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Au revoir là-haut : la guerre ne s’arrête pas à l’armistice

La guerre devait se finir avant Noël, c’était la promesse des généraux faite à la France lorsqu’ils se sont engagés dans ce qui allait devenir pendant quatre longues années la première guerre mondiale. Cependant le calvaire des Poilus ne s’est pas arrêté avec la fin de la guerre, malheureusement pour eux le retour à la vie civile ne fut pas de tout repos. Au revoir là-haut est un roman de Pierre Lemaitre qui va, par le biais de la fiction, nous présenter cette période d’après-guerre et si je vous en parle aujourd’hui, ce n’est pas juste pour troller mon rédac-chef en parlant de ce qui s’est passé après la première guerre mondiale en pleine semaine SUR la première guerre mondiale, mais bien parce que ce roman m’a mis une claque monumentale et que le prix Goncourt qu’il a reçu (information que je n’ai eu qu’après la lecture du roman, je vis dans une grotte) est amplement mérité. En plus l’histoire commence le 2 novembre 1918 donc techniquement c’est encore la première guerre mondiale pour au moins neuf jours donc je suis quand même un peu dans le sujet.

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Trois jeunes tambours s’en revenaient de guerre

Comme je le disais plus haut, l’histoire commence le 2 novembre 1918 avec une énième charge de l’armée française pour capturer une énième butte située à quelques dizaines de mètres de la tranchée. C’est un peu la routine pour Albert Maillard qui après quatre années sait exactement ce qui l’attend passé la petite échelle.

monument aux mortsPourtant cette charge est différente, tout le monde sait que la guerre est en train de se terminer, les troupes ne sont plus motivées pour y aller mais quand un éclaireur se fait allumer sous les yeux de tout le monde, le sang ne fait qu’un tour et l’assaut est lancé. Dans le chaos Albert va remarquer quelque chose d’étrange en trouvant le cadavre de l’éclaireur, cette balle dans le dos, c’est quand même bizarre et c’est en se retournant qu’il comprend : le lieutenant d’Aulney-Pradelle compte bien passer capitaine avant la fin des hostilités en capturant cette maudite butte. Mais leurs regards se sont croisés, la vie d’Albert est maintenant en danger (enfin, encore plus en danger) et alors qu’ils commencent à s’affronter Albert est soudainement enterré vivant par l’explosion d’un obus. Finalement ce ne seront pas les balles ou le lieutenant qui l’auront eu mais plusieurs centaines de kilos de terre qui le condamnent à l’asphyxie.

Dans le noir et plongé dans la terreur la plus totale Albert devient fou et c’est à peine s’il se rend compte qu’il est sauvé au seuil de la mort par Édouard Péricourt qui verra sa bonne action récompensée quelques secondes plus tard par un éclat d’obus qui lui emporte la moitié du visage.

Dans quelques jours ces trois hommes vont revenir à la vie civile et c’est par le prisme de leurs points de vue qu’une époque se révèle sous nos yeux. Un pays qui cherche à tout prix à panser ses blessures le plus rapidement possible mais sans avoir les moyens de le faire, une resocialisation des soldats tuée dans l’œuf parce qu’ils sont tout simplement trop nombreux pour qu’on puisse s’en occuper, le deuil de centaines de milliers de familles qui réclament les corps de leurs disparus… Et Albert et Édouard, liés par le destin, qui vont tenter de se dépatouiller de tout ça. Drôle, tragique, belle, pleine de suspense, l’histoire que nous conte Pierre Lemaitre ne se contente pas d’être un brillant exposé d’une période charnière, elle va bien plus loin que ça, les personnages sont attachants même s’ils ont d’horribles défauts, l’intrigue se situe toujours à la frontière entre réalité historique et fiction, sans fioriture ni emphase juste du talent de la première à la dernière page.

Un monument (aux morts) de classe

Du talent, Pierre Lemaitre en a à revendre et c’est à un feu d’artifice de style auquel on a droit à la lecture de l’œuvre. Basculant constamment entre narrateur omniscient et point de vue interne de ses personnages, l’action est décrite avec une précision chirurgicale, il ne lui suffit que de quelques mots, d’un changement de narration, pour que le lecteur comprenne exactement ce qu’il se passe. Cela sans même avoir l’impression d’y toucher, l’auteur se permet même régulièrement des apartés pour nous, (un magnifique : « je parie que vous l’aviez oublié ce personnage-là » lorsqu’il ramène effectivement un personnage secondaire au bout de plusieurs chapitres ou un « quand je vous disais qu’il était lent ») qui font mouche à chaque fois. On a réellement l’impression d’avoir une conversation avec lui tant tout coule de source et est décrit simplement. Cependant il n’oublie jamais qu’il a une histoire à nous raconter et sait s’effacer pour nous ré-immerger dans l’intrigue.

 

Une immersion d’ailleurs totale puisqu’au bout d’un moment, il suffit d’un changement de style, d’une manière de décrire pour que retentisse dans notre tête la voix du personnage qui vient de prendre la parole. Personnellement c’est la mère d’Albert qui m’a particulièrement marqué de ce point de vue là, elle n’apparaît jamais vraiment au cours de l’histoire mais à la fin du bouquin on a vraiment l’impression de la connaître, elle n’est jamais décrite précisément, quelques mots tout au plus, mais pourtant j’entendais clairement le son de sa voix pleine de reproche, vomissant ses méchancetés à propos de son fils à d’autres personnes, l’air de rien en buvant un café autour d’une table…

CP_St_L_Monument_aux_morts_14-18C’est ce genre d’impressions qui nous font dire qu’on lit un chef d’œuvre et que les prix qu’a reçu le livre sont vraiment mérités. Pourtant avec un style pareil il est plutôt étonnant que Pierre Lemaitre n’en ai reçu que pour ce livre-là. Pour comprendre il faut se pencher un peu sur sa biographie, en effet l’homme est principalement auteur de polars or ceux-ci ont mauvaise presse auprès des hautes instances qui décernent toutes ces récompenses. Pourquoi ? A cause d’un préjugé qui commence à sérieusement accuser son âge qui consiste à penser qu’un polar est forcément un roman de gare, écrit à la va-vite pour une consommation rapide. Et quand un auteur de polar décide de s’écarter de son style de prédilection, ils lui décernent toutes les récompenses possibles y compris l’une des plus prestigieuses d’entre toutes, le prix Goncourt.

Espérons que ce soit le premier pas vers un renversement de ce préjugé, moi pour ma part je ne vais pas faire la fine bouche et je vais m’empresser de lire le reste de son œuvre.

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Au revoir là-haut emprunte son titre à la dernière lettre adressée à sa femme par le soldat Jean Blanchard injustement fusillé en 1914 et dans laquelle il écrit « Au revoir là-haut ma chère épouse ». Ce titre illustre parfaitement cette dualité qui ancre le récit dans une réalité historique tout en s’en affranchissant pour raconter l’histoire de ces deux compagnons d’infortune, le traumatisé et la gueule cassée au sortir de la Grande Guerre. C’est une fiction qui nous montre l’ambiance d’une époque, un peu à la manière de Steinbeck dans Des souris et des hommes, avec une même relation d’entre-aide à ceci près que cette fois celui qui paraît le plus handicapé est en fait un génie que la guerre a broyé. Inattendu, tant dans son intrigue que dans sa narration, poétique et touchant, Au revoir là-haut est un livre incontournable que je recommande à tous que vous soyez passionné par la Der des Ders ou non.

Nemarth

Cet individu est un gobelin fait homme. Hautement imprévisible, il représente un danger pour la Société. A éliminer à vue.

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