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Return of the Obra Dinn : Agent d’Assurance Simulator

Le 18 octobre 2018 sortait Return of the Obra Dinn de Lucas Pope, l’homme qui nous avait déjà régalé il y a quelques années avec l’excellentissime Papers, Please. Pope réussissait alors l’exploit de créer un gameplay sympathique avec une composante narrative forte, tout cela à partir du métier pas bien passionnant d’agent de l’immigration. Seule action pouvant être effectué par l’avatar du joueur : valider ou rejeter les visas qui lui sont présentés par des dizaines et des dizaines de réfugiés. Et pourtant, le résultat était un jeu à la réalisation artistique et narrative au top, devenu culte depuis.
De là, j’imagine à peu près la scène suivante. Pope boit une bière avec son pote. Ce dernier lui fait la remarque qu’il lui serait impossible de refaire un jeu aussi passionnant que Papers, Please, en partant d’un métier encore plus connement « inadapté » au jeu vidéo.
Pope se fige, regarde intensément son comparse dans les yeux, et éructe une phrase à mi-chemin entre le rot avec matière et le grognement de défi.

« Hold my beer !… »

Navire de nuit ! Cinq années sans voir la terre…

Voilà 5 ans que l’Obra Dinn, fier vaisseau de la compagnie des Indes orientales, a disparu. Mais miraculeusement, en cette année 1807, le voilà qui reparait, vaisseau fantôme voguant chaotiquement sur les flots au large de la ville de Falmouth. Vous, en votre qualité d’agent d’assurance (#charisme), êtes engagé par la glorieuse compagnie des Indes orientales pour enquêter sur les conditions mystérieuses de la disparition de l’Obra Dinn et de son équipage. Votre mission est simple, du moins sur le papier : retrouver et identifier les 60 membres d’équipage, et découvrir précisément ce qui leur est arrivé.

À peine un pied posé sur le pont du menaçant vaisseau que déjà, vous remarquez un corps. Plutôt un squelette d’ailleurs, desséché par les mois et les années passés à griller au soleil. Alors que vous vous approchez, votre avatar sort une montre à gousset marquée d’un crâne, et l’enclenche. Un effet classieux et une petite musique à laquelle vous allez rapidement vous habituer plus tard, un court dialogue sans images, et vous voilà renvoyé au moment précis du décès du cadavre qui trainait là.

Le temps est figé dans cet instant, que vous pouvez explorer à votre guise, en tournant autour des différents personnages présents. Si les causes de la mort de notre charogne apparaissent clairement, son identité et celle de son agresseur restent floues. On devine déjà une relation entre les deux, un passif important. À vous d’aller plus loin, de remonter le temps avec chaque nouveau cadavre, jusqu’à faire la lumière sur les destins des 60 membres d’équipage de l’Obra Dinn.

Ils ne sont jamais rentrés, les rugissants de l’Atlantique !

Si découvrir le destin de chaque membre d’équipage n’est pas des plus difficiles, puisque vous constatez de visu la mort de chaque cadavre rencontré, trouver l’identité de chacun est déjà un objectif plus complexe. Bien heureusement, en votre qualité d’agent d’assurance, on vous a fourni une liste des membres d’équipage et de leur fonction. Se renseigner sur les postes occupés et bien garder en tête les langues entendues au détour des conversations seront le nerf de la guerre. Tous ces détails permettront en effet de découvrir bien souvent par élimination, parfois à tâtons, l’identité de chacun des membres d’équipage inscrits au registre.

Surtout, pour pouvoir découvrir qui est qui, il va falloir s’éloigner du drame dépeint au cours des flashbacks. Ne plus rester fixé sur la tragédie mortifère, mais s’en éloigner pour pouvoir observer, ici, un officier et celui que l’on suppose alors être son second en pleine discussion ; là, trois amis russes jouer aux cartes. Le quotidien qui reprend ses droits à quelques mètres de l’horreur.

Les russes, une bande de joyeux drilles. Reste à savoir qui est Sergeï et qui est Boris…

L’horreur oui, le mot n’est pas trop fort, tant l’histoire de l’Obra Dinn dévoilée au fur et à mesure de nos découvertes macabres, semble être celle d’un vaisseau maudit, condamné sans même le savoir. L’inéluctable, nous en avons conscience en notre qualité d’enquêteur sur le drame, mais ce n’est pas le cas des personnages que l’on observe, ignorants que la mort rôde sur le navire.

En somme, Return of the Obra Dinn déroule une histoire que l’on a peut-être déjà vu, (quoique sous des traits différents, et je vous renvoie à l’excellent livre The Terror de Dan Simmons, et à l’adaptation sérielle réalisée par AMC et chroniquée sur le Cri !), mais que l’on nous conte d’une manière propre au jeu vidéo. Des photographies en trois dimensions, explorables à l’envie, et qui nous narrent leur histoire autant par le drame que par la fameuse narration environnementale.

Obra Dinn donc alors !

Mais avant même ce génie narratif que l’on ne découvre qu’au fil des heures qui s’écoulent, la première chose qui saute aux yeux lorsqu’on lance Return of the Obra Dinn, c’est bien entendu son ambiance graphique rappelant les vieux jeux Macintosh Plus, mais en 3D : le moteur du jeu est apparemment ce qui aurait pris le plus de temps à maitriser à ce cher Lucas Pope. L’homme semble être très attaché à cette esthétique d’ailleurs, puisque l’un de ses premiers jeux, The Republia Times (2012), est totalement ancré dans le style. Et autant le dire de suite, le résultat est largement à la hauteur avec une ambiance du coup très vaporeuse, pourrait-on dire en 8 lettres, brumeuse.

Si l’on ajoute à cela les formidables musiques composées toujours par l’homme orchestre qu’est Lucas Pope, aux sonorités graves et sardoniques (comme savaient l’être, déjà, les pistes de Papers, Please), on peut parler de carton plein pour l’ambiance qui suinte de la coque de l’Obra Dinn. Et on a aucunement l’envie d’écoper.

Return of the Obra Dinn est un de ces petits bijoux comme on en voit peu, de ceux qui changent complètement notre façon d’appréhender une histoire et les moyens de nous la raconter. Car ce n’est pas tant par ses flashbacks figés que le jeu nous trouble, mais par tous les détails que l’on perçoit dans ces tableaux en trois dimensions, pour peu que l’on s’éloigne légèrement du drame qui nous est dépeint. Alors, on comprend, on voit un village de connaissances et de relations se tisser. De l’humain. 
À travers ces graphismes stylisés et ces instantanés mortels, on voit se dessiner dans Return of the Obra Dinn l’humanité dans son quotidien, l’horreur dans ce qu’elle a de plus extraordinaire. Un jeu à la difficulté austère, pourtant à faire à tout prix pour tous ceux qui aiment les histoires et les façons atypiques de nous les conter.

Narfi

Narfi a été accueilli au sein du Cri malgré sa nature de troll des forêts du Périgord, une sous espèce cohabitant rarement avec ses cousins des plaines Limougeaudes (Petrocore constituant la seule exception connue des Trollologues) Crasseux et vulgaire, poète dans l'âme, il aime à rester au fond de la tanière pour lire des bédés et jouer sur son PC, insultant de sa bouche pleine de poulet frit tous ceux croisant son chemin dans les dédales des internets.

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