Kingdom : une époustouflante et zombiesque réussite

Kingdom m’avait laissé froid comme la mort à la sortie de sa première saison sur Netflix en janvier 2019. Au premier coup d’oeil, j’avais vu dans ce projet Sud Coréen une éééénième série avec des zombies dont on nous gave la gueule jusqu’à écœurement depuis des années. Autant vous dire que je n’étais pas le plus chaud du monde pour me relancer dans des grougrous gutturaux et des orgies de chairs arrachées avec des dents pourries… Même si son côté dépaysant était tout de même attirant, l’omniprésence de ces créatures dévoreuses d’humains sur tous les médias avait eu pour effet immédiat de me faire fuir et détourner la tête de tout ce qui se rapprochait de près ou de loin de ces teubés neurasthéniques. On pouvait résumer mon propos ainsi : « des zombies putain, encore des zombies toujours des zombies ! OSKOUR ! ».

Quelle ne fut pas mon ERREUR.

Mais ça, je ne le découvris que tout récemment, durant cette période de confinement inédite qui poussa ma curiosité à supplanter ma défiance. Et comme la vie est bien faite, c’est aussi durant cette période que la saison 2 du bouzin pointa le bout de son nez sur Netflix.

Bref, je m’en vais de ce pas vous en dire un peu plus sur cette série formidable. Oh ne faites pas les outrés, je vous avais déjà spoilé le verdict dans le titre.

Un pouvoir dévorant

Corée, ère Joseon, aux alentours de 1600 ap J-C, soit quelques années après les invasions japonaises. Nous nous retrouvons ici sur une terre traumatisée où la famine sévit et où la restructuration de l’appareil d’État passe par un cloisonnement intense du pays entre les mains d’une famille régnante. Le royaume est exsangue, convalescent, et porte les stigmates de la guerre à tous les niveaux. Seul le roi incarne encore la force quasi divine et la stabilité. Problème : ce dernier serait atteint par une maladie qui ne tardera pas à quitter les murs de l’enceinte royale, puis foutre un sacré zbeul dans toute la contrée en transformant les gens en créatures démoniaques avides de chair humaine… et vectrices de la maladie, par morsure (ouais bon des zombies quoi !). En attendant, le pouvoir est tenu (retenu, même) par la famille de la jeune reine enceinte, le clan Cho, et surtout par le pater familias Haewon Cho. Celui-ci voit en ce bébé à naître une voie toute tracée pour prendre officiellement le pouvoir, et placer son sang sur le trône. Tout ceci au détriment de l’autre héritier légitime, né d’une précédente union : le prince Chang.

Vous l’aurez compris immédiatement en lisant ces quelques lignes de résumé, Kingdom n’est pas qu’une vulgaire série zombiesque où les gentils vont buter les méchants mort-vivants. C’est avant tout un jeu de trône où les intrigues de cour font évoluer une histoire haletante, donnant la part belle aux trahisons et aux complots. Mais là où Walking Dead (puisque la comparaison est inévitable) privilégiait le prisme de « l’humain est le seul véritable ennemi », ici nous nous retrouvons avec un savant dosage. Oui, l’épidémie qui arrive est une sacrée belle merde ; elle va mettre en danger tout le monde, amis, ennemis, femmes, enfants, soldats, héros… Le péril est total, les volontés de pouvoir et la bassesse humaine n’en sont que plus scandaleusement mises en scène dans cette ambiance de fin du monde où l’urgence appellerait une trêve utopique. Voilà la très grande force de Kingdom : ne négliger aucun détail, et surtout, surtout, suivre une ligne de cohérence et de crédibilité tout au long de ces deux saisons.

TATATA je vous vois venir avec vos a priori par rapport au cinéma asiatique, vous allez me dire que voir des mecs sauter dans les airs c’est pas très cohérence-friendly ! Avouez, vous pensiez kung-fu dès que vous avez vu la tronche des acteurs hein, bande de WACISTES ! Eh bah, déjà, non. Y’a pas de kung-fu. Et ensuite, n’oubliez pas que nous sommes là face à une œuvre asiatique (sans déconner !), avec ses propres codes culturels et ses propres inspirations classiques. Alors oui, on va se retrouver avec deux-trois actions un peu gonzo, mais elles sont toujours effectuées par des personnages héroïques, qui revêtent un caractère quasi mythique. Un peu comme Hercule ou Achille, quoi. D’autant que ces scènes sont tout à fait intégrées et suffisamment bien foutues pour ne jamais tomber dans le ridicule. Et venez pas me faire chier avec le côté what the fuck du cinéma asiatique, alors que voir des mecs se balancer en bagnole d’un avion pour arriver sur une route dans le plus grand des calmes ne vous choque même plus ! Donc voilà, si vous redoutiez ça, j’espère vous avoir convaincu de balancer vos appréhensions ethnocentrées aux oubliettes !

Alors pourquoi que c’est bien ? Pourquoi qu’ce Lazylumps se roule par terre avec des pépites dans les yeux rien qu’en y repensant ? Eh bien tout d’abord, on va partir sur du basique : au premier regard, nom de Dieu que c’est classe ! La photo est somptueuse, les paysages, les palais, les costumes, les décors… On est transporté dans une autre époque, rendue fidèlement avec un souci du visuel ahurissant, et dans un pays si loin de nous que sa représentation à elle seule est déjà un voyage. Réalisée par Kim Seong-hoon, on retrouve ici une véritable patte artistique, un grain particulier et, plus important, une vision. La réalisation est impressionnante de maîtrise et c’est parfois même époustouflant : au même titre que les scènes cultes de Game of Thrones, certaines scènes de Kingdom vous marqueront tout durablement, j’en mets ma main à couper.

Passé l’effet visuel, on se plonge alors dans l’intrigue et ses personnages. Des personnages écrits, ciselés même si je puis dire, tant leurs aspirations, leurs identités et leurs parcours sont construits habilement et sans chichis, sans fioritures. Tous ont un passé qui n’est pas forcément expliqué avec de gros sabots. C’est subtil, c’est malin. Et tous ont cette pression sociale qui les a façonnés dans leur carcan identitaire. C’est ici une volonté Kim Seong-hoon : le réal porte un propos plus général grâce à ses personnages qui proviennent de milieux différents, d’origines sociales aux antipodes les unes des autres, et qui vont devoir travailler ensemble pour se tirer de cette catastrophe en mettant parfois de côtés les barrières sociales.

Adapté d’un web comics que je n’ai pas réussi à trouver (Kingdom of the Gods, de Kim Eun-hee et dessiné par Yang Kyung-il), Kingdom a été librement porté à l’écran, en s’affranchissant du matériau de base qui se voulait plus léger et un peu plus ludique… Et c’est tant mieux. Ici, on va suivre les ravages de cette épidémie et tout ce qu’elle entraînera comme bouleversements concrets, moraux, et culturels (les relations serfs-seigneurs, la place et la légitimité de la noblesse, les jeux de pouvoirs pendant une catastrophe… etc) tout en vivant aussi les intrigues de cour. Un format à la Game of Thrones qui ici tire son épingle du jeu dans son juste dosage, comme dit précédemment. C’est du 50-50, et l’épidémie est, et restera jusqu’au bout, LE PUTAIN D’PROBLEME MAJEUR que les protagonistes devront régler tout en composant avec les vicissitudes humaines qui jamais ne désarment. Aussi haletante dans son côté survivaliste que dans celui des complots, la série vous porte tout au long de ces douze épisodes sans que vous ne voyiez le temps passer.

Des personnages, de la substance, du fond, et de la forme

Deux « familles » de personnages s’opposent donc : le Clan Cho, qui évolue dans les méandres du palais royal ; et la bande du prince héritier qui se retrouve en première ligne pour gérer l’épidémie qui ravage le pays. Au fil des épisodes, on s’aperçoit vite que chacun de ces personnages est écrit de telle façon qu’il devient un archétype, un idéal-type même, pour citer Weber (ouais on a fait des études mon gars kestucrois), qui va transformer ce récit à première vue simple en une véritable odyssée mythologique.

En effet-miroir, on va donc retrouver des personnages bons et généreux opposés à d’autres vils et animés d’ambitions tout à fait différentes : ils confortent ainsi l’idée d’une dichotomie de récit qui se traduit par un manichéisme établi dès le départ. Mais là où Kingdom réussit vraiment son pari, c’est que si l’on peut croire que ce récit simple, avec des ficelles simples, et des interactions « bornées » (le bien contre le mal, les gentils contre les méchants) n’est en fait qu’une facilité de création : il n’en n’est rien. La série choisit de ne tout simplement pas trahir son spectateur. En lui donnant les ficelles dès le début, en posant des personnages centraux que les spectateurs reconnaissent d’emblée, Kingdom établit un pacte créatif avec ces derniers. Il lance ainsi son récit sur un registre maintes fois éculé sans pour autant proposer quelque-chose de déjà-vu (on peut aussi imaginer qu’en faisant ainsi, ils permettent aux spectateurs hors de Corée de s’identifier plus aisément et donc de passer la barrière de la langue et de la culture, qui vole très vite en éclat). Et le faire aussi finement, ça… ça c’est fort.

Explications :

La bande du prince, ou la communauté du sabre

Le prince Chang est le héros principal de l’histoire, lancé dans une quête initiatique qui le mènera au bout de lui-même. Le prince se doit d’être UN PRINCE… et donc agit de telle sorte, en espèce de demi-dieu en quête de reconnaissance qui se doit de ne pas frayer avec le bas peuple et de rester tel ce sacro-saint phare dans la nuit, intouchable. Mais sous son costume, se trouve un homme déchiré entre ce qu’il doit être et ce qu’il veut être, qui ne veut que le bien de sa population, qui navigue à contre-courant des dogmes royaux qui le mettent mal-à-l’aise. Petit à petit, il va se dévêtir de ses artifices pour devenir l’homme qu’il est réellement. Un homme de la situation certes, aux compétences supérieures et à l’aura héroïque, mais un homme avant tout, avec ses fragilités, ses cassures, ses faiblesses, ses doutes… Et qui ne serait rien sans ses compagnons d’infortune qui vont le pousser à sa propre grandeur : le compagnon de toujours,, l’infirmière, l’ancien soldat d’élite… Tous ces personnages vont le façonner, et lui, va se nourrir à leur contact pour devenir ce qu’il doit être : ce héros dont le monde a besoin.

Pour l’épauler, il pourra compter en premier lieu sur son side-kick : Mu-Yeong, son homme de main, son fidèle compagnon. Son Samsagace Gamegie à lui, tout aussi gourmand que le personnage de Tolkien et tout aussi dévoué. Il est la bonhommie incarnée, le premier lien et liant entre le Prince et le reste de son peuple. Il est un instantané de courage et de loyauté, un frère d’armes protecteur, une lame qui seconde le héros dans son aventure. Si j’en parle, c’est parce qu’il est un personnage important qui se retrouve à la fois grand-frère spirituel, tout autant que buddy agissant comme un tuteur pour ce prince ayant grandi à ses côtés. Immédiatement attachant avec sa simplicité, il va rentrer dans votre coeur et ne plus jamais en ressortir.

Chang trouvera aussi à ses côtés le mystérieux Yeong-shin, un personnage ambivalent qui porte un lourd passé et revêt tous les atours du héros vengeur doué de facultés hors-normes, qui veut accomplir sa propre quête aux côtés de ses compagnons. Il est le solitaire qui s’allie par nécessité aux autres pour avancer. Un archétype bien connu qui s’harmonise avec les autres caractéristiques des protagonistes.

Dans le registre guerrier, on pourra aussi citer le seigneur Hyun, véritable opposé du malfaisant Cho. Il est le seigneur Blanc face au seigneur Noir, le père adoptif de Chang…  mais n’apparaît que dans la seconde saison, donc je ferme ma grande bouche pour ne pas vous en dire plus.

Enfin, l’infirmière Seo-bi. Elle est une des rares figures féminines du récit avec la reine Cho, et semble être la compétence incarnée. C’est par elle que l’on va comprendre petit à petit l’origine du mal. Elle est donc l’éclaireuse, la seule qui mène le véritable combat de front pour le bien commun. De par ce côté, elle est en quelque sorte, l’héroïne fil-rouge, celle qui va faire avancer le récit, et, peut-être, lui amener une conclusion. Elle est dans l’ombre des hommes, qui préfèrent guerroyer pour inscrire leurs destins dans le marbre de l’Histoire, tandis qu’elle se retrouve à les ramener au réel, à leur propre condition humaine.

On coche donc toutes les cases : le mystérieux, le loyal, l’intellectuelle, le héros, le père adoptif… Chaque archétype est suffisamment habilement établi, pour que l’on vive le récit comme une épopée lyrique, un conte, une saga mâtinée d’horreur où chaque héros trouvera sa place et sa raison d’être au fil de l’aventure tout en évoluant au contact des autres.

Cho-Cho cacao : les pourris

La reine Cho est le parfait contre-pied de Seo-bi. Elle est l’ambition, la colère, la manipulation… Frustrée de sa condition de femme, elle cherche à s’élever par tous les moyens. Fille du machiavélique leader Cho, considérée comme un simple outil par son père, elle évolue dans un monde d’hommes et cherche sa place tant bien que mal. Elle est l’élément déclencheur. La pierre angulaire du récit arrivé à la moitié de l’arc (je considère la saison 1 et 2 comme un arc à part entière), la bombe à retardement : un personnage indispensable et si habilement développé le long des épisodes que l’on comprend juste avec elle que les scénaristes ont une véritable histoire à raconter. Et qu’ils le font bien.

Son père justement, le leader Haewon Cho… Sorte de Jaffar moderne, d’Iznogoud vénère et ivre de pouvoir, il remplit toutes les caractéristiques du « vilain » : une posture sévère, un accoutrement sombre, un regard tout aussi ténébreux. Il est le mal incarné, la fils-de-puterie stratosphérique, qui voit en l’épidémie le moment tant attendu pour prendre la main une bonne fois pour toutes. Haewon Cho est dans la droite lignée des méchants sublimes, ces génies du mal qui cherchent le pouvoir et le contrôle absolu et qui en ont fait un idéal de vie (l’empereur de Star Wars, Jaffar donc, Fu Manchu). Inverse radical du prince Chang, il conforte l’idée d’une dichotomie de récit manichéen tout en apportant une justesse dans toutes les réactions, actions, et ambitions de ce dernier. Il est joué juste, écrit proprement, sans fioritures, sans excès, sans « surdose » de méchanceté. IL EST PARFAIT.

En parallèle du courageux et mystérieux Yeong-shin, on trouve le lâche Beom-pal, neveu du leader Cho qui se retrouve du côté des gentils malgré lui. Couard risible, pathétique loser, là encore on retrouve une figure connue : le vilain inconséquent, tel que Minus (Cortex et Minus), Robert Crawford (L’assassin de Jesse James) ou encore la Team Rocket. Il est le méchant malgré lui, parce que… ah bah parce que la vie l’a mis du mauvais côté tout simplement. On ne peut s’empêcher de l’aimer, car il est si faible… mais notre pitié se retrouve souvent transformée en colère car… IL EST SI FAIBLE qu’il donnerait sa mère pour se sauver les miches. Mais il est de ces personnages avec une courbe de progression. On croit en lui malgré tout, et cette croyance nous accroche une fois de plus au récit, nous ancre dans le réel fictionnel de l’oeuvre en créant l’attente, le possible. Ce personnage joue avec nous, avec nos nerfs, et nous investit dans l’œuvre.

On en vient donc à haaaaaïïïiïr ces personnages haïssables très fortement car leur écriture nous les rend antipathiques sans forcer le trait. Comme vous le voyez, on reste dans une cohérence de ton et de récit. Tout le temps. Et Dieu que ça fait du bien quand une création va au bout de son propos.

BREF, Kingdom est sortie de nulle part et en douze épisodes, elle a été la série la plus fraîche et novatrice du genre que j’ai pu voir depuis des années. Kingdom est une grande réussite dépaysante, qui dépoussière le genre et l’amène dans des contrées méconnues d’un point de vue visuel, culturel et temporel. Une oeuvre à l’écriture simple mais ciselée, qui ne trahit jamais son projet et ses spectateurs et va au bout de son propos.

En fait, Kingdom est une réussite à tous les points de vue. Une oeuvre complète qui amène le spectateur avec elle et lui propose un voyage dans la création et l’imaginaire. Kingdom est une saga, une épopée quasi chevaleresque, transposée dans la Corée du 17ème siècle avec son lot de héros et de salauds, de monstres et de périls, de combats de sabres et de canonnades. Kingdom c’est un vrai coup de coeur de votre serviteur qui a même éprouvé un brin de tristesse à la fin de la saison deux quand il a su qu’elle était terminée et qu’il n’avait plus d’épisodes à voir ensuite !

En seul micro-bémol après cette démonstration dithyrambique, je terminerai en disant que le terme de la saison deux marque clairement la fin d’un arc qui aurait pu terminer la série entière en apothéose. Mais les showrunners ont décidé de prolonger l’aventure (comment leur retirer ça ? Voilà une série qui dépasse clairement les frontières de leur pays, et marche du tonnerre !)… Attention donc à ne pas tomber dans la surenchère qui fait rallonger les séries, jusqu’à ce que l’intérêt des spectateurs s’amenuise et que l’on conclue le tout en saccageant le propos. Je prie tous les dieux que Kingdom ne tombe pas dans ce travers, et arrive à garder cette cohérence générale… Bien que la dernière scène de la saison deux m’ait fait un peu rager (à base de « Ah non, faites pas les cons bordel… c’était parfait« ).

En trois mots pour conclure : MATEZ CETTE SÉRIE.

 

LazyLumps

Déjà petit, le troll Lazylumps collectionnait les cailloux. Après en avoir balancé un certain nombre dans la tronche de tout le monde, il est devenu le "Rédak' Chef" de la horde, un manitou au pouvoir tyrannique mais au charisme proche d'un mollusque. Souvent les nuits de délire on l'entend hurler "ARTICLE ! ARTICLE ! IL FAUT UN ARTICLE POUR DEMAIN".