Mononoke : la couleur au service du fantastique.

Pendant ce confinement, j’ai eu le temps de réfléchir aux choses de la vie et en particulier de la mienne, parce que j’aime bien les clichés. C’est ainsi que mes pensées philosophiques ont pris pour sujet ma vieille passion pour les animes japonais. Quand s’est-elle éveillée, développée, enracinée ? C’est une question existentielle comme une autre.

Dans cette introspection, je n’ai pas pris en compte DBZ, Yu Gi Oh, Princesse Sarah, Olive et Tom, Jeanne et Serge ou Hamtaro (Midi les zouzou, tmtc), même s’ils ont bercé mon enfance. À cette époque, je les considérais comme de simples dessins animés, n’ayant aucune idée de ce qu’était un anime. J’ai aussi vite passé One Piece, Naruto ou Fullmetal Alchemist qui font partie des premiers animes que j’ai réellement suivis, encore jeune pubère.

Cette passion s’est renforcée durant mon adolescence lors de la découverte d’œuvres avec des thèmes plus sombres, plus psychologiques, mais surtout, aux graphismes atypiques. C’est ici qu’entre en scène Mononoke. Bon, vous allez me dire : « Mais c’est le spin-off d’Ayakashi : Japanese Classic Horror, donc tu devrais d’abord nous parler de lui ! ». Patience lectrices, lecteurs !
Même si Ayakashi a été le premier sorti, c’est bien Mononoke qui m’a le plus marqué tant esthétiquement que par sa mise en scène. Ainsi, voici la première œuvre qui ouvre l’arcane des animes sacrés, selon Tobye. On reste dans du subjectif, évidemment. Par exemple, Narfi mettrait dans sa sélection Jojo’s Bizarre Adventure, ce qui est une hérésie selon moi. Mais c’est un autre débat et ce vieux bougre ne désespère pas de me convaincre, un jour.

 

© Toei Animation

Bon, de quoi ça cause ?

Mononoke est un seinen centré sur le personnage de l’Apothicaire que l’on rencontre lors du dernier arc « Bakeneko » d’Ayakashi : Japanese Classic Horror (2006). L’anime a été produit par le studio Toei Animation en 2007 et se compose de 12 épisodes, disponibles sur Youtube. La dessinatrice Ninagawa Yaeko lui a consacré une version manga.

À travers différentes histoires, nous suivons les aventures d’un apothicaire ambulant. Plutôt que soigner les migraines, ce personnage mystérieux est capable de ressentir la présence d’esprits malveillants appelés « mononoke ». Et accessoirement, il les combat avec l’aide d’une épée spirituelle pour les purifier. Rien que ça. Mais l’exorcisme n’est possible que si l’Apothicaire a connaissance de trois éléments sur le mononoke : sa Forme (Katachi), sa Vérité (Makoto) et sa Raison (Kotowari). Après ça, l’épée peut s’ouvrir et les carottes sont cuites pour la créature.

Le monstre est un homme et l’homme, un monstre.

Finalement, qu’est-ce qu’un mononoke ? Cet article n’est pas là pour en faire une définition exhaustive, loin de là. Le sujet est tellement complexe qu’il mérite un dossier complet et Petrocore est bien plus calé sur la question ! Mais pour faire simple, c’est un ancien terme japonais pour désigner l’ensemble des yōkai. Ces êtres surnaturels peuvent prendre différentes formes que ce soit un démon, une divinité, un esprit, un humain, un objet, un animal… Cette idée est bien représentée dans l’anime où l’on croise plusieurs types de mononoke : Les ayakashi, esprits des eaux et des mers ou les bakeneko qui sont des esprits de chats et j’en passe.

 

Un ayakashi, qu’on n’aimerait même pas en sashimi. © Toei Animation
© Toei Animation

On pourrait traduire mononoke par « monstre » ou « esprit d’une chose ». Ces créatures apparaissent à la suite d’événements physiques et/ou moraux violents, en se nourrissant des émotions qu’ils suscitent (peur, colère, jalousie, culpabilité, etc.). Elles assimilent les sentiments des victimes ou/et possèdent leur esprit, ceci afin de se venger des personnes qui ont outragé leur hôte.
Et on les comprend, car l’anime aborde ces êtres par leur aspect psychologique sans forcément les diaboliser. Même si concrètement, on n’a pas très envie d’aller faire câlin-câlin avec un bakeneko. Ce parti-pris est intéressant puisque les récits se centrent davantage sur la compréhension de la créature que sur le combat. Une grande partie du travail de l’Apothicaire-exorciste est d’amener le mononoke à révéler sa forme et son histoire afin de le purifier. Et sans trop de surprise, ces histoires reflètent les pires comportements humains : convoitise, manipulation, abandon, meurtre et autres joyeusetés.

Mononoke comporte des scènes violentes physiquement et moralement, mais il ne tombe pas dans le gore gratuit. La représentation de cette brutalité est souvent esthétisée par des jeux de mise en scène et des métaphores. Néanmoins, la violence n’est pas toujours suggérée et l’effet recherché reste le même : créer un sentiment de malaise chez le spectateur.

Blood ! Blood Blood ! … And death. © Toei Animation

Au long des épisodes, j’en suis venue à la conclusion que les monstres ne sont pas précisément les mononoke. L’horreur vient des actes d’hommes et de femmes qui ont contribué à briser des vies. Dans le folklore japonais, la majorité des mononoke matérialise des situations malsaines qui suscitent la peur, le rejet. Mais me direz-vous, ce n’est pas le propre des mythes japonais et l’on trouve des exemples similaires à travers le monde pour ne citer que les zombies, roussalki, wendigo ou came cruse (mon côté gascon qui ressort). Bref, le surnaturel vient en partie de la cruauté du genre humain.

Une esthétique kaléidoscopique, mot compte triple !

Le graphisme et le charadesign de l’anime apportent toute sa singularité à l’œuvre. Cette esthétique peut déstabiliser les spectateurs peu habitués à ce genre original, mais laissez-vous plonger dans cet univers étrange, il en vaut le détour.

Je soupçonne un partenariat avec Desigual © Toei Animation

La première chose qui frappe est l’utilisation de couleurs chatoyantes, contrastant avec des teintes sombres plus ponctuelles. Les décors, finement dessinés, semblent figés à la façon d’une estampe ou d’une pièce de théâtre et c’est bien ce procédé qui est utilisé. En effet, l’anime utilise les codes du Kabuki, ce qui explique ce graphisme étonnant.
Mais quésaco, le Kabuki ? D’abord, je ne parle pas du pinceau pour le maquillage, donc halte aux blagues vaseuses. Le Kabuki est un théâtre traditionnel japonais qui est né durant l’ère Edo (XVIIe siècle), dont la particularité est d’être épique. Cet art populaire aborde différents sujets, du plus comique au plus dramatique et même horrifique, où le conflit moral est un élément moteur de l’intrigue. D’ailleurs, Ayakashi : Japanese Classic Horror est inspiré de la pièce du XIXe siècle « Yotsuya Kaidan », qui est un classique de ce genre théâtral.

Sans rentrer dans les détails, les particularités du Kabuki sont les costumes impressionnants, les maquillages chargés dont certains rappellent des masques japonais, les effets scéniques ainsi que les chants et instruments de musiques traditionnels… Le jeu d’acteur est aussi caractéristique par des mouvements accentués, des voix monocordes et des personnages caricaturaux. La majorité des troupes/familles de Kabuki est constituée uniquement d’hommes qui jouent des personnages masculins et féminins. 

 

L’influence de cet art dans Mononoke se ressent dans le traitement des trois éléments qui m’ont le plus marquée : les personnages, les décors et le rythme.

Quand y’a plus de picrate en soirée et que ça tourne mal. © Toei Animation

Le charadesign des personnages est atypique. Particulièrement celui des hommes qui ont souvent des traits et des mimiques exagérés, presque comiques. Les traits des femmes sont plus fins, avec un maquillage marqué. On remarque aussi l’attention particulière faite aux vêtements et aux accessoires, avec beaucoup de détails et des mélanges de matières. Du point de vue des caractères et des comportements, une grande partie des personnages sont des stéréotypes au service de cette piquante critique de société. Entre le faux dévot, le samouraï corrompu ou la maquerelle avide, la caricature n’est pas tendre et révèle les mauvaises intentions.

Outre les différents procédés graphiques et l’omniprésence des couleurs vives qui ferait vriller un(e) épileptique, chaque histoire possède son décor spécifique qui donne l’impression d’un huis clos. Cet effet scénique est renforcé par l’utilisation de cloisons japonaises pour signifier le changement de pièce et les flash-back. Le rythme presque saccadé de l’anime s’appuie aussi sur la musique traditionnelle et des bruits d’ambiance qui renforcent l’aspect théâtral.

Tous ces éléments réunis donnent une atmosphère irréelle à la limite de l’oppression. Plus un mononoke approche, plus nos repères se brouillent et on peine à distinguer le haut du bas, le jour de la nuit… On se croirait dans une illusion digne d’un rêve sous stupéfiants, qui n’est pas sans rappeler le fabuleux film d’animation, Paprika ! Même si au niveau du graphisme, les deux animes n’ont rien à voir. (Si le sujet vous intéresse, jetez un œil à cet article.) 

Pas de princesse, mais un gars avec une valise et une épée.

Premier épisode, combo d’injustices, première claque. © Toei Animation

Mononoke se divise en cinq histoires sans rapport les unes avec les autres, ou presque. Mis à part l’Apothicaire, il n’y a pas de personnages récurrents d’un épisode à l’autre, avec qui le spectateur pourrait créer un lien. Enfin, c’est un peu exagéré car on recroise une protagoniste : Kayo. C’est une jeune fille que l’on rencontre pour la première fois dans le dernier arc d’Ayakashi et que l’on revoit dans Mononoke (une ou deux fois, à vous d’en décider.) Sous ses airs candides, elle est mordante, courageuse et n’a pas la langue dans sa poche. Kayo essaie de construire sa vie durant une époque où la place sociale de la femme est limitée : épouse, mère, veuve. Pour celles qui ne rentrent pas dans les rangs, elles sont évidemment de mauvaise vie, ou fortunée pour d’infimes cas.
La condition féminine est un thème qui revient au long des épisodes : mariages arrangés, prostitutions, liaisons interdites, etc. On ne croise pas seulement des femmes soumises physiquement et moralement à leur mari ou leur famille. Ce qui m’a le plus frappée, c’est la cruauté et le manque de solidarité des femmes entre elles. Un sujet qui est, malheureusement, ô combien d’actualité encore aujourd’hui.

Keep calm and smile ! © Toei Animation

L’anime nous dévoile la culture et les croyances nippones principalement durant l’époque Edo (1603-1868). Le rapport des personnages avec les superstitions est un élément important dans le déroulement des histoires. L’existence des mononoke n’est pas une idée acquise et l’Apothicaire passe la plupart du temps pour un bonhomme un peu excentrique, jusqu’à l’apparition de la bestiole. Bien sûr, les réactions face à ces créatures diffèrent d’une sensibilité à l’autre, allant de la peur au rejet, en passant par la curiosité. Quand les protagonistes font face aux mononoke, ils sont aussi face à leurs propres fautes et doivent les confesser.

 

Tout ceci m’amène à aborder le personnage central de l’anime : l’Apothicaire. Toujours haut en couleur et muni de sa valise à pharmacie et de son détecteur à créatures, il se présente sur les lieux des futures enquêtes comme par la grâce d’un don de prédiction. Et c’est pas fini !

Si je nomme ce joyeux luron l’Apothicaire, c’est qu’on ne sait rien de ce personnage si charismatique, même pas son nom. Rien de son passé, ni de ses origines qui ne semblent pas totalement humaines. Son attitude est mystérieuse, d’ailleurs Kayo lui fait remarquer que malgré son charme, il est quand même un poil arrogant. Son caractère semble (presque) toujours constant et donne une impression de froideur. Mais certains passages montrent qu’il n’est pas dénué d’un certain sens de l’humour et d’ « empathie » pour les vivants, comme pour les morts.

Bref, il faut quand même avouer qu’il envoie du pâté entre son épée creepy, ses parchemins de protection qui apparaissent en veux-tu en voilà, ses balances dignes d’un épisode de Sailor Moon et son double badass typé Hindou. Est-il un humain ? Un yōkai ? Une divinité ? Un lointain cousin de Link ? Peut-être un peu de tout ça, en tout cas, le mystère demeure total.

© Toei Animation

 

Certains ont dit et diront que l’anime est frustrant, car on ne connaît rien de son histoire. Alors OUI, évidemment qu’on a envie d’en savoir plus et Mononoke mériterait peut-être une suite. Mais cela n’enlève rien au plaisir de la découverte de la série. Je ne vois pas ça comme un manque, c’est un choix scénaristique. D’ailleurs, il permet de titiller un truc génial chez l’être l’humain et qu’on oublie parfois : l’imagination.

 

Mononoke, c’est un anime qui marque d’une manière ou d’une autre, que ce soit par son graphisme, sa poésie ou son atmosphère. Savoir capter et perdre à la fois le spectateur, c’est le but de cette mise en scène et c’est ce qui fait la force de l’œuvre. Vous l’aurez compris, c’est un de mes plus vieux coups de cœur. Ma madeleine de Proust qui me rappelle les origines de mon amour pour les animes atypiques.

 

Un peu de douceur bordel ! © Toei Animation

 

Tobye

C'est dans les vallées vigneronnes de l'Entre-deux-Mers que se trouve l'antre de Tobye, jeune trolle du Cri. Entourée de mangas et autres vieux bouquins, elle aime se perdre dans les méandres de l'internet à la recherche de pépites à se mettre sous la dent. Un godet de pinard à la main, évidement.