Musique

Voïvod – The Wake : le retour du vampire-androïde

Voïvod est un groupe difficile à saisir, c’est un fait. Groupe de thrash-punk québécois formé en 1982 au Québec à l’imagerie très « dark science-fiction », leurs deux premiers albums bien bruts de décoffrage (mais dans lesquels on décelait déjà un sens de la composition prometteur) leur ont permis de se faire un joli petit nom dans l’underground tandis que les devants de la scène étaient squattés par les Big 4 du thrash metal. Le problème avec Voïvod, c’est qu’ils ne tiennent pas en place : leur musique a peu à peu dérivé vers le métal prog, pour ensuite partir vers du cyber-thrash sans concession puis refaire machine arrière etc. Rien de mieux pour une bonne succession de divisions de la fan-base ! Si l’on ajoute à cela des problèmes récurrents de line-up ainsi que la mort de leur légendaire guitariste et principal compositeur Denis D’Amour en 2005, on comprend alors aisément que l’évolution du groupe ait été quelque peu anarchique.

La pochette dudit album
La pochette dudit album

The Wake est le quatorzième album studio du groupe, sorti en 2018 et ne comptant que deux des membres originaux -Michel « Away » Langevin à la batterie et Denis « Snake » Bélanger au chant- parmi les quatre présents. Leur gratteux actuel, Daniel « Chewy » Mongrain, ainsi que le bassiste Dominique « Rocky » Laroche sont cependant des musiciens plus que confirmés et fans de la première heure du groupe. Malgré le décès de leur expérimentaliste en chef, les Québécois ont donc une formation solide pour proposer une nouvelle galette de thrash métal atypique et barré. Alors qu’en est-il vraiment ?

The Wake up

Il ne faut pas bien longtemps à l’auditeur averti pour voir dans cet album un retour à la période bénie du groupe, celle de l’album reconnu Dimension Hatröss, où l’alliance du thrash futuriste et du progressif relevait de l’alchimie tant elle était magistrale. Retour aux sources donc, mais non dénué de l’expérience accumulée par ces vieux briscards et sans pour autant tomber dans du « c’était mieux avant » stérile. La production de The Wake est léchée, tout est parfaitement audible et discernable EN PARTICULIER la basse qui a toujours tendance à être la grande oubliée (mais un jour nous vaincrons mes frères). On reparlera du boulot de Dominique Laroche d’ailleurs… Oh oui, on en reparlera.

La première piste de l’album, Obsolete Beings, est un excellent morceau d’ouverture (ça tombe bien du coup) plutôt classique, alternant sans anicroche dans sa première partie riffs efficaces et mélodies planantes, le tout sur une batterie percutante. La voix inimitable de Snake se place tout naturellement dans le parfaitement clair comme dans l’éraillé, ce sont les cordes vocales d’un vieux thrasheux qui cherche à nous faire voyager dans un vaisseau spatial marqué par les âges. Alors tout le monde n’apprécie pas hein, mais au moins il y a une identité là-derrière, un vécu. UN VÉCU, BORDEL ! La deuxième partie de la piste partira dans un délire clairement plus psyché caractéristique de nos bons amis québécois. Il faudra vous y faire.

Car non, jamais un morceau de The Wake ne vous amènera exactement où vous le pensiez. Les morceaux qui commencent de la manière la plus « thrashy » comme Orb Confusion ou encore Always Moving ne pourront jamais s’empêcher de vous proposer un détour étrange aux volutes mélodiques expérimentales lorsque vous vous y attendrez le moins. A contrario Spherical Perspective, beaucoup plus marqué « metal prog », propose une deuxième partie intense mâtinée d’instrus déjantées et de mises en place venant d’une autre dimension… puis reprend son riff d’ouverture pour le développer dans un final magnifique. Oh putaing que c’est beau, j’en chialerais presque.

De toute façon, chaque morceau propose son lot de bonnes surprises à l’auditeur recherchant « quelque chose d’autre ». La base rythmique batterie-basse est en adéquation totale : on en attendait pas moins du monumental Michel Away Langevin depuis le temps qu’il assure derrière les fûts, mais le taf abattu par Dominique Rocky Laroche (je vous avais dit qu’on y reviendrait) est non seulement audible mais en plus remarquable. Il n’y a qu’à voir, ou plutôt entendre, l’intro de Orb Confusion pour s’en rendre immédiatement compte ! La basse n’est pas là pour se coller bêtement sur les dominantes mesure après mesure comme beaucoup trop souvent (« Alors je fais la-la-la-la, si-si-si-si puis mi-mi-mi-mi et enfin ré-ré-ré-ré, voilà pour le refrain ») mais est bien là pour se faire entendre et participer à la richesse des compos.

J’ai déjà parlé de la voix unique, « voïvodienne » en fait, de monsieur Bélanger, il nous reste donc à parler des guitares. Aaaaah les guitares.

Ceux qui connaissent Voïvod savent que Denis D’Amour était non seulement un guitariste solide mais aussi le compositeur principal. Son approche très personnelle de la musique, expérimentale au possible (ce qui n’est pas banal dans un genre comme le thrash) est ce qui a forgé l’identité de Voïvod. C’était donc un défi de taille pour Daniel Chewy Mongrain que de reprendre le flambeau. On ne peut qu’admettre en se penchant sur ses instrus que le résultat est là. Entre riffs complexes, denses, frénétiques parfois mais qui touchent toujours au but et ces élans mélodiques qui invitent notre oreille au voyage (intergalactique bien sûr), le jeu de Mongrain a parfaitement été assimilé par la créature protéiforme qu’est la musique de Voïvod. Spherical Perspective en est pour moi la démonstration la plus probante. 

Media apart

The Wake est un album de Voïvod, il est donc marqué par cette atmosphère de science-fiction pessimiste et sombre qui caractérise les précédents travaux des Québécois. Le nom du groupe lui-même est celui du personnage récurrent, une sorte de guerrier vampire androïde (il ne manquerait plus qu’il soit pirate et ninja) éveillé de son long sommeil suite à une guerre nucléaire. Il traverse au fil des opus des mondes différents, ceux-ci étant ravagés par la guerre, la famine, la corruption et tant d’autres joyeusetés qui ne font au final que refléter les affres de notre société. Ici, il n’est pas compliqué -pour les anglophones tout du moins- de deviner de quoi on parle. Dérives de la société de consommation, manipulation de masse… Que du bon !

Scrolling down in paradise
Absorbed by the next device
You live alone, we live alone
Castaway and insecure
A wonder world that isn’t yours
The dream is gone, your time is done

Become useless, recycle yourself
Or be replaced by something else
You must improve but you can’t follow
So there you are, straight in the bin, you’ll go !
So there you are, down the crusher, you’ll blow !
So there you are… No more !

(Dans Obsolete Beings)

L’écologie et les conséquences plus ou moins visibles du réchauffement climatique sont aussi évoquées, comme la libération de nouveaux agents pathogènes :

Water keeps on rising and there’s no solution
Miles of ice fade away, what a correlation
Global mess refugees in a mass mutation
Our own enemies are lost in misconception

Micro-bacterias resurrect from their sleep
Frozen deep in the past, heat is all they need
Emissions in the air, a prehistorical disease
Spreading out everywhere, a virus is released

(Dans Event Horizon)

On parle aussi d’effets que des ondes pourraient avoir sur nos cerveaux, les armes « psychotroniques » étant un thème plusieurs fois utilisé dans le domaine de la science-fiction mais qui inquiète de plus en plus dans le vrai monde véritable, à tort ou à raison. Cette fois-ci, plutôt que de vous livrer les paroles, je préfère vous balancer le clip vidéo de Iconspiracy. Son visuel très « voïvodien » (oui encore ce néologisme mais y a pas d’autres mots), une sorte de cauchemar futuriste et complètement barré, vaut mieux que de longs discours.

La « patte » de Langevin hante toute la vidéo. Le personnage même du Voïvod, ainsi que l’écrasante majorité de tous les visuels du groupe, sont en effet une création du prolifique batteur. Un rapide coup d’œil sur les pochettes des albums et les visuels qu’elles renferment suffisent à définir son style, entre art naïf et futurisme daté extrêmement glauque. Je me souviens comme si c’était hier du mélange entre fascination, curiosité et révulsion qui m’agita lorsque je vis pour la première fois la pochette de Phobos. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet art (tout comme la musique du groupe en fait) ne laisse pas indifférent !

La pochette de l’album Nothingface de 1989 est assez parlante

Pour ce qui est de The Wake, le groupe s’est représenté en quatre Voïvods observant un monde en pleine déliquescence (voire destruction, vu la gueule de la planète). S’agirait-il de notre bonne vieille Terre ? Fort probable.

Je me devais de finir sur la petite pépite, la cerise, le pompon : le dernier morceau de l’album, j’ai nommé Sonic Mycelium. Je vous invite d’ailleurs à suivre le lien qui suit pour découvrir ce qu’est un mycelium, cela vous aidera à saisir tout le WTF du titre. En gros, pour appuyer sur la cohérence qu’ils ont voulu donner à leur album, Voïvod a composé cette pièce maîtresse de 12 minutes et 24 secondes (quand même !) en l’articulant autour de riffs issus des sept morceaux précédents ! Un exercice que je trouve assez génial, qui a dû se montrer ardu mine de rien, et qui s’avère payant parce que foutredieu c’est du bon ! Et histoire de vraiment finir en beauté, on a droit à un retour du quatuor à cordes présent sur Iconspiracy pour une conclusion à la fois superbe et inquiétante… Respect les gars. Respect.  

Le vaisseau Voïvod a beau afficher un certain âge et avoir pris pas mal de coups dans l’aile, il continue de faire voyager ses auditeurs vers des horizons connus de lui seul. Son équipage renouvelé à 50% connaît son sujet, la symbiose qui opère entre eux se ressent dans les morceaux de cet album, fusion de bon vieux thrash et de prog spatial comme on en avait plus entendu depuis une époque très (trop) lointaine. À la croisée improbable de deux styles de musique difficilement conciliables, sonnant à la fois moderne et 80’s, Voïvod finit de forger son identité propre et unique dans ce très bon The Wake… Jusqu’à la prochaine fois ?  

Petrocore

Tout comme Narfi, Petrocore est issu de la sous-espèce des Trolls du Périgord (d'où son nom). Il se nourrit de tout ce qui passe à sa portée du moment que ça a été cuit dans de la graisse d'oie, voire de canard. Parce qu'il aime le gras, Petrocore est surtout versé dans la musique métal brutale et toutes sortes de produits faisant preuve d'un bourrinisme sans failles ou d'un humour pas fin.