Blackkklansman : Quand la haine se fait troller
Salut, jeune lecteur studieux. Ça va ? La reprise s’est bien passée ? Ton bronzage ne s’est pas fait la malle trop vite ? Vous m’avez manqué en tout cas, toi et ton air blafard à la lueur de ton PC. Moi de mon côté, tout roule, même si tu t’en fous probablement. Côté teint de pêche, ma complexion de peau se rapprochant plus d’un enfant de la lune que d’une naïade aux allures de bombasse, j’ai passé mon été à l’ombre. Non pas en taule, mon pauvre, mais au cinoche.
Pendant longtemps, la période estivale a été synonyme de désert en matière de films, entre grosse comédies bien franchouillardes qui tâchent (salut les fans de Camping) et blockbusters qui auraient pu être écrits par mon neveu entre deux rototos (non, ce n’est pas Shrek, mais il a 9 mois, alors tu l’excuses).
Alors je dois t’avouer que voir un film de cette envergure sortir un 12 août, ça m’a un peu laissée comme deux ronds de flan. La petite bombe dont je cause, c’est Blackkklansman, le dernier joint de Spike Lee, prix du jury au dernier festival de Cannes.
Car n’en déplaise à ses détracteurs, Spike Lee est une figure importante du cinéma américain. Souvent sous estimé ou critiqué, polémique et grande gueule, il n’en demeure pas moins que le type en a sous le pied. Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec ce nom, c’est le réalisateur de plusieurs films qui ont su marquer les générations, et interroger l’opinion publique sur le traitement racial aux États-Unis, notamment celui des Afro-américains. Je pense tout particulièrement à deux de ses films, le memorable Do the right thing, nommé à la palme d’or à Cannes en 1989, chronique de quartier où un simple fait menait à un engrenage de violence brutal, et au biopic Malcolm X, et porté par un Denzel Washington au sommet.
Et en 2018, Spike Lee est plus que jamais un cinéaste militant, Blackkklansman en étant la preuve indéniable.
Ron Et Flip, Badass Motherfuckerz
Alors de quoi ça cause cette affaire, te demandes-tu ? Laisse moi te conter ça en quelques mots.
Déjà, sache que l’histoire que Spike raconte dans ce film est vraie, aussi incroyable que cela puisse paraître.
En 1979 à Colorado Springs, un noir est devenu policier, pour la première fois de l’histoire de la ville. Ce mec, c’est Ron Stallworth , Afro toujours en place et répartie maline. Après un entretien d’embauche pour le moins arbitraire, le voilà flic. Bon au début, le type est aux archives, s’emmerde royal et se fait insulter par ses collègues rednecks qui avalent pas trop le cachou de se coltiner un collègue noir. Bref, bonne ambiance au commissariat. Puis un jour, son boss lui propose une mission, sous couverture. Aller écouter Stokely Carmichael, aka Kwame Ture, à savoir un membre influent du mouvement des Black Panthers. A cette occasion, il rencontre Patrice, militante et présidente du club des étudiants Afro-Américains de Colorado Springs, avec qui il aurait bien envie de faire plus que parler activisme.
Fort de cette mission undercover réussie, il monte en grade rapidement et devient un officier en civil, plus enquêteur que documentaliste. Et en lisant le journal, Ron tombe sur une annonce de recrutement plutôt surprenante. Une annonce du Klu Klux Klan.
Petit aparté pour rappeler l’histoire de cette organisation raciste américaine, prônant la suprématie de l’homme blanc, qui fut fondée au milieu du XIXe siècle, avant de revenir sur le devant de la scène facho en 1915 avec le film Birth of a nation, film mettant en avant les membres du Klan et les sudistes pro esclavagisme. Donc on est pas sur une assemblée de chics types, mais plutôt sur du bouzin par paquets de 12, cherchant le meilleur moyen de haïr son voisin un peu trop bronzé.
Coup de génie ou éclair de stupidité, Ron appelle au numéro laissé dans l’annonce. Un mec le rappelle, lui demande ce qu’il veut. Ron sort son argumentaire de parfait petit fanatique qui déteste tout ce qui n’est pas blanc, et séduit le mec qui lui propose de lui envoyer quelques documentations (sans doute charmantes) et éventuellement de le rencontrer afin qu’il puisse rejoindre l’Organisation.
Une infiltration à deux visages
Ron accepte, prêt à tout pour infiltrer le Klan et faire tomber tout ces tarés. Sauf que petite tuile, Ron est noir. Donc autant au téléphone, et ce malgré les doutes de son patron, ça passe crème (de un, comme il le dit lors d’une scène, il peut parler autant de manière châtiée que de façon plus ghetto, et de deux, dans les 70’s être noir signifiait parler nécessairement comme Huggy les bons tuyaux pour nombre de mecs mal dégrossi un peu fini à l’urine), autant en face à face, le subterfuge va avoir du mal à tenir plus de deux secondes.
Mais que nenni se dit Ron, qui arrive avec une idée aussi bancale que géniale. Faire passer un de ses collègues, Flip, bon gars bien blanc, pour Ron le faf lors des rencontres avec les membres du Klan, pendant qu’il continuera à les leurrer par téléphone, ayant déjà établi un contact. Deux Stallworth pour le prix d’un. Un en audio et l’autre en live. Que demander de plus ?
Bon le plan est pas parfait, mais suffisamment malin et improbable pour marcher. Et ça marche. Les bouseux du Klan se font berner par ce sang neuf et bouillonnant de haine pour tout ce qui n’est pas blanc, sauf Félix, psychopathe en puissance, plus à l’extrême droite que l’extrême droite elle même. Les mecs trompent leur monde de petits réacs brûleurs de croix à l’aise.
Mais à force d’être plongés au cœur de tout ce discours puant et de ses idéologies toutes pétées, Ron et Flip commencent à s’interroger sur eux-mêmes. Une des scènes les plus marquantes du film est celle où, dans le sous sol de Félix le furieux, Flip doit se prêter à un détecteur de mensonges afin de prouver qu’il n’est pas juif, l’obsession continuelle de Félix. Sauf que Flip est juif. Mais lui ne s’était pas posé la question de ses origines. On lui a dit qu’il était juif, il l’a assimilé, mais n’en a pas fait grand cas. Il n’a pas été élevé « de manière juive ». Il est comme ça, c’est tout. Alors quand il entend ce gros débile de Félix nier l’Holocauste, et qu’il se retrouve obligé d’en rajouter une couche en balançant les pires réparties antisémites de la planète, ça le pousse à réfléchir un peu à ses origines, ce bon vieux Flip. Une des plus belles phrases du film pour moi est celle où, lors d’une discussion entre lui et Ron, il accuse ce dernier de considérer cette infiltration comme une croisade, alors qu’il s’agit d’une enquête policière afin d’empêcher ces tarés de commettre des crimes raciaux. À ce moment là, fatigué de devoir se confronter à tant de haine envers ses origines, il dit en y faisant référence » Je n’y pensais pas avant, maintenant je ne pense qu’à ça« .
La haine du Klan à l’égard de ce qu’il est le pousse à se confronter à ses racines et à son héritage culturel et religieux. C’est un des plus beaux moments du film tant l’on sent le tiraillement du flic qui tente de garder du recul et de l’homme un peu à bout à force d’entendre des saloperies fascistes à longueur de journées.
Blackkklansman nous fout en pleine gueule l’interrogation que chacun peut avoir sur son origine, quelle qu’elle soit. Pourquoi sommes nous l’ennemi d’un autre ? Qu’ont fait mes ancêtres, quand bien même ils aient commis une faute ?
À quel moment est-on considéré comme un paria ? Une couleur de peau, un sexe, une religion ? L’importance de notre histoire personnelle et de son implication dans la grande Histoire est une des nombreuses pensées qui nous traversent à la vue du film.
Le film pose également la question de l’intégration desdites minorités. Ron est noir, donc il ne peut pas être flic. Il est flic, donc il ne peut pas être pour l’avancée des droits des Afro-américains. Ce second point de vue est amené à travers le discours de Patrice, qui ignore pendant la très grande majorité du film que Ron est un policier, étant donné qu’elle les méprise au vu des bavures pas glorieuses que certains accomplissent auprès des Noirs de Colorado Springs. Ron lui cache donc, et parle avec elle d’engagement et de culture afro américaine, pendant qu’au commissariat, il papote OKLM au avec David Duke, grand Manitou du Klan à l’époque, sur les meilleurs moyens de reconnaître un Noir au téléphone. Difficile de ne pas faire plus schizophrène comme situation. En voulant faire avancer les choses, et aider les Afro-américains de Colorado Springs à s’intégrer et à vivre tranquillement, lui ne s’intègre vraiment nul part dans cet imbruglio. Pas facile d’être Ron Stallworth en somme.
Le Vent Se Lève
Le pouvoir de Spike Lee, sa force à travers toute son œuvre est d’avoir su prendre le pouls des révoltes qui pouvaient gronder au sein de son peuple, à savoir les Afro-américains. Blackkklansman ne détonne pas dans la filmographie de ce dernier, entre autres de part le message extrêmement fort que le film fait passer, au travers de vignettes en début et fin de films, et d’allusions à la politique américaine actuelle ou à l’histoire compliquée que les États-Unis entretiennent avec la population noire.
En début de film, un extrait d’Autant en emporte le vent nous montre à quel point la mentalité souhaitant la soumission des noirs à l’homme blanc a été romantisée par les arts en début de siècle, puis un caméo d’Alec Baldwin en journaliste propagandiste, avec hurlements et photographie à effets rouges pendant son intervention, comme pour nous rappeler un certain président (que Baldwin a d’ailleurs l’habitude d’imiter au Saturday Night Live) . En cours, en passant, presque de façon innocente, une petite piqûre de rappel sur le slogan de campagne de Trump « Make America Great Again » ou sur la possibilité d’avoir un jour un mec pas bien net sur les bords de la tolérance au pouvoir. Les deux meilleurs moments black power apparaissent pour moi en fin de film. Le premier est un parallèle effectué entre deux scènes : l’une où l’on voit les membres du Klan rire et s’éclater devant Birth of a Nation, leur film « fondateur » dont je t’ai parlé plus haut, pendant que chez Patrice un vieil homme (joué par Harry Bellafonte, activiste acharné de la lutte des droits civiques) se remémore un crime raciste arrivé des années auparavant.
La seconde est la scène de fin. On y voit pêle-mêle différentes images des émeutes ayant opposé extrême droite et manifestants à Charlottesville, entre revival du Klan, David Duke qui s’exprime sur les événements et soutient l’alt right, images de jeunes se baladant fiers comme des coqs avec des drapeaux confédérés (symbole raciste aux États-Unis, ou tout du moins d’une fierté mal placée et de mauvais goût), Trump s’exprimant avec son fameux « good people on both sides » (VF : des bons, autant du côté de l’extrême droite que du côté des manifestants de Black Lives Matter) et enfin, image du meurtre d’une manifestante, écrasée par une voiture conduite par un néo-nazi ayant foncé dans la foule. Le nom de cette jeune fille était Heather Heyer. Le film lui est dédié.
À chaque instant, partout dans le monde, la lutte contre les inégalités raciales continue. Et ce film a sa place sur le champ de bataille. Comme nous le montre Spike Lee, le passé n’est pas derrière nous, il se reproduit peu à peu. Plus qu’une mise en garde, c’est une poire en pleine tronche qu’il nous assène, nous forçant à regarder en face la réalité du monde actuel qui joue sur les peurs et polarise les haines passées pour mieux les utiliser. Il ne reste qu’à souhaiter que ce crochet du gauche nous réveillera. Moi il m’a bien secouée et m’a laissée KO.
All the power to all the people.