Les fabliaux 2, le retour : Occitan vibe

« An de grâce MMXX. 

‘’ Povr pvnir notre engeance pécheresse d’avoir consommé la chair proscrite des animavx dits « pipistrella » et « pangolinvs », notre Seigneur mandera son fléav. Et ledict fléav, nom Covid avra, et XIXe de rang sera. ‘’

  • Nostradamvs

Ce que fit, dans son infinie sagesse, face à la peccamineuse réalisation : la pestilence covidéenne s’abattit sur le royaume d’Emmanvel Ier « Maqueronvs », roi des Francs dicts réfractaires. 

Tovs les hommes vivant sovs la face des cievx, dv plvs hvmble des vilains av seignevr le plvs opvlent, se terrent en levrs demevres, fvssent-elles de chavme ov de pierre. 

Disette de pastes spaghettes et pénvrie de torche-cvl frappent la plèbe, tandis que la Dame Darievssecqa range sa carriole dans l’écvrie, la dissimvlant avx yevx des Jacqves jaloux. 

Nvlle pénitence ne freine ce vent fvneste, ni ne tarit son sillage de mort ; car proche est la fin.

Les flagellants battent les campagnes, av rythme du Diams Irae. Les autotvnes sinistres de l’apocalypse retentissent et s’élèvent avx oreilles des pénitents : « Faites avmosne de movlague ! De movlague ! De movlague ! » s’écrient Hevss le Foirevx et son confrère Jvvl. 

Le grand sénéchal Evde Philippe, dict « Semi-barbe », ne qviert poinct assez de masqves povr empescher la transmission redouvtable par l’haleinée infecte des covidéens. Les Mandarins cvpides vendent lesdits masqves av Novveav monde prospère, svr ordre de son emperevr Donald Tovpe-de-fev. 

Nvl ne vit oncqves si grand émoi en nostre royaume, depvis que le slave Pavlenski Bourse-Clovtée divvulgva sextapestrie dv Signor Benjamin Grivaldvs, aspirant bovrgmestre de la cité de Paris et illvstre fornicatevr. »

  • Chroniqvevr Flyvs de Conches, « Annales Trollorvm Lemovicorvm ». 

Et nonobstant, le Très Haut, dans l’omniscience qui guida sa Création, avait placé sous la main des fidèles le rire et les textes, afin de rendre leur confinement plus doux. Ces deux principes se rencontrent et s’unissent suprêmement dans les fabliaux de notre mésestimé Moyen Âge, déjà présentés ici. Les fabliaux, ces pièces médiévales qui nous rappellent que le rire franc, le rire gras, le rire terrible, a toujours existé ; qui nous rappellent, encore, que les bâtisseurs de cathédrales et les massacreurs d’hérétiques se gaussèrent comme des baleines de diarrhées diluviennes, de curés priapistes et de scrotums cloués. 

Le Cri du Troll est natif, comme tout homme d’esprit sait, du haut-lieu de culture millénaire qu’est la cité de Limoges, phare dont l’éternelle lumière resplendit dans tout le monde connu, de Tulle à Guéret en passant par Nexon. Ce sont en conséquence les pièces occitanes qui, ici, retiendrons notre intérêt.  

La spécificité de cette littérature occitane médiévale tient en trois points : 

  • Son émergence précoce (XIe-XIIe s.), qui permit une influence sur la littérature ultérieure. 
  • La grande richesse de ses formes, très diverses : œuvres en questions/réponses, chansons, jeux de mots, textes-énigme comiques… Chacune confine (vous l’avez ?), jusqu’au XVe siècle, à un niveau de sophistication considérable. 
  • L’ambivalence quasi-originelle de ce courant littéraire, producteur de textes… et de contre-textes, reprenant et détournant parfaitement ses propres codes et son propos, de façon totalement maîtrisée et délibérée.

Nous reprendrons, pour en éclairer la nature, la typologie proposée par Pierre Bec dans son Burlesque et Obscénité chez les Troubadours (1984) : les pièces burlesques et obscènes, celles prenant le contre-pied de l’amour courtois sans pour autant le tourner en dérision, les productions parodiques de celui-ci, et les textes à vocation formellement ludique (jeu sur les mots, sur la forme du poème, énigmes…). Bona lectura !

True Badour 

Au-delà de sa forme, l’intérêt de cette littérature réside également dans les discours sociaux qu’elle dévoile ; car elle est fruit de multiples individualités de conditions et de notoriétés variées, qui, loin de s’ignorer, dialoguent souvent… et parfois pas sur des sujets très élevés. Rois, seigneurs, chevaliers désargentés, étudiants, clercs, pauvres musiciens, et même des femmes ; y compris lesbiennes ! Un spectre chamarré de créateurs a apporté leur contribution à cette aventure littéraire. Entre autres personnages, le roi de Castille Alphonse X El Sabio (« le Sage », puisque grand réformateur, amateur de sciences et d’arts) participe ainsi à une tenson, à savoir une pièce construite sous forme de questions/réponses entre différents personnages, ayant pour objet, vers 1252, le dilemme suivant : 

« – Cent dames de haut parage vont outre-mer. Elles sont déjà à mi-chemin, mais ne peuvent ni accomplir leur voyage ni s’en retourner, quoi qu’elles fassent, sinon à la condition que vous fassiez un pet d’où se lève un vent tel que les dames puissent arriver à bon port ». 

Étonnamment, l’un des correspondants en prend le parti, au nom même de l’amour courtois :

« – Même si le pet ne me venait pas de mon plein gré, je le ferais ; autrement je pécherais gravement contre ces dames. Et si d’une autre manière elles ne pouvaient parvenir à leur salut, après le pet je me chierais dessus (…) car je puis bien me laver quand je me serai conchié ». 

Citons également l’exemple de Gausbert Amiel, ce chevalier désargenté du XIIIe siècle, qui prétend « n’aimer que plus bas que soi », allant à l’encontre exact de ce que prône l’amour courtois (qui consiste à courtiser une dame d’extraction supérieure, à la fois pour le prestige de son lignage et sa haute fortune) :

« Je n’ai cure d’un amour trop élevé : il me suffit qu’il soit de mon parage, car je n’en ai ni le pouvoir et l’apparence et je ne suis pas frappé d’un coin tel qu’il me fasse rechercher une joie trop distinguée. (…) c’est une dame de mon rang, ni plus ni moins, que j’aime ». Constatons néanmoins que la modestie consentie dans ses ambitions ne descend pas trop bas non plus dans la hiérarchie sociale. 

Un dialogue opposant classiquement le troubadour, noble (« trouveur » ; c’est-à-dire littéralement, le créateur, auteur et éventuellement compositeur) et le jongleur roturier (« seulement » interprète) met comiquement en lumière une autre tension sociale : 

« – Reculaire », dit le noble, « puisque les vêtements ne vous durent guère, vous êtes confrère en pauvreté des bonshommes de Lyon ; mais pour ce qui est de la foi, vous êtes (…) dissipé, joueur et coureur de putains. (…) Si quelqu’un vous donnait en tout cinq sous et qu’il en jetât ensuite cinq autres dans le sable, il aurait perdu en tout dix sous . 

– Seigneur Hugues, je sais bien que si je venais à mourir, j’emporterais avec moi autant que le plus riche des rois. Aussi je suis tous mes désirs : je joue avec les trois dés et, où que sois, fais bon ménage avec le con et le bon vin ». 

Cette abondance du contre-texte est la résultante directe, selon le linguiste Pierre Bec, de la nature paradigmatique de la culture troubadouresque. C’est parce que celle-ci a su se diffuser géographiquement et socialement, qu’elle a pu être appropriée et détournée par tant d’ « autres »… qui n’en sont d’ailleurs pas toujours ; le premier des troubadours lui-même, le comte Guillaume IX de Poitiers (grand-père d’Aliénor d’Aquitaine), est aussi expert en séduction courtoise qu’en cochonneries assumées, qu’il compare volontiers à un jeu de société : 

« Et lorsque j’eus levé son tablier, je poussai les dés : deux d’entre eux étaient carrés et loyaux, mais le troisième était plombé. Je les fis cogner bien fort contre la table de jeu, et le coup fut joué ». 

Guillaume IX de Poitiers (1071-1127)

Amor, gloria e beutat

Tous ces textes dénotent une maîtrise de la langue qui n’a d’égale que la liberté des sujets abordés, qui est aussi une liberté de ton dans le discours tenu. Ainsi, le troubadour nommé Montant se met en scène, vers 1270, dans une parodie de poème de séduction courtoise. Interprété comme le défoulement aristocratique le plus extrême de la littérature occitane, on y trouve un lyrisme érotique et un grotesque quasi pornographique triomphants : 

« – Je viens à vous, Seigneur, jupe levée (…) ; jamais de foutre ne fus assouvie, et j’y ai occupé pendant deux ans un chapelain, ses clercs et sa suite. J’ai le cul large, épais et frétillant, et le plus grand con qu’eût jamais femme au monde .

– Et moi je viens à vous culotte baissée, avec un vit plus gros qu’âne en chaleur ; (…) et ne partirons d’ici, ni moi ni mes grandes couilles, sans vous avoir si bien foutue que vous en resterez gisante et pâmée ». 

Qui a dit que Tinder et autres Badoo signaient la fin de la décence occidentale ? 

Autre parodie virtuose, anonyme, que celle de la « Gardeuse de Porcs » (Porquiera ; XIVe siècle), contrefaçon de la pastourelle mettant traditionnellement en scène les amours des bergères. Paradoxalement, cette pièce nous est connue par le traité de poétologie et de grammaire dit Le Leys d’Amor, lequel le cite… en contre-exemple répugnant, à bannir sur le fond, mais en exemple édifiant de maîtrise prosodique sur la plan formel !!
La porchère susnommée s’épanche en ses mots au passant qui l’interroge : 

« – Porchère, à ce qu’il me semble, vous l’aimez d’un parfait amour.

– Oui, plus que pourceaux n’aime glands, et plus qu’une truie qui a mis bas n’aime les choux ». 

L’engouement pour la parodie s’étend jusqu’au nom même des auteurs détournés, au nombre desquels figure l’illustre autant qu’élégiaque Bernard de Ventadour (en occitan : Bernat de Ventadòrn), archétype même de l’amoureux éconduit et transi. Nombre d’anonymes espiègles attribuent ainsi leurs pièces les plus inavouables à Ser Bernat de Ventador (autrement dit, Bernard le Flatulant). 

Bernard de Ventadour (v. 1125-v. 1200)

Ce goût affiché pour le scatologique culmine dans l’abominable pièce pudiquement connue sous le nom d’Affaire Cornilh (vers 1180) par les occitanistes.  Sous la forme d’une tenson (débat d’opposition, dispute), elle fait intervenir les plumes des chevaliers Truc Malet et Raimon de Durfort, s’opposant à l’immense Arnaud Daniel. Ce dernier, alors encore étudiant, fut salué par les historiens, mais aussi par les poètes Dante et Pétrarque eux-mêmes, comme l’un des plus grands troubadours du Moyen Âge : ses rimes, sa musicalité, son vocabulaire aussi bien que la structuration de ses strophes étaient réputés. Et pourtant, il fallut bien que jeunesse se passe…
La pièce relate la situation du malheureux seigneur quercinois Bernard de Cornilh, courtisant la capricieuse Dame Aina. Cette dernière, souhaitant mettre à l’épreuve le dévouement du soupirant, lui offre sa main… à la condition qu’il lui souffle dans l’anus :

« Si vous me cornez ici gentiment, je ferai de vous mon amant (…). Je l’ai fait laver et fourbir, et vous ne sentirez pas sa puanteur« . 

En effet, Cornilh se rapproche de l’occitan còr (le fondement) et cornar (souffler dans un cor). Le noble se refusant à cet avilissement, tout l’enjeu du débat est de savoir si son attitude fut courtoise ou indigne. Les deux chevaliers, se réclamant de la fin’amor avec un raffinement discutable, désapprouvent la décision : 

« Car si elle m’en eût montré deux cents, je les eusse tous embouchés avec grande joie (…). Il n’est pas de noble dame au monde, si elle me montrait son cor et son con, tout comme ils sont au naturel (…), que je n’y penchasse mon visage et mon front, comme si je voulais boire à une fontaine. (…) Quercinois, serviteur traître ! (…) pourquoi ne reviens-tu pas lui corner au droit et au revers ? Le cor fut bien lavé et lessivé. Je cornerais bien, moi, dans des centaines de mille, y en eût-il de peu engageants. (…) Rends-toi auprès de Dame Aina (…), et dis-lui que je lui cornerais sans délai au cul plus vivement qu’un expérimenté« . 

Prenant le parti de l’éconduit Cornilh, l’illustre Arnaud Daniel s’oppose donc aux deux chevaliers. Tout en prenant l’air de ne pas y toucher, il livre ce qui est considéré comme le texte le plus effroyablement scatologique de toute la littérature occitane, avec une complaisance d’autant plus évidente qu’il est réalisé par un véritable orfèvre du vers

« Puisque Messeigneurs Raimon et Malet prennent la défense de Dame Aina, je serai, moi, vieux et chenu avant de consentir à de telles requêtes. (…) Car pour corner, il y faudrait un bec pour tirer les perles du cor ; mais on en sortirait aveugle, car forte est la fumée qui sort de ces replis. (…) Ce bec serait long et pointu, car le cor est farouche, laid, poilu et jamais à sec ; le marécage par-dedans est si profond que la poix y fermente et s’en échappe sans cesse. Je ne voudrais pas qu’il fût jamais amant, celui qui y colle sa bouche ! (…) Il ne convient pas qu’une dame accorde ses baisers à celui qui lui corne dans la trompe puante. (…) Si vous aviez corné par plaisir, vous auriez trouvé là rude contrefort ; car la puanteur vous eût bien vite occis, qui est plus forte que fumier de jardin. (…) Il eût mieux valu qu’il partît en exil, que de lui avoir corné dans l’entonnoir, entre l’échine et le pénil, où elle se tache de sang et de rouille. Et il n’aurait jamais su tant se garantir qu’elle ne lui compissât le museau et les sourcils. Que Bernard ne se tracasse point à y corner, s’il n’a pas un grand bouchon de barrique, pour en fermer le trou du pénil. Après quoi, il pourra y corner sans péril !« . 

La Femme est le passé de l’Homme 

Au-delà de l’intérêt comique de la pièce, plusieurs enjeux se rencontrent ici : c’est une parodie du défi courtois, donné par sa Dame au paladin soucieux de s’éprouver. Mais c’est aussi le témoignage d’une misogynie certaine, invisibilisée par certaines interprétations des fabliaux et de la littérature courtoise. La femme y est en effet apparemment dépeinte en position de supériorité, soit par ses exigences (comme c’est le cas ici), soit par son astuce (bien des héroïnes de fabliaux triomphent de mâles benêts et patauds). Ne nous y trompons pas ; sous leurs travers goguenards voire carrément impies, nombre de fabliaux sont assez moralisateurs. C’est pourquoi la misogynie culmine ici dans le contre-texte occitan, allant de pair avec la divinisation de la femme dans la littérature troubadouresque plus classique. Pierre Bec distingue ainsi trois types de misogynie :

religieuse et moralisatrice d’abord (la femme passant, à l’époque, pour impure par nature).

contingente à un râteau (eh oui, ça existait déjà). L’éconduit distingue alors la domna éthérée et idéale, des ordinaires femnas, ou pire encore, des soudadeiras (les tchoins). Ainsi, un chevalier particulièrement pauvre, Guilhem Adémar (1175-1220 ?), ne parvint pas à trouver son parti. Il dût abandonner les armes et se faire artiste pour se nourrir. Très connu dès l’époque pour être un mauvais troubadour, particulièrement mal vêtu et amoureux inexaucé d’une dame aux trente amants, il laisse de nombreuses pièces très amères, qui chantent moins sa dame qu’elles ne déplorent son ingratitude…

– enfin, une misogynie plus fondamentale, gratuite et féroce

Celle-ci s’exprime notamment à travers des archétypes, comme celui de la belle-mère acariâtre, dont l’incompatibilité domestique avec la belle-fille est alors légendaire. Enfin, la ruse des femmes sert bien souvent à révéler et à châtier les travers masculins : ainsi la cocue du Clerc amoureux tondu par sa belle (XIVe siècle) inflige-t-elle la tonsure à son coquin adultère pendant son sommeil, afin de lui imposer la chasteté cléricale. 

Pieuse époque 

Le stéréotype négatif dont font l’objet les femmes, n’est pourtant pas le seul de cette littérature. Le faux homme de foi est raillé à longueur d’ouvrage, sans aucun scrupule eu égard à son rang ; la lubricité mal contenue de ceux qui firent pourtant vœu de chasteté, est ainsi un lieu commun du comique médiéval. Témoin, la pièce Contre un clerc fornicateur, du grand seigneur catalan Guilhem de Berguedan (av.1138, ap.1192), connu pour ses textes d’autant plus virulents qu’ils étaient en lien avec ses querelles véritables et non-fictives :

« La jouvencelle que Frère Roger tient courbée halète et gémit ; et tant elle s’affaire qu’elle sent la douceur lui venir au con (…). Son con ne connaît ni repos ni trêve, si bien qu’elle se brisa l’échine à force de baiser. (…) Car, avec son consentement, du matin au soir, son vit n’est pas sans fourreau. (…) Je tiens pour vilaine Dame Guina si elle ne lui lisse pas les couilles« . 

Dieu lui-même est parfois dépeint avec une grande irrévérence, comme dans cette dispute avec un moine dans laquelle le Très-Haut condamne le maquillage dont s’affublent les femmes : 

 » – Moine, vous excusez là grande faute et grande imposture, si ma créature s’embellit sans mon ordre. Elles seraient donc semblables à moi, celles que je fais vieillir tous les jours, si à force de se peindre et de se fourbir, elles pouvaient redevenir plus jeunes !

– Seigneur, vous parlez trop fièrement, car vous vous sentez au sommet de la grandeur. Pourtant, l’usage du fard ne cessera pas sans qu’intervienne une convention : faites durer la beauté des dames jusqu’à leur mort, ou faites disparaître le fard« . 

Jouer sur les mots

Les clercs coquins ne le sont pas qu’en fiction. Bien des copistes se sont adonnés à des jeux purement formels, destinés à détourner la terminologie grammaticale vers des horizons plus sulfureux. Ainsi de cette pièce anonyme : 

« Par la beauté nominative que vous avez, et la grande valeur, Dame, de prix génitive, (…) belle de vos hauts mérites, puisque vous ne m’êtes pas accusative (…), et quand seront copulatives et bien prisées nos amours, elles ne seront plus jamais de mal passives (…) et puisque vous êtes nominative, je voudrais avoir un génitif de vous, qui êtes impérative« . 

Poursuivons avec cet extrait bilingue ; il s’agit d’une devinette anonyme, dont la réponse se trouve à l’intérieur même du texte. Elle tient en un mot, surligné en gras dans la version occitane : 

« Ce que je vous dirai est chose sacrée

Et sacrée quand elle est entière ;

Mais sans la moitié première

Ne vit ni seigneur ni sa suite. 

Ôte-lui la tête et la queue, 

Elle donnera signe de porter plainte.

Enfin elle sera le vêtement 

De la tête, si tu lui ôtes la fin, que mettent les pèlerins 

Et les truands quand ils font la moue ». 

« Çò que’us dirai es sagrada

E sagrat quant es entiera,

E ses la meitat primiera

Non viu senhor ni mainada.

Osta’l lo cap e la coa,

E fai senhal de rancura,

E puis serà vestedura

Del cap, si l’ostas la fin

Dont s’arman li pelegrin

E’l truan qui fan la moa« . 

La solution de l’énigme est « capela » (« chapelle ») ; sans sa première moitié, « cap« , la tête, nul ne survit. Lorsque l’on enlève la tête du mot (-c) et sa queue (-a), on obtient –apel, comme l’appel que l’on fait en justice (« signe de porter plainte« ). Et si l’on enlève que le -a final, nous obtenons « capel« , le chapeau porté par les pèlerins et les bandits, « vêtement de la tête » (« vestedura del cap« ).

Finissons par deux nouveaux extraits bilingues, de nouveau anonymes, mais issus du même manuscrit. Il est possible que leur auteur se soit, ainsi, autoparodié… illustrant à merveille la nature ambiguë de la littérature troubadouresque occitane ! Le champ lexical de la lyrique amoureuse médiévale est parfaitement maîtrisé, avant d’être impitoyablement mais symétriquement détourné : 

« Dieus vos sal, de prètz sobeirana,

E vos don gaug e vos lais estar sana

E mi lais far tan de vòstre plazer

Que’m tengatz car segon lo mieu voler.

Aissí’m podètz Del còr guizardon rendre

E, s’anc fis tòrt, ben me’l podètz car vendre. »

« Dieus vos sal, dels petz sobeirana,

E vos don far qui tals sobre setmana

Qu’audan tuit cil que vos vendràn vezer

E quan vendrà lo sendeman al ser,

Ve’n posca un tal pel còrs aval descendre

Que’us faça’l cul e sarrar e ‘scoissendre« .

 

« Dieu vous protège, souveraine de haut mérite;

Qu’il vous donne la joie et vous accorde la santé

Et qu’il me permette à moi d’agir selon votre plaisir

Que vous m’aimiez à la mesure de mon désir.

Ainsi pourrez-vous me rendre parfaite récompense

et, si jamais je vous fis tort, me le faire payer cher. »

 « Dieu vous protège, souveraine des pets ; 

Qu’il vous accorde d’en faire deux, pendant la semaine,

Tels que puissent les entendre tous ceux qui viendront vous voir.

Et lorsque arrivera le lendemain soir,

Puisse-t-il vous en descendre 

Un tel au bas du corps qu’il vous fasse serrer et rompre le cul. » 

 

Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter ua bona quarentenat ; e continuatz de legir « Lo Crit deu Fadet » ! 

Fly

Créature hybride issue d'un croisement entre le limougeaud et le normand, le Flyus Vulgaris hante les contrées du Sud-Ouest. Son terrain de chasse privilégié étant les poubelles, celui-ci se délecte de musique progressive, de livres d'histoire ennuyeux et de nanards des années 90. Dans sa grande mansuétude, la confrérie du Cri du Troll l'admit en son cercle, mettant sa bouffonnerie au service d'une noble cause. Devenu vicaire du Geek, il n'en fait pas moins toujours les poubelles.