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[Sortie DVD] The Salvation, le western chez les Vikings

 

Un peu à la manière du péplum, le western repointe timidement le bout de son nez dans l’actualité cinématographique, bien que le genre ait été déjà inventé et réinventé, à se demander s’il lui reste une place au delà de la mythologie rude qui s’est imposée à nous comme norme. Le western spaghetti, que personnellement j’affectionne, a en effet renversé le champ des valeurs, démoli le mythe du colon civilisateur, du pionnier vertueux, pour un univers violent et sans foi ni loi : l’inquiétant Ouest sauvage qui habite encore complètement notre inconscient collectif.
Les colts, le whisky bu à grandes rasades viriles et le cigarillos mâchonné par des bonhommes crasseux aux trognes dantesques, tout cela fait littéralement parti des poncifs fixés, entre autres, par le grand Sergio Leone.
Les productions récentes ont à dialoguer avec cet héritage et celui qui nous occupe ici a choisi le parti, risqué, de l’hommage.

 

 

Une question de gueules !

Avec la frimousse de vierge éthérée de Mads Mikkelsen on comprend de suite dans quel registre se place l’oeuvre.
Sans rougir, elle se positionne aux cotés des bobines les plus aguicheuses des films de Leone tel que celles de Clint Eastwood, Charles Bronson, Jason Robards, Lee Van Cleef, jusqu’à celle, surréaliste, de Klaus Kinski.

Klaus Kinski For a Few Dollars More
Lee Van Cleef et Klaus Kinski dans Pour quelques dollars de plus.

Mikkelsen était pratiquement destiné à venir fouler les steppes arides de l’univers des westerns dans le registre de Leone. A ses cotés, Jeffrey Dean Morgan et même notre Cantonna national s’intègrent bien à l’univers de méchants pistoleros mais je retiendrai surtout le rôle campé par Mikael Persbrandt. Mais ne nous éternisons pas davantage sur le casting, il est surtout emblématique des choix dans le traitement du western par Kristian Levring.

Si les jeunes premiers ne sont pas de mise c’est que le réalisateur a choisi de réinvestir les codes du western spaghetti. L’hygiène douteuse des protagonistes, la sueur perlant à grosses gouttes sur les fronts burinés répond à la thématique. Mads et Mikael par exemple ont le cheveu gras et collé en improbables mèches, et sont nippés d’oripeaux sales et usés. Il y a là une volonté explicite d’authenticité un peu désuète mais très rafraîchissante.

Lumière et pédantisme

Parallèlement à cela les recherches, parfois chaotiques, sur les choix de lumières d’ambiance ancrent bien le film dans le présent, dans une modernité qui a connu les environnements graphiques des films de Zack Snyder ou de Robert Rodriguez par exemple. Un certain pli a été pris de nos jours et on tend à magnifier le réel à grand renfort d’éclairage et de numérique, quitte à se déconnecter de la beauté brute de la nature. Ainsi un des reproches courants au nouveau Conan est ce traitement finalement très artificiel des décors quand ceux du film de John Milius brillaient par leur authenticité. On a relevé les mêmes critiques au Hobbit en l’opposant sur ce point à ses illustres précédents.

Sans aller jusqu’à tous ces extrêmes, The Salvation a néanmoins mis à profit ces questions et tenté une approche moins naturaliste de la lumière que dans ses modèles anciens. C’est parfois artificiel mais pas forcément désagréable, en tout cas pas au point de ce que suggèrent certaines jérémiades que l’on peut lire de-ci, de-là…

 

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Certains plans de paysages sont absolument magnifiques et totalement naturels, sans la moindre fioriture. Je me demande encore ce que l’on peut reprocher visuellement à ce film…?

 

Si le film rencontre une limite sur ce point c’est à la fois en collant à une époque et aussi sans doute face à un manque de moyens financiers.
C’est particulièrement visible dans certains effets visuels ratés, comme les divers incendies ou lors de l’image de fin. Mais franchement, ces points ne sont-ils pas mineurs ? Je sais bien que nous sommes baignés quotidiennement dans une ère de frénésie esthétique au cinéma, où un film comme Avatar a pu passer pour un chef d’œuvre ultime alors qu’il n’a à proposer concrètement que de belles images techniquement supérieures à tout ce qui avait été fait jusque-là. Il me semble bon de raison garder et de ne pas envoyer aux orties une œuvre pour la moindre errance de ce type. Les inepties scénaristiques semblent moins choquer par exemple.

Un scénario : je vais vous faire roter vos tripes bande de moules

De ce point de vue The Salvation ne révolutionne absolument rien. Fidèle aux codes du western spaghetti, le film suit une logique de vengeance contre un ordre tyrannique oppressant une communauté. La petite originalité est peut-être que le héros n’apparaît pas d’emblée comme un roc indestructible et impénétrable. Au contraire on l’aborde par ses sentiments gauchement révélés à ses proches.
Cela ancre le héros dans un schéma proche de celui que l’on peut voir dans A history of violence, bien que l’image de Mads Mikkelsen ne soit jamais aussi lisse que celle qu’affecte Viggo Mortensen.

 

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Toute l’œuvre s’articule donc autour de la rupture dans l’existence du héros, de son basculement vers un passé refoulé, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

Poursuivons sur le déroulement du propos ; ce qui structure ce renversement de perspective est la tension, une tension permanente qui prend aux tripes et ne se relâche jamais vraiment, jusqu’au générique de fin.

The Salvation n’est pas un film où l’on respire. On reste crispé dès la scène de la diligence. On n’a de cesse de se raccrocher avec les protagonistes à des statu quo intenables où la résolution de l’action agit comme une fuite en avant dans l’histoire et conduit naturellement à un dénouement dans la tradition du genre. Je n’en dirais pas plus, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous glisser un méchant spoil furtif.

Mais revenons-en à la trame narrative.

L’histoire se déroule dans l’Ouest américain, la terre de tous les possibles, où les âmes égarées du monde viennent quérir richesse et prospérité dans la jeune nation naissante.
Les protagonistes sont danois, ils sont venus reconstruire une existence rompue, dans la vieille Europe, par les canons de la Prusse triomphante en voie d’unification de l’Allemagne nationaliste. La courte guerre connue sous le nom de Guerre des Duchés n’est que la première étape de cette unification allemande qui devait, peu de temps après se faire tant aux dépends de l’Autriche que de la France (saurez-vous relever la petite référence qui y est faite ?). En somme, en toile de fond, c’est toute la pesanteur des sociétés européennes que des hommes fuient pour trouver la liberté. Ils la rencontrent au détour d’un État lointain qui domine mal ses marges, et à travers ce qu’elle a de plus pernicieux. C’est la loi du plus fort qui est donc de mise. Les faibles se cherchent des héros et c’est toute une mythologie américaine qui se fait jour dans une œuvre danoise

Le film aborde le thème opposé de la lâcheté comme contre-point afin de discuter les comportements des hommes confrontés à de telles situations. Un moment, mettant en scène un jeune homme, porte à son paroxysme cette idée. Doit-on se battre ? Est-ce que l’on n’a vraiment plus rien à perdre ? Agir malgré le danger ? Dans les replis de l’histoire c’est aussi le cas des profiteurs qui est abordé, d’ordures sans la moindre vergogne, presque aussi détestables au final que le « méchant suprême » du film. Les échos lointains d’un dessein plus vaste replacent la situation dans tout ce qu’elle a de négligeable pour ceux qui la voient de loin…
Il faudrait entrer en zone spoiler pour en dire davantage, mais cela ne nécessite guère de longs discours, mieux vaut encore s’en faire un avis personnel.

Rythme en colt majeur

En tout cas l’accent a été mis sur un certain réalisme. Outre les costumes et les hommes crasseux dont j’ai parlé plus haut, il y a la mort. Jamais les corps ne tombent comme des masses seulement parce que c’est le héros derrière le colt. Il en résulte un véritable acharnement qui accentue l’implacabilité des protagonistes et l’horreur qu’ils inspirent. Quand Mads se venge il ne règle pas ça comme un sniper adepte du « one shot » et glisse dans une férocité qu’il tentait de réprimer. Les fusillades sont intenses, rythmées de façon implacables par des coups de feu violents qui claquent comme le tonnerre. C’est presque une mélodie macabre qui s’égrène à l’écran et qui cloue un peu plus le spectateur dans son fauteuil. Mais les détonations ne sont pas les seules à procurer cette sensation et vous verrez, cher lecteur, une scène où une simple porte battante de western peut servir de déflagration puissante pour lancer le temps de la sauvagerie.
Ajouter à cela un réalisateur qui joue savamment avec sa caméra et tente des plans audacieux et vous aurez au bout une belle immersion dont rien vraiment ne vient vous sortir.

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Un plan qui claque

 

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Soyons clair, nous étions trois rédacteurs du site dans la salle et notre impression générale fut la même, nous avons souligné le bel ouvrage accompli. Pour ma part j’ai eu l’impression d’assister à une renaissance dans notre époque d’un genre éteint depuis des lustres, rempli de pittoresque et de fureur. Beaucoup de critiques ont eu un regard absolument incompréhensible sur ce film, souvent chargé de dédain convenu. A tout détester cela donne une image de connaisseur torturé à qui l’époque contemporaine ne sert que de la cendre… Il est assez vain de méditer sur l’âge d’or et plus intéressant d’aller voir ce film.

 

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

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