » pour renvoyer Hiro et Miss Calaghan dans leur dimension. Il demande à Hiro de le désactiver en disant « Je suis content des soins », ce que le jeune garçon a du mal à accepter. C’est déchirant.
MAIS Baymax a laissé dans son fulguro-poing sa « carte mémoire », ce qui fait qu’il suffit de le mettre dans un nouveau corps. Il n’est pas mort ! Hallelujah !
Malheureusement soit Baymax s’est mis à la torture émotionnelle, soit cette scène ne tient pas debout. On pourrait déjà se demander à quel moment il met la carte dans son poing fermé et comment il peut continuer à « être lui-même » sans. Admettons. On pourrait se demander pourquoi Hiro, ce petit génie, ne pense pas à cette possibilité. Ou à la possibilité qu’il puisse de toute façon revenir le chercher, tout comme ils ont été cherché Miss Calaghan, en reconstruisant un portail. Admettons, il est tout chose, il n’a pas tous ses esprits.
Mais SURTOUT : Pourquoi Baymax ne lui dit pas tout simplement ? Pourquoi ne pas lui dire « non mais c’est bon, je te donne ma carte comme ça je suis pas vraiment mort, c’est cool » ? Hiro serait immédiatement convaincu et ça se passerait bien. Pourquoi maltraiter ainsi ses sentiments en lui imposant un nouveau deuil ? La réponse est simple : parce que sinon la scène ne serait pas émouvante.
Voici, mesdames et messieurs, la technique dite de l’escroquerie émotionnelle.