Les influences du Japon dans Zelda : Breath of the Wild

« Mais il est teubé ce Narfi là, à nous parler des influences du Japon sur Zelda ? C’est développé au Japon, forcément que c’est influencé, oah, hé, l’est con lui. »
Certes mes chers lecteurs, certes. Mais si le game design des Zelda a toujours bien été dans le plus pur style japonais (forcément hein), ce n’est pas pour autant le cas de la direction artistique. Celle-ci étant habituellement très ancrée dans la culture médiévale fantastique occidentale, force est de constater que cet épisode de la série semble avoir fait un petit dans le dos de certaines traditions. Déjà, bon, Link, il porte du bleu et pas du vert. J’en passe et des plus pertinentes, tout le monde sait désormais que Breath of the Wild est un véritable épisode de rupture.
Mais c’est aussi le cas de la direction artistique donc, et si le château d’Hyrule a bien la gueule d’une forteresse tout ce qu’il y a de plus occidental et médiéval, que penser du village de Cocorico ? Et tous ces sanctuaires aux allures extraterrestres ? Si la série n’avait pas trop puisé dans l’histoire de son pays natal ou du continent asiatique jusqu’ici, c’est maintenant chose faite avec Breath of the Wild.
Voyons voir ça de plus près.

« Jōmon ! » – Michael Jackson

La plus grosse influence du Japon sur Breath of the Wild, nous vient d’un passé lointain. Plus exactement, des années 15 000 à 300 avant notre ère, c’est vous dire à quel point ça remonte. Jésus n’était pas né ; les makis n’étaient pas là pour remplir l’estomac des peuples du monde entier ; les Japonais bouffaient des glands ; et la Gaule n’avait pas encore déshonoré l’art culinaire nippon à coups de brochettes bœuf-fromage dégoulinantes de graisses saturées. Oui, c’était un monde exotique et difficile à appréhender.
Et au Japon, cette immense période porte le nom de Jōmon jidai, ou ère Jōmon dans la langue de Molière. Et c’est cette fameuse période Jōmon qui a servi d’inspiration à la majorité des technologies antiques de Breath of the Wild, et dont s’inspire le design des gardiens, des sanctuaires ou encore des créatures divines. D’après un article du site Mic, la redécouverte de l’esthétique Jōmon a commencé dans les années 50 avec l’artiste avant-gardiste Taro Okamoto, qui a utilisé le style Jōmon et a aidé à le diffuser. Mais c’est véritablement au XXIème siècle que le Jōmon perce dans l’imaginaire collectif japonais, notamment grâce à une exposition du British Museum. 
Le Jōmon semble d’ailleurs être une piste explorée très tôt par les artistes de l’équipe de Breath of the Wild, puisque certains dessins préparatoires rejetés en début de développement en incorporaient déjà des éléments. Je pense ici à la soucoupe volante extra-terrestre. Ça vous étonne ? Il y avait déjà des extraterrestres dans Majora’s Mask pourtant. Mais passons !

Le directeur artistique de Zelda Breath of the Wild présente la période Jōmon et explique les raisons qui ont poussé les développeurs à s’y intéresser.

L’influence de cette esthétique se retrouve donc partout dans Breath of the Wild, la technologie antique y tenant une place prépondérante. C’est surtout dans le style des poteries, finement ciselées pour l’époque, que Nintendo va puiser son inspiration. Les gardiens, ces fameuses créatures mécaniques ressemblant vaguement à un poulpe s’il s’était planté dans son évolution, se retrouvent ainsi être des quasi copié-collés de vases de l’époque Jōmon, s’inspirant de leur décoration.

Jarre du Jōmon Moyen. TNM.
Un gardien lambda. Avouez qu’il y a un air.
Le fameux shakōki-dogū du Tokyo National Museum.

Même chose pour les sanctuaires, eux aussi inspirés de ces mêmes poteries, et je vous renvoie à l’image à la une pour le constater par vous-même.

Mais s’il y a bien une chose qui s’est imposée comme une représentation de la période Jōmon, c’est la figure du dogū. À la base simples figurines représentant des hommes ou des animaux, le style des figurines dogū est variable, mais une représentation humanoïde en particulier a su s’implanter dans l’imaginaire collectif, et c’est celle du shakōki-dogū !
Le dogū est véritablement indissociable du Jōmon et se retrouve dans beaucoup d’œuvres aussi différentes que Love Hina (le manga de l’adolescent prépubère que je fus un jour, ne jugez pas), Shin Megami Tensei et Persona ou encore Pokémon. Il représente très fréquemment un artefact étranger voire alien, en tous les cas quelque chose d’inconnu et ancien.

Alors pourquoi je vous en parle de ces dogū ? C’est forcément qu’il y a une figurine dogū planquée quelque part dans l’immensité Hylienne, non ? Et bien oui, mais ce qui est amusant c’est que dans Zelda, notre dogū est un produit de la science actuelle du monde. Baptisée Cherry et entretenant une relation assez malsaine avec son créateur, la statuette est ici un four antique, permettant de concocter armes et protections afin de combattre plus efficacement les gardiens et autres créatures poulpesques d’inspirations Jōmon.

Salut Cherry, t’as de beaux yeux tu sais ?

Sheikah ton booty mec

Mais le Japon préhistorique n’est pas la seule époque ayant influencé les décors et la fibre artistique de Zelda. On retrouve également une influence importante du Japon traditionnel et rural, d’une époque là encore révolue mais beaucoup moins lointaine. C’est principalement du côté des Sheikah que cet aspect se fait le plus prégnant au sein de Breath of the Wild.

Maison de style Minka.

Le village de Cocorico, première ville que vous serez sans doute amené à visiter, et bourg où vivent la majorité des Sheikah, semble ainsi être basé sur un village japonais traditionnel. Le style des bâtiments est clairement inspiré par les anciens styles architecturaux nippons, que l’on qualifierait de Minka, ce terme englobant aujourd’hui toutes les résidences à l’architecture traditionnelle. La seule différence notable se faisant peut-être du côté de la toiture, usuellement en V inversé pour une maison Minka, là où l’on constate une certaine rotondité pour les habitations du village de Cocorico.
Du côté de l’architecture, toujours, on n’oubliera pas de mentionner la présence d’un torii ou simili-torii, à l’entrée du passage menant à la maison d’Impa, la cheffe du village. Le torii, rappelons-le, est un portique issu du shintoïsme et qui délimite une enceinte sacrée du monde profane : passer en dessous, c’est entrer de plain-pied dans le monde spirituel. Une façon ici, donc, de souligner le statut d’Impa, qui est d’ailleurs littéralement placée sur un piédestal.

Le simili-torii du village de Cocorico.

Du côté des plus petites subtilités architecturales, les échoppes des marchands voient leurs devantures décorées de grands drapeaux effilés, les fameux nobori. Ces bannières, il est possible les retrouver partout dans le Japon contemporain, avec le même rôle que celui de nos enseignes et devantures : signaler un commerce et en faire la publicité.
Ajoutons à cela la tenue assez spécifique de la plupart des villageois, qui portent pêle-mêle : des hanten, des zōri, et, plus surprenant, des torioigasa, un couvre-chef pourtant porté habituellement lors de danses ou de cérémonies. Mais, c’est sans doute là un moyen d’insister sur le côté traditionnel qu’est censée représenter la tenue des villageois.
Mieux encore, les Sheikah semblent clairement être les ninjas d’Hyrule. Leur rivalité avec le clan Yiga (sans aucun doute une référence aux shinobi de l’école Iga du monde réel), et leur façon d’être ou de combattre permet en effet de faire le parallèle assez facilement. Surtout si l’on se rappelle de Sheik dans Ocarina of Time, Sheikah qui avait la fâcheuse tendance de disparaître à coups de noix Mojo, tel un cliché de ninja ambulant.

J’allais presque oublier, mais la musique est elle aussi au diapason (vous l’avez ?), puisque le thème du village de Cocorico est complètement immergé dans la culture musicale traditionnelle nippone.

Durian, ça m’fait plaisir

Parce que oui, il y a aussi une multitude de petits détails qui confirment cette influence de la culture japonaise (et un peu plus largement asiatique) dans Zelda Breath of the Wild.

D’abord, parlons d’un fruit. Parmi la multitude des ressources que l’on peut collecter en Hyrule, un fruit a particulièrement attiré mon attention lors de mes déambulations. Le durian. Aaaaaah, le durian. Fruit fort heureusement inconnu des Occidentaux, sauf de ceux ayant voyagé en Asie du Sud-Est ou ayant pour amis quelques bourlingueurs. Apparemment, car je fais partie de la seconde catégorie, la première rencontre avec un durian se fait toujours de façon olfactive. L’impression subite que quelqu’un qui pue des pieds a marché dans du Munster tartiné à la merde, si vous voulez. Bon, j’extrapole un peu à partir de « Une puanteur indescriptible mec, je te jure. » Mais c’est un fait, le durian pue. Beaucoup. Fort. Et au niveau du goût, et bah on est pas loin de ça non plus.
Pourtant, les Asiatiques raffolent de la chose. Considéré comme le roi des fruits en Asie du Sud-Est, pour ses qualités gustatives et sa gueule incroyable (carapace dure et recouverte de pics, taille énorme, odeur forte, j’insiste), il n’est pas surprenant de trouver le durian comme un fruit pouvant augmenter votre réserve maximale de cœur dans Breath of the Wild.
À noter que l’on trouve principalement le durian dans le sud d’Hyrule, au cœur de la forêt de Firone. Forêt qui devrait d’ailleurs plutôt être renommé jungle : grandement inspirée par celles d’Asie du Sud-Est, difficile de ne pas penser au Cambodge en tombant sur certaines ruines enfouies dans une végétation épaisse et mystérieuse.

Le progrès, c’est pas toujours formidable…

Du côté des créatures, difficile de passer à côté des Korogus (bien qu’ils soient présents dans la série depuis Wind Waker), sorte de mélange des Kodama et des Koropukkuru, deux Yokaïs du folklore japonais.

Notez que pour l’ersatz de moustache, j’ai bien une idée de ce qui l’a influencé, mais j’ai pas envie d’avoir de problèmes…

Si les Kodama n’ont pas de forme véritablement fixée dans l’imaginaire (bien que la version de Miyazaki dans Princesse Mononoké semble avoir fait date), ce n’est pas le cas des Koropokkuru, presque toujours représentés sous la forme de lutins barbus se planquant sous une feuille de nénuphar. Les Korogus sont, donc, un mix de ces deux créatures : esprits farceurs de la forêt, ils sont souvent représentés accompagnés d’une feuille, sous laquelle ils s’abritent ou planent. Littéralement hein, pas comme Snoop. Par ailleurs, je vous link (vous l’avez ?) l’épisode de maitre Jean-Jacques sur les Koropokkuru, il vous en parle mieux que moi.

Parlons enfin un peu des moines Sheikah momifiés, ceux-là même qui viendront vous récompenser à la fin d’une épreuve de sanctuaire. Il semble que ces momies aient été inspirées des sokushinbutsu, et le merveilleux Patrick Baud d’Axolot vous en parle par ici (à partir de 5:49), bien mieux que moi lui aussi. Un sokushinbutsu, une fois momifié, ressemble donc à ceci.

Le sokushinbutsu du temple de Dainichibo

Et un moine sheikah pris au pif sur les Internets, à cela.

Un des très nombreux moines sheikah que Link rencontre pendant son aventure.

Le parallèle est déjà assez flagrant, mais il l’est encore plus lorsqu’on sait que ces moines sont encastrés derrière une sorte de vitre technologique sheikah, avant que Link ne vienne les déranger.

Vous l’aurez compris, outre la culture antique/Jōmon et le village de Cocorico, les allusions au Japon sont fréquentes. J’en passe, et des pas forcément subtiles ; je pense notamment aux trois dragons qui écument les cieux des différentes régions d’Hyrule. Mais bon, pour paraphraser Jean-Claude Duss : à un moment, faut savoir conclure.

Attention : cet atricle n’est pas un atricle sur les dragnos. Merci de votre compréhension.

L’haleine du sauvage

Ce qui est finalement intéressant de voir, c’est bien que l’utilisation plus marquée de cette culture japonaise est là pour dépayser un public en particulier : le monde occidental. En effet, comme souligné précédemment, si la culture Jōmon est très méconnue en Occident, elle est redécouverte et assimilée depuis quelques années par un peuple japonais qui semble d’ailleurs en être friand. Et ainsi, lorsque, dans le documentaire en début d’article, on entend le directeur artistique Satoru Takizawa souligner que la culture Jōmon est encore obscure pour certains, il faut sans doute comprendre ici de façon implicite, « pour l’Occident ».

« Elle a une aura de mystère et de merveilleux qui nous attirait beaucoup. Nous cherchions quelque chose qui aurait un ressenti unique, et nous avons choisi le période Jōmon du Japon en conséquence de cela ».             Satoru Takizawa

Or, les joueurs japonais ne seront pas les plus décontenancés face à cette culture, contrairement aux joueurs américains et européens. Cette aura de mystère et de merveilleux dont parle Takizawa, c’est celle que ressentirait l’Occident, une fois confronté à une architecture et des décors exotiques, inspirés d’une période n’occupant aucune place dans son imaginaire collectif dénué de toutes références à la préhistoire japonaise.
Une façon pour Nintendo, peut-être, d’assumer sa série comme une saga de jeux définitivement tournée vers l’Occident, plutôt que vers ses propres frontières. 

Ce graphique officiel fourni par Nintendo montre clairement que Zelda est un phénomène in fine très occidental. Au Japon, Zelda s’est moins bien vendu que Splatoon 2 ou Mario Kart 8.

Mais cette utilisation prononcée d’une culture dépaysante pour l’Occident, semble bien montrer l’importance que revêt ce marché pour Hyrule et le petit artisan de Kyoto. 
Zelda Breath of the Wild est, sans doute, le jeu le plus japonais de la série dans sa direction artistique et ses inspirations. Mais paradoxalement, il se destine à un public occidental, avide de mondes ouverts comme de culture nippone et exotique.
La promesse de dépaysement, et d’un voyage merveilleux dans des contrées inconnues, passe aussi par là.

Narfi

Narfi a été accueilli au sein du Cri malgré sa nature de troll des forêts du Périgord, une sous espèce cohabitant rarement avec ses cousins des plaines Limougeaudes (Petrocore constituant la seule exception connue des Trollologues) Crasseux et vulgaire, poète dans l'âme, il aime à rester au fond de la tanière pour lire des bédés et jouer sur son PC, insultant de sa bouche pleine de poulet frit tous ceux croisant son chemin dans les dédales des internets.

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