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Carmen illustrée par Benjamin Lacombe : à la découverte d’un monde entre Lumière et obscurité

Si toi cher lecteur, as toujours entendu parler de cette fameuse Carmen (ouiiiii, l’opéra de Bizet tout ça tout ça) mais n’as jamais eu l’occasion de te plonger dans cette courte nouvelle de Prosper Mérimée (c’est son nom, j’y peux rien) parce que bon, les classiques c’est bien mais c’est parfois barbant ; j’ai l’honneur de t’annoncer que le moment est enfin venu pour toi de sauter le pas et de te cultiver un peu.
Et pourquoi maintenant ? Me demanderas-tu avec tes yeux effarés. Et bien très cher ami, je te répondrai qu’une merveilleuse édition de la nouvelle Carmen est récemment apparue pour nous proposer les illustrations de M. Benjamin Lacombe. Comment ça qui c’est ? Mais si, le génie reconnu par le Time Magazine pour son tout premier livre jeunesse Cerise Griotte. Non ? Toujours pas ?
Alors voilà, Benjamin Lacombe, c’est ça :

Ah ben là tout de suite, tu te dis « ah mais oui, je connais » ! ©Editions Soleil / Benjamin Lacombe

Un mélange entre cauchemar et féérie

Des illustrations hautes en couleurs mais sombres à la fois, où s’entremêlent gothisme et innocence. Des têtes disproportionnées, des yeux immenses qui vous fixent de leur regard teinté de folie, des décors et personnages creepy au possible (désolé mais en français c’est moins bien) et beaucoup de grands classiques revisités, voilà l’essence même de Benjamin Lacombe.
Et Carmen n’échappe pas à cette ambiance si particulière que seul M. Lacombe arrive à créer grâce à son imagerie unique. Cette œuvre revisitée vous hypnotisera grâce à la vision imagée de cet illustrateur et vous passerez des heures à observer ces personnages qui, un peu comme ces vieilles poupées de porcelaine, vous observent sans relâche de leurs immenses pupilles et vous poursuivent jusque dans vos plus profonds cauchemars.

Bien que l’illustrateur soit issu de la littérature jeunesse, avec Carmen, nous n’avons pas l’impression de nous trouver face à un livre pour enfant. Nous retrouvons certes les motifs propres à ce type d’illustration, comme les visages enfantins et les traits tout en rondeur, mais ici, ce sont pourtant bien obscurité et mystère qui règnent en maître. Comme vous aurez l’occasion de le constater par la suite en vous plongeant dans cette nouvelle, la première impression de Carmen, offerte par la couverture, dépeint à la perfection le personnage imaginé par Prosper Mérimée. Benjamin Lacombe expliquait lui-même avant la sortie de cette édition :

Pour moi, Carmen était l’archétype de la femme fatale, belle et dangereuse.

Alors c’est pas beau ça ?! ©Editions Soleil / Benjamin Lacombe

Pari réussi donc, car dès le premier coup d’œil, on peut littéralement dire que l’on en prend plein les mirettes !!
Le livre en lui-même est tout simplement MA-GNI-FIQUE. Une couverture noire, très sobre, sur laquelle on peut entre-apercevoir le visage délicat de notre fameuse Carmen entouré de sa mantille, imprimé directement en relief.
Le titre d’un rouge flamboyant entre en contraste direct avec la sobriété du fond et annonce l’ambiance obscure du livre avant même de l’avoir ouvert. C’est donc un véritable livre-objet que vous aurez le plaisir d’avoir entre vos mains, le genre qui pourrait aisément terminer en item décoratif dans votre salon.

Bon, tout ça pour dire que dès le départ, ça s’annonçait quand même plutôt bien.

L’amour est enfant de bohème, il n’a jamais, jamais connu de loi

 Alors Carmen, ça parle de quoi ? Parce que bon, les illustrations c’est sympa, mais nous parlons bien ici d’une nouvelle illustrée et non pas d’une BD.

Même en noir et blanc c’est classe

Pour faire court – parce que je n’ai pas très envie de vous perdre en cours de route – c’est l’histoire d’une bohémienne, un peu sorcière quand même (ce n’est pas moi qui le dit, c’est le texte), qui séduit et utilise les hommes pour parvenir à ses fins. Enchaînant les amants, c’est un être manipulateur et libre qui n’écoute que ses désirs. 
Une femme charmante donc, dont la description est parfois plus un prétexte à la découverte de l’univers espagnol qu’un conte bohémien. On le ressent d’ailleurs très bien dans les descriptions et cette nouvelle m’a parfois donné l’impression de me trouver plus face à un guide touristique de 1840 sur l’Espagne qu’à une histoire à propos d’une femme-sorcière.

Le style d’écriture en lui-même m’a, malgré moi, plutôt déçu. À de nombreuses reprises, je me suis vue courir après mon cerveau qui décidait de partir en Express pour la Guadeloupe plutôt que de faire face au phrasé lourd et parfois sans relief de Prosper Mérimée.
C’est d’ailleurs dans ces moments-là que les illustrations de Benjamin Lacombe viennent apporter un instant de fraîcheur que l’on accueille plus que volontiers.

Il faut dire que le coup de crayon de M. Lacombe s’accorde parfaitement bien avec le caractère de Carmen, présentée comme une véritable femme enfant. Elle va constamment osciller entre les « oh mon merveilleux José-Maria » et « ah, tu ne veux pas faire ce que je te demande et effectuer telle ou telle fourberie ? Très bien, tu es trop méchant et je ne t’aime plus, NA ».

À eux deux, Benjamin Lacombe et Prosper Mérimée offrent au lecteur un combo absolument parfait entre adulte et enfance, que l’un exprimera à travers le caractère de Carmen et l’autre grâce à ses illustrations à fois enfantines et métaphoriques. Et peu importe le fait que ces illustrations arrivent 177 ans après la première publication de cette nouvelle (oui, j’ai calculé), le mélange fonctionne juste à merveille !

De la sorcière tu veux, de l’araignée tu auras

Hormis la visite historique offerte par l’auteur, Carmen c’est surtout l’histoire d’une femme séductrice face à laquelle personne ne peut résister. Et il faut bien admettre que l’on se laisse très facilement envoûter par ce personnage mystérieux et caractériel !

SpiderCarmen, l’héroïne qui capture les hommes plus vite que son ombre ©Editions Soleil / Benjamin Lacombe

Prosper Mérimée parvient à nous faire partager ce mélange de peur et d’attirance généré par l’apparition de la bohémienne, en nous proposant une narration du point de vue de son futur amant. En tant que simple lecteur, nous ne pouvons qu’assister avec impuissance à la chute de ce pauvre homme. Tel un petit insecte sans défense, l’amant de Carmen va littéralement se laisser prendre dans les mailles du filet délicatement tissé par cette charmante créature en moins de temps qu’il ne faut pour dire Espagne.

Et c’est d’ailleurs avec l’image de la femme-araignée que Benjamin Lacombe va jouer tout au long de cette œuvre. Il utilise cette métaphore filée dans chacune de ses illustrations pour un résultat des plus étourdissants. Au fil des pages (ah ah fil =araignée = gros humour… non ? Bon tant pis), on se prend facilement au jeu de « trouver l’araignée » sur chacune des illustrations, représentation plus ou moins visible selon les dessins.

Alternant l’utilisation de la peinture à huile et gouache pour les illustrations en couleur et l’encre de chine pour celles en noir et blanc, M. Lacombe dépeint avec brio cette véritable enchanteresse, tout en maintenant une forte connexion au texte. C’est ainsi que vous pourrez observer un dessin de Carmen avec sa mantille se terminant en queue de serpent pour servir d’illustration à la page évoquant la « rue du serpent ». Personnellement, quand je vois ce genre de choses, je crie au coup de génie !!

J’ai également été grandement séduite par l’illustration finale qui nous présente une Carmen bien sombre comme on l’aime, entre une Ophélie gothique et un dessin de Victoria Frances. Je n’aurai qu’une chose à ajouter : merci Benjamin Lacombe pour ce magnifique voyage !

 

Allez tiens vas-y, tu as le droit de pleurer tellement c’est beau ! ©Editions Soleil / Benjamin Lacombe

Cher lecteur, tu l’auras compris, ce livre a été pour moi une superbe découverte et a d’ores et déjà trouvé une place de marque dans ma bibliothèque.
Si tu es passionné d’images et te complais parfois à analyser les petits détails, alors cette version de Carmen est définitivement faite pour toi. Tu te verras inlassablement tourner ces pages de papier glacé pour découvrir et redécouvrir cette véritable icône de la femme fatale.
Grand classique de la littérature, Carmen reste une nouvelle incontournable que l’on se doit d’avoir lu au moins une fois, ne serait-ce que pour la culture générale et enfin comprendre qui est cette célèbre créature !
Ne t’attends cependant pas à trouver des phrases hautement littéraires, Prosper Mérimée était également historien et archéologue, et les détails historiques prennent à mon goût, parfois un peu trop le dessus sur la qualité de l’écriture.
Mais n’aies crainte cher ami, le magnifique travail de Benjamin Lacombe te fera très vite oublier les quelques phrases simplistes que tu pourras rencontrer et tu laisseras bien volontiers cette mystérieuse Carmen t’ensorceler.

 

Ams

Prenez un grand bol d'imagination et versez à votre guise. Ajouter un soupçon de sensibilité et une bonne pincée d'horreur. Saupoudrez le tout de comédies musicales diverses et variées, puis incorporez des romans à volonté. Mélangez énergiquement et laissez reposer. Félicitations ! Vous venez d'invoquer Am's, tout simplement.

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