Sérievores

The Killing, polar par temps froid

Il vient des moments où le sérivore acharné, se sentant plus américain que les américains, se découvre des envies d’ailleurs. Il connaît ces bons vieux US of A sur le bout des doigts, East Coast to West Coast en passant par la Louisiane et le Nouveau-Mexique, tous ces décors lui sont familiers, et leurs coutumes étranges sont devenues son quotidien.

Lors donc, il scrute autour de lui, décide de sagement ignorer l’escadron de mangas qui le frôlent, et se rend compte qu’en fait de nombreuses séries de pays voisins ou presque sont régulièrement disponibles grâce à un médium archaïque auquel il n’aurait jamais songé : la TV. Voyez-vous ça. Oui, il se trouve que la série dont nous allons parler vient d’Europe et est passée à la TV française.

 

Par une froide nuit de novembre

The Killing, Forbrydelsen pour faire plus couleur locale, est donc une série policière. Et ça commence par un meurtre. Une lycéenne ordinaire qui étudie, sort, et – oh mon dieu ! – a une vie sexuelle, est retrouvée morte dans le coffre d’une voiture. Histoire de compliquer les choses, cette voiture appartient à la campagne d’un candidat à la mairie de Copenhague. Les suspects s’empilent. À la manière d’un True Detective (bien qu’antérieure, étant sortie en 2007), la série suit le principe d’une enquête = une saison. Vingt épisodes, c’est beaucoup, ça n’est pas trop. On va avoir tout notre temps pour s’attarder sur les personnages, et tous les bouleversements que ce meurtre et l’enquête impliquent : le deuil des parents n’est pas caricaturé vite fait, leur impuissance et leurs tentatives de participer font partie intégrante de l’enquête, qui se traine, qui se retrouve dans des impasses.

On assiste à des très belles performances d’acteurs pour la mère à fleur de peau et le père gros bourru taciturne qui semblent tous deux sur le point d’exploser salement.De même, l’ombre du commencement d’une suspicion de quelque chose est un gros pavé dans la mare politique. La gestion de crise en plein milieu du sprint final d’une campagne électorale est très convaincante, en plus d’être exotique vue d’ici, mais on y reviendra.

TroelsLui aussi vous l’avez déjà vu, hein ? Hein ? Mais oui, c’est le président Petrov ! Et Magnussen dans Sherlock !

 

Le maire sortant est l’universel vieux qui s’accroche par tous les coups fourrés possibles. (Enfin, coups fourrés danois hein ! Pas non plus de hitman ou de photos compromettantes avec des femmes de mauvaise vie…) Et au milieu de tout ça, Troels Hartmann (Lars Mikkelsen), le candidat sur-charismatique et blessé par la vie, qui vole quasiment la vedette.

Sarah Lund, son pull, sa bouderie…

Et puis il y a l’héroïne évidemment. L’enquêtrice, la chieuse, l’handicapée sociale, j’ai nommé : Sarah Lund (Sofie Gråbøl)! Bien sûr ça fait longtemps que le paysage audiovisuel mondial a intégré des femmes à la tête des enquêtes policières, mais c’est bien plus rare de les voir à ce point affligées de tous les défauts qui rendent leurs homologues masculins « cool ». Mais voilà, Sarah Lund est une femme, et Sarah Lund n’est pas cool. Elle a une mère envahissante, un fils ado en crise, et un copain qui s’accroche comme il peut mais croit en elle. Sa garde-robe est limitée, elle ne sourit jamais, et elle est pour le moins compliquée à percer à jour.

Et elle va se retrouver avec le quasi-traditionnel « nouveau collègue un peu cowboy avec qui elle va se friter, puis gagner son respect grâce à son flair ». Si on rajoute les conflits avec la hiérarchie, dont les plus hautes instances sont évidemment sur un siège éjectable dès qu’il s’agit d’enquêter sur « le pouvoir », on retrouve un paquet de codes du polar noir.

 

Le Danemark, si loin, si proche

En fait si vous avez bien suivi, vous aurez déjà remarqué qu’il n’y a rien de particulièrement original dans tous les thèmes abordés. Cependant dans The Killing, les codes sont respectés mais utilisés à bon escient. A l’occasion quand on reconnaît tel ou tel cliché, on ne soupire pas d’agacement face à un « passage obligé » qui n’apporte rien. Bon évidemment, on n’allume toujours pas la lumière pour traquer les méchants dans un bâtiment abandonné, mais… ça passe. Et puis ce n’est pas dans l’attente d’une révolution du genre qu’il faut regarder The Killing.

Et là, ce n’est même pas une suggestion, il FAUT regarder en VO. Admettez de ne rien capter, amusez-vous à reconnaitre les quelques emprunts à l’anglais et ressortez de tout ça en maîtrisant quelques mots (principalement « merci » et « putain »)… En bref, mettez-vous dans le bain, ici on est « ailleurs ».

C’est plein de petits détails exotiques qui rendent cette série si différente vue d’ici. Le simple fait d’être dans un pays froid où il fait noir très tôt et flotte souvent (oui, ça se passe en novembre tant qu’à faire) contribue déjà à la tonalité générale. Vu de l’intérieur, on retrouve évidemment toujours ce petit côté Ikea. Après tout la Suède est à peine un pont plus loin.

Littéralement un pont plus loin

Et c’est là qu’on découvre tous ces petits réflexes culturels, qu’ils soient français ou américains, qui nous imprègnent habituellement, et qui pour le coup volent en éclats. Là-bas, la police est polie avec les suspects, et a tellement besoin de preuves pour les mettre en taule qu’on en trouve ça perturbant. Le lycée a l’air d’un établissement privé « alternatif ». Et puis la politique… En France c’est pas compliqué, il n’y a qu’un débat face à face tous les cinq ans, c’est entre les deux tours de la présidentielle. Là-bas les candidats débattent tout le temps, dans des lieux publics, et ils essaient d’avoir des arguments ! Quelle drôle d’idée ! Et quand le gouvernement veut faire passer une loi sur la sécurité, il essaie absolument d’avoir l’accord de l’opposition, et même d’un maximum de partis. Genre, il leur demande leur avis ! Qui irait faire une chose pareille par chez nous ?

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Bref, il y a quelque chose d’étonnamment reposant à voir cette série qui va se risquer à parler de politique, y compris étrangère, mais aussi d’immigration et de racisme, le tout en étant à la fois impliqué car ces sujets sont évidemment les mêmes que chez nous, mais avec la distance nécessaire (une bonne journée de bagnole !) pour que ça ne nous renvoie pas à tout ce qu’ils peuvent avoir de pesant dans notre quotidien. On a ici un point de vue décalé qui pousse à la réflexion sur l’universalité du problème.

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Avec tout ça, n’oublions pas que The Killing est avant tout un polar « gris » de très bonne facture, avec des personnages attachants, une histoire bien menée, et un dénouement qui ne déçoit pas. Bon, et de l’exotisme. Que demander de plus ? Le rythme est suffisamment soutenu pour donner envie d’enchaîner les épisodes, et la fin arrivée, on en voudrait bien encore un peu.

Ça tombe bien, deux saisons supplémentaires de dix épisodes ont été tournées, avec essentiellement des nouveaux personnages tout aussi intéressants. Et toujours Lund, égale à elle-même voire pire, ce qui est encore mieux pour nous autres spectateurs sadiques.

 

 

Une réflexion sur “The Killing, polar par temps froid

  • Lamamma

    Ooooh ! Un djeun qui sait écrire…

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