The Outsider : l’enfer, c’est les autres ?

Les peurs les plus simples sont souvent les plus effrayantes et on peut dire qu’avec H-P Lovecraft, niveau ambiance angoissante, on est servi ! Pour mettre ce maître de l’épouvante fantastique à l’honneur, Tobye a eu envie de vous faire découvrir (ou redécouvrir) une œuvre assez atypique de l’auteur : The Outsider ou Je suis d’ailleurs, qui fut publiée pour la première fois en avril 1926, dans le magazine Weird Tales. Pour vos beaux yeux, elle a farfouillé dans sa bibliothèque afin de présenter cette nouvelle à travers une adaptation manga de Gou Tanabe, qui est parue en France dès 2009.

Le manga se présente sous la forme d’un recueil composé de plusieurs petites histoires, dont trois sont issues d’auteurs, ma foi, plutôt connus, du début du siècle dernier (Lovecraft, Tchekhov et Gorki), et cinq autres récits originaux du dessinateur. Mais nous allons seulement nous intéresser ici à son adaptation de la nouvelle de Lovecraft, The Outsider, qui donne son titre au manga.

Noir, c’est noir

L’adaptation manga fait une trentaine de pages, à l’image de la nouvelle de Lovecraft qui est relativement courte… Courte mais bordel, efficace ! Le récit n’a aucun lien avec le mythe de Cthulhu ou d’autres œuvres de l’auteur américain, il se construit autour du personnage d’un jeune homme amnésique qui cherche à s’échapper d’un château où la nuit règne et de retrouver sa mémoire, avec pour compagnons des rats et des ossements. Pour l’ambiance champêtre et ptits z’ozios, on repassera !

Déjà dans la nouvelle, l’atmosphère que crée Lovecraft est sombre et pesante. Son style d’écriture est simple mais percutant, il joue avec nos sens entre le clair-obscur et l’odeur putride ambiante. On retrouve énormément dans le texte les thèmes de la mort, de la pourriture et de l’obscurité qui sont contrebalancés par les réflexions du personnage principal en quête de vérité. Pour tout dire niveau figure de style, Lovecraft, les accumulations, il aime bien. Certes, c’est assez risqué car elles peuvent vite alourdir le propos, mais au contraire, dans la nouvelle l’auteur les utilise avec brio afin de renforcer l’ambiance angoissante du texte.

On respire la joie de vivre.

Et on peut dire que Tanabe a su reprendre l’essence cauchemardesque du texte original dans sa version manga. Les dessins sont très sombres et seul le personnage principal ressort de cette obscurité, atmosphère creepy à souhait !

En parlant dessin, la patte de Gou Tanabe est facilement reconnaissable avec son style assez particulier qui semble se situer entre la tradition nipponne et européenne. Alors, on aime ou on crie à l’hérésie, mais personnellement je trouve son style juste et percutant ! Malgré un premier abord déstabilisant du dessin, la technique du mangaka est bien présente : que ce soit dans l’expression du personnage ou dans les détails des paysages. Le dessinateur joue entre des plans larges et serrés, de sorte que l’on se trouve parfois dans le même état de désorientation que peut ressentir le personnage principal durant son aventure. D’ailleurs sur ce point, il semblerait que Tanabe cherche, peut-être même plus que Lovecraft, à ce que l’on s’identifie au personnage et à faciliter l’immersion (finalement assez courte mais réussie) dans le récit.

L’autre, c’est moi

Qu’est-ce que tu fous, Régis ?!

Dans la nouvelle et le manga, le jeune homme est à la fois le personnage principal et le narrateur du récit, même si son identité n’est jamais dévoilée (on l’appellera donc Régis). L’ensemble de l’histoire se rythme autour de son ressenti et de ses pensées. C’est ce qui rend atypique cette nouvelle parmi les œuvres de Lovecraft, qui n’a pas pour habitude de traiter les émotions humaines au centre de ses écrits. On s’attache donc d’emblée au personnage principal (ou plutôt au seul personnage) qui nous confesse sa détresse et sa solitude au milieu des livres et des ruines oppressantes.

Régis en cours d’escalade !

Alors, on suit ce mec dans sa lutte pour atteindre la lumière, en tentant de s’échapper de ce château désert, et l’atmosphère nous tord peu à peu le bide. Elle est angoissante, car à travers le périple du personnage, le lecteur est confronté à des peurs primitives et profondes. L’obscurité omniprésente, l’enfermement, la confrontation à la mort et surtout, la solitude dans un monde que l’on ne comprend pas et sans aucun souvenir de sa vie passé. Les pires angoisses quoi ! Les deux auteurs jouent avec notre esprit que ce soit par les mots et par les images, faisant en sorte que le lecteur se sente directement touché par les émotions du narrateur qui erre dans des ruines lugubres. Et niveau émotions, c’est un peu le grand 8 chez le p’tit gars : mélancolie, lutte, espoir, incompréhension puis l’horreur avant la résignation. En évitant de tout spoiler parce que vu la longueur de l’histoire, ce serait du gâchis, on peut déjà dire que ce n’est pas la joie pour le jeune amnésique, et ça fait mal au cœur, un peu. Oui, parce qu’on en a un quand même, dans cette carcasse de troll !

Finalement, The Outsider donne l’impression d’être le tableau de la condition humaine vue par Lovecraft, voir de la sienne, allez savoir ! Dans tous les cas, la nouvelle a profondément touché Tanabe, au point de l’adapter à travers ses dessins, comme il l’explique dans le manga. L’horreur n’est pas traitée à travers du gore et de la violence, mais le dénouement se pointe comme une claque dans la face. La lecture des dernières images, des dernières lignes amène un moment en suspens, avant de nous laisser avec un goût amer. Et l’effroyable vérité pour le personnage nous est renvoyée comme un miroir, un peu dérangeant. On pourrait penser que le fantastique prend le pas sur l’horreur, mais je dirais plutôt que l’épouvante est traitée de façon inhabituelle et maîtrisée en crescendo, même s’il est certain que le lecteur ne va pas se prendre la plus grosse frayeur de sa vie (mis à part les âmes sensibles), sans pour autant le laisser indifférent, au contraire ! Tout est psychologie mes braves gens !

L’adaptation manga par Gou Tanabe complète parfaitement la nouvelle The Outsider de H-P Lovecraft. Le mangaka avec son style original s’est approprié le récit en lui restant fidèle, même si l’approche de Tanabe dans le traitement du personnage est quelque peu différente de celle de Lovecraft. La seule vraie frustration vient sans doute du peu d’information que l’on a sur ce personnage anonyme dont on suit l’histoire pendant quelques instants. Des instants sombres et oppressants, l’ambiance horreur fantastique est au rendez-vous ! Ici, on rend le monstrueux humain et l’humain, étranger, d’un monde qu’il rêvait de découvrir !  Je ne saurais que trop vous recommander de lire le manga The Outsider de Gou Tanabe (dont je traiterai l’ensemble du recueil dans un prochain article), ainsi que la nouvelle de H-P Lovecraft car elle manque à être connue !

Tobye

C'est dans les vallées vigneronnes de l'Entre-deux-Mers que se trouve l'antre de Tobye, jeune trolle du Cri. Entourée de mangas et autres vieux bouquins, elle aime se perdre dans les méandres de l'internet à la recherche de pépites à se mettre sous la dent. Un godet de pinard à la main, évidement.

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