From Donald to Childish : Gambino et Glover, la personne aux deux personnes
Ola, quetal mi petit lecteur préféré ? Comme tu peux le remarquer, au lycée, j’avais pris allemand en seconde langue. Et hormis commander une bière et une salade de pommes de terre, j’ai pas énorme de vocabulaire teuton. Mais enfin, je suis pas venu pour lire un article sur le fait que Kamelamela est ein scheisse en deutsch, es-tu en train de te dire ? Et tu as, pour une fois dans ta vie, raison mon petit chaton.
Aujourd’hui, on va encore causer d’un sujet qui claque et qui fait du bruit, mais je ne vais pas me concentrer sur une œuvre en précisément, mais revenir sur la carrière d’un petit gars dont tu as peut-être entendu parler, que tu as déjà sûrement entendu rapper, et dont le visage ne t’es pas inconnu.
Ce cher Donald. Non, je ne parle ni de Duck, ni de Trump, qui a à peu près autant de flow que le cabillaud que j’ai bouffé à la cantoche ce midi.
Je te parle de Donald Glover. Mais tu le connais aussi peut être sous le nom funky et décalé de Childish Gambino.
Reprenons dès le début pour ceux du fond qui suivent pas et se lancent leurs crottes de nez.
Donald Glover, c’est le mec multi-talents aux États-Unis aujourd’hui. Celui que les Américains pourraient qualifier de « triple threat » (triple menace). En effet, le mec sait tout faire, et avec brio qui plus est. À la manière d’un Dolan ou d’un Astier, capable de tenir un projet de A à Z, alliant conception, écriture et réalisation, Glover a réussi à créer au fil des années un univers bien à lui, inventif et conscient des problèmes qui divisent les USA.
Mais là où le gazier se place encore sur le haut du panier du talent outre Atlantique, c’est qu’il est aussi bon derrière un micro, un stylo ou une caméra. Multi-talents je te dis le Childish !
Un mec et deux noms
L’histoire commence dans la banlieue d’Atlanta, dans les années 80. C’est ici que grandit Donald, enfant de la classe moyenne, au sein d’une famille témoins de Jéhovah (comme quoi tu peux être con comme un balai et enfanter un génie).
Après le lycée, il intègre la célèbre école d’art TISCH à New York, dont il sort diplômé dès 2006 en écriture dramatique. Le mec a alors 23 ans.
En parallèle de la fin de ses études, Glover est contacté par deux personnes qui se sont montrées impressionnées par un script d’épisode des Simpsons que ce cher Donald avait griffouillé.
Il s’agit de David Miner et de Tina Fey, tout les deux producteurs exécutifs sur la série culte « 30 rock » et poids lourds de la comédie américaine (Tina Fey qui imite Sarah Palin vaut le coup d’être regardé chaque jour de ta vie mon gars). Le voilà, au début de sa vingtaine, auteur sur une série adulée par la critique et les téléspectateurs. Moi à 23 ans, j’apprenais à faire les lacets et j’ai encore du mal si tu veux. La parfaite mise en image du deux poids deux mesures, quoi.
Mais Glover veut être plus qu’un auteur. Donc il monte aussi des bits, petits morceaux de comédie qu’il joue sur scène ou tourne avec les mecs de la Derrick Comedy, troupe d’humoristes 2.0.
Mais c’est en 2009 que va se créer l’opportunité pour Donald Glover de se faire connaître du grand public. Il est en effet engagé par Dan Harmon (papa de Rick et Morty) pour intégrer le casting de la série Community, série mettant en avant le quotidien d’un groupe de révision composé de losers adorables au sein d’une université peu cotée (un community college aux USA, d’où le titre).
Dans le rôle de Troy Barnes, ancien quarterback qui découvre son côté nerd et fait les 400 coups avec son pote Abed, Donald crève l’écran. Il quitte le bateau (private joke pour ceux qui ont vu la série, les autres, z’aviez qu’à suivre) lors de la saison 5, afin de se concentrer sur d’autres projets. Et quels projets j’ai envie de te dire !
Car en plus d’être un acteur et un auteur reconnu, je te l’ai déjà mentionné plus haut, Donald Glover est aussi un rappeur. Et c’est loin d’être un des plus mauvais en plus. C’est salaud, ces gens qui transpirent le talent par tous les pores de leur peau, je te l’accorde.
Pour rapper, Donald a décidé d’utiliser un autre nom, séparant donc de manière officielle ses différentes carrières. Après un tour sur un site Internet qui génère automatiquement quel nom serait le tien en version Wu Tang Clan (le lien par ici,http://www.mess.be/inickgenwuname.php)Donald Glover devient Childish Gambino. Tiens, teste donc, histoire de voir si ta Street Cred est la même après pimpage.
Et côté musique, le premier album du petit gars, Camp, balançait déjà dès 2011 la sauce niveau rimes riches et créativité des paroles. C’est que Childish est doué pour dénoncer l’hypocrisie des Ricains et leur puritanisme, tout en mettant en avant sa propre success story. La chanson Bonfire en est le parfait exemple, à écouter plutôt très fort au casque (je recommande également le visionnage du clip, bien fucked up).
Avec Because the Internet en 2013, et Awaken my love en 2016, composés de chansons où Gambino joue avec les différentes modulations de sa voix et parle autant d’amour déçu que d’envie de gloire, il assoit sa notoriété en tant qu’artiste musical, avec option hipster au fil de performances recherchées mais souvent un chouia perchées. Tape « Pharo experience » sur YouTube pour en avoir le cœur net.
Le mec est un caméléon, capable de rapper sur un album puis de chanter sur celui d’après, au grand dam de ceux qui aimeraient bien lui coller une grosse étiquette pleine de UHU.
Mais c’est en créant sa série et en sortant un des clips les plus marquants de la décennie que Donald/Childish est, pour moi, entré dans la légende.
Made in Atlanta
En 2016, le premier épisode de la série Atlanta, écrite et produite par Donald Glover est diffusé sur la chaîne américaine FX. La série traite d’une myriade de sujets au travers du parcours de Earn, incarné par Glover, et de son histoire avec sa famille et ses potes. C’est pas bien compliqué, Earn a quitté Princeton, ses parents l’ont à moitié renié, las de devoir le financer, et la mère de sa fille l’héberge. En clair, il est pas au top de l’American Dream, avec son petit boulot merdique à l’aéroport.
Mais en renouant avec son cousin, un rappeur en passe d’être connu nommé Paper Boi, Earn voit la possibilité de se sortir de sa situation pourrie.
Atlanta étant la ville à côté de laquelle Glover a grandi, pas étonnant qu’il ait choisi celle-ci comme terrain de jeu. Mais c’est aussi et surtout un melting pot culturel, et une mine à pépites du rap US (je pense notamment à Gucci Mane, T.I ou encore Outkast).
Avec un background hip-hop pareil, la série trouve le parfait écrin, qui lui permet de se développer et de devenir rapidement un petit bijou de la télévision américaine. Car là ou The Get Down, ou encore Empire force parfois sur la caricature, notamment du bling, Atlanta ne nous épargne aucune remise en question ou moment de loose de ses personnages.
Earn le dit dès le pilote, ça n’est pas un type ordinaire. Il est en effet très malin. Mais cela ne nous est jamais montré comme cela peut être le cas d’un Malcolm dans la série du même nom. Earn est malin, dans un monde où pas grand chose ne lui réussit, et où ses camarades de jeu ont eux aussi plus d’un tour dans leur sac. Il arrive difficilement à convaincre son cousin de l’embaucher comme manager (« You’re too Martin, I need Malcolm » lui dit Paper Boi, lui indiquant qu’Earn est loin d’être le plus combatif de tout ses apprentis impresario), il a l’impression que le sort s’acharne, et c’est parfois un peu le cas, sans vouloir te spoiler.
Les virtuosités d’écriture de Glover sont légion dans cette série comme par exemple, le moment où après une énième galère, il demande à un mec dans le bus pourquoi cela lui arrive à lui, et s’il existe une espèce d’équilibre dans l’univers qui ferait que les perdants seraient là pour rendre la vie facile à ceux à qui tout réussit.
Ou encore le moment où, au commissariat, il se trouve dans la même pièce qu’un mec qui boit l’eau des toilettes, et qui au lieu de rire du spectacle de ce mec qui est en garde à vue toutes les semaines, dit à voix haute « Mais pourquoi ce mec est là toutes les semaines ? Il a besoin d’aide. », qui reste pour moi une des scènes mettant le plus en avant la sensibilité de cette série.
L’écriture d’Atlanta ne nous impose jamais une image de la jeunesse noire américaine en mal de tout, mais nous distille subtilement des clefs de réflexions, laissant libre choix au public d’interpréter les idées de la série comme bon lui semble. Aucun personnage n’est vraiment un winner, aucun n’est complétement impardonnable, ils essayent tous de garder la tête hors de l’eau.
La magie de cette série se trouve dans le storytelling avec des segments qui ne ressemblent pas à ce que l’on trouve habituellement à la télévision. L’épisode 6 de la seconde saison intitulé Teddy Perkins en est le parfait exemple. Il se distingue par une longueur inhabituelle pour la série (41 minutes et il fut d’ailleurs diffusé sans coupures publicitaires, fait suffisamment rare à la télévision pour être relevé) et sa rupture de ton avec l’humeur plutôt douce-amère de l’histoire, car il s’agit ici d’une véritable histoire d’horreur mettant en scène Glover dans le rôle titre, un homme inquiétant qu’un de ses potes Darius rencontre à l’origine pour des cours de piano. Ce qui a marqué l’opinion, c’est le fait que ce cher Donald ait choisi d’interpréter Teddy Perkins comme étant un homme blanc.
Certains y ont vu un exercice de style, d’autres une dénonciation du white washing (l’appropriation culturelle par des acteurs blancs de personnages de couleurs). Je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse, tant la question d’être Afro-Américain semble être au centre de l’œuvre de Glover depuis quelques années.
A-t-on besoin de préciser que Donald Glover a gagné 2 Emmy avec Atlanta en 2017, un comme acteur et l’autre comme réalisateur dans la catégorie série comique ? Oui, car c’est le premier homme noir à avoir gagné ce dernier prix. Il est donc entré dans l’histoire ce soir là.
Le sang et le feu
Puis, il y a quelques mois, Glover, toujours sous le nom de Childish Gambino, a sorti un nouveau morceau, intitulé « This is America », accompagné d’un clip qui a retourné la tronche de ceux qui l’ont vu.
Comme tu l’as compris, Childish/Donald ne se prive d’aucune forme d’art pour exprimer ses émotions et opinions. Très rapidement qualifiée de vidéo de l’année par nombre d’articles un peu putaclik, je sentais déjà le parfum du souffre et de l’irrévérencieux avant même d’avoir cliqué sur le lien.
Parlons un peu de ce clip.
Réalisé par Hiro Murai, fréquent collaborateur de Childish sur Atlanta, le clip met en scène le rappeur dans un grand hangar/parking désaffecté, qui s’adonne tantôt à des danses, tantôt à des tueries. Nombre de décryptages sont vite apparus sur internet, disant tous à quel point le clip était violent mais nécessaire, et surtout comment Gambino avait réussi à encapsuler en quelques minutes l’air du temps américain. Le voir danser, lui homme noir, torse nu avec un pantalon gris de l’armée confédérée est un des premiers symboles forts du clip. Les danses qu’il pratique, ainsi que les poses qu’il prend font penser à toutes les représentations des noirs bien puantes d’une époque « Banania », notamment son mouvement rappelant Jim Crow, représentation illustré d’un esclave qui a fait le tour des États-Unis à une époque.
Les scènes de violences par armes à feu font évidemment écho à toutes les tueries qui ont lieu chez les yankees ces derniers temps. Plusieurs subtilités sont à relever, comme le fait que Gambino tire mais qu’on lui retire l’arme des mains dès qu’il les tends, sans encombre ni gêne, pendant qu’il continue de rapper face camera. Selon moi, cela souhaite évoquer à quel point les médias notamment pro Trump (fox News) ont tendance à dévier la narrative de base, tel que les armes à feu et leurs règlementations, après une tuerie pour se focaliser sur la personne et notamment son ethnicité. Dans un pays où la NRA est reine, le coup donné est fort.
De plus, en observant l’arrière plan du clip, on se rend vite compte qu’un paquet de trucs s’y passent. On voit par exemple un cheval blanc, monté par une personne recouverte de tissu noir et suivi d’une voiture de police. Une reconstitution religieuse ? Attention instant biblique les cocos !
L’apocalypse de Saint Jean nous dit ceci :
« Et je vis paraître un cheval de couleur pâle. Celui qui le montait se nommait la Mort, et l’Enfer le suivait. On leur donna pouvoir sur la quatrième partie de la terre, pour faire tuer par l’épée, par la famine, par la mortalité et par les bêtes féroces de la terre. «
Et si, juste par cette image en arrière plan, qui dure 3 secondes, Gambino dénonçait les violences policières en se servant de la religion ?
Le clip est truffé de petits instants comme celui-ci, comme cet homme que l’on voit se jeter dans le vide , ou ces gens que l’on voit filmer ce qui se passe sans intervenir, toujours en arrière plan.
Pendant ce temps là, Gambino et sa bande dansent. Comme pour couvrir ce qui se passe. Comme un pickpocket qui secoue la main gauche pour te divertir pendant qu’il te déleste de ton larfeuille avec la droite. Belle critique d’une société qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
Bien joué Childish, et si c’est la fin de l’aventure Gambino comme tu l’as dit il y a quelques mois, tu pars au sommet frère.
Donald/Childish est un mec aux talents multiples, tu l’auras compris. Aussi à l’aise devant que derrière la caméra, au chant qu’en gros rap qui claque, il est le fruit d’une génération à qui on a trop demandé, trop jeune. Il représente tout ce que l’Amérique glorifie en terme de succès, en bon Midas des temps modernes, tout ce qu’il fait se transforme en or (et de qualité l’or, pas un vieux truc type 4 carats). Sa sensibilité et son regard sur le monde en font un des artistes les plus complet et intéressant de sa génération. Soyez pas cons, votez Donald en 2020 les Ricains. Mais choisissez le bien, un malheur est vite arrivé. En attendant, prends soin de toi petit lecteur, et vas donc t’ambiancer sur le hip-hop envoûtant de Childish en rêvant de déambuler dans les rues d’Atlanta.