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Les sentiers des Astres 2 : Shakti, danse avec les Teules

Il y a quelques mois de ça, je vous parlais du premier tome des Sentiers des Astres, un roman au monde et au mythos plutôt cools et avec des personnages attachants, mais sévèrement handicapé par un rythme bâtard et quelques ficelles narratives un peu trop visibles. Les Moutons Électriques nous ont envoyé le second tome de la saga de Stefan Platteau, qui continue de développer les déboires de notre expédition de bandits et de maquisards.
Et c’est beaucoup mieux. Genre à tous les niveaux.

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Dans l’épisode précédent !

Difficile de vous décrire l’intrigue de ce tome-ci sans en passer par un rapide résumé de l’épisode précédent.

Attention donc, SPOILERS AHEAD !

Après que la compagnie ait été réduite de moitié aux mains des horribles Hermines, sorte d’humains dégénérés, et de leurs abominables maîtres Nandous, nos héros se réfugient à la fin du premier tome dans une caverne magique, protégée par des sortilèges Teules, un peuple de sauvages pacifistes, indigènes à la forêt du Vyanthryr où se trouvent nos protagonistes. Seulement voilà, l’étau se resserre, et le Capitaine Rana, chef de l’expédition, finit par claquer emporté par une infection. Fintan Callathyn le barde prend les rênes du groupe de survivants, et se décide dans l’urgence à épargner Manesh, qui s’est finalement révélé être un traître, car il est le seul à pouvoir leur offrir une chance d’échapper aux Hermines et Nandous, de par ses affinités avec ses lointains cousins les Géants Solaires.

FIN DU SPOILER !

Le roman s’entame à la suite des événements du premier sur une folle fuite en avant, quasiment ininterrompue, et qui déroule les morceaux de bravoure comme un vieux monsieur les bonbons au sortir de la cour de récré ! Le rythme est cette fois ci maîtrisé ; pas d’interruptions, on se laisse emporter par la tension énorme qui pèse sur les épaules de nos personnages, pour qui l’échec rime avec un sort pire que la mort.
Cette cavalcade effrénée permet à l’auteur de nous distiller quelques scènes d’action haletantes et bien amenées, où le suspense est à son comble. Le nombre réduit de personnage au casting, et l’immensité de la menace à laquelle ils font face ne peut que rendre perplexe quant à leurs chances de survie, et on se ronge souvent les ongles d’anxiété entre deux pages dès qu’un des personnages se retrouve en mauvaise posture. Rajoutez à cela des frictions au sein même du groupe, puisque certains survivants enragent de la présence du Bâtard à leurs côtés, et vous obtenez une recette parfaite pour créer de la tension et développer les personnages qui n’avaient pas encore eu droit à leur petite présentation.

Assez rapidement, nos compagnons vont tout de même pouvoir se relâcher, et l’action jusque-là omniprésente passe en sourdine, le temps pour Shakti, la courtisane du groupe, de nous révéler son passé tout comme Manesh l’avait fait lors du premier tome.

Shakti pas celle que j’croyais !

Shakti nous conte ainsi sa jeunesse dans le Lempio, sorte de forêt originelle du grand Nord, où les récits chamaniques ont une réalité tangibles : la forêt est divisée en quartier, chacun dirigé par un esprit animal puissant, esprits qui se trouvent être les vassaux de la mère de Shakti, la seigneure du Fort du Harfang. Si Shakti apprend auprès de celle-ci les rites et vieilles coutume chamaniques, la venue de Meijo, un jeune noble désargenté, l’éloigne de son héritage animique. Le désir plus que l’amour qu’elle éprouve pour le jeune homme va amener Shakti à faire des choix plus que discutables, ce qui va engendrer une guerre avec la Croque-Carcasse, l’immense esprit Ourse du Lempio, maudit il y a des siècles de ça.

Ce que nous raconte Shakti aussi et surtout, c’est l’histoire d’un premier amour, l’histoire d’une jeune fille qui devient jeune femme, non pas parce qu’elle découvre les plaisirs de la chair (cochons que vous êtes !) mais parce qu’elle fait des erreurs, et qu’elle apprend cruellement que ses actions ont des conséquences, parfois catastrophiques. La perte de l’innocence est inéluctable, et on sent l’évolution du personnage se faire au sein même du récit qu’elle nous fait des événements, passant de fille aventureuse, positive et amoureuse à une femme plus calme et composée, à l’esprit vif, mais aussi amère.

Cette nouvelle culture qui nous est exposée dans ces flashbacks, celle des Firwanes et du Nord, nous permet de découvrir d’autre lieux et d’autres peuples que ceux de l’Héritage, et, cette fois bien plus frontalement que dans le premier tome, de nous montrer l’opposition entre les traditionalistes, qui connaissent et côtoient la magie au quotidien, et les nouveaux venus, les jeunes, les incroyants. Ceux qui, même en mettant leur doigt dans un stigmate, continuent à douter, restants aveugles à l’évidence.
Au milieu de tout ça, se trouve Shakti, connaisseuse des rites et sachant très bien que la magie existe, vivant avec les esprits depuis sa plus tendre enfance, mais poussée par son premier amour, Meijo, à s’en détacher et à renier cet héritage. Les thèmes qu’abordait déjà Stefan Platteau dans son premier tome, ceux d’une magie et d’un surnaturel existant mais ignorés de la plupart, se trouve ici magnifié, dans ce récit qui cristallise véritablement cette thématique, dans la lutte interne que Shakti mène entre sa connaissance des traditions et de leur réalité, et son envie de s’intégrer dans la modernité.

AinuGroup

Je soupçonne Platteau de s’être inspiré de la culture des Aïnous pour créer son île nordique et le Lempio d’où est originaire Shakti.
Culture chamanique où l’animal le plus important est… l’ours. CQFD.

Mythe au cul

Fintan, lui, est amené à jouer littéralement de cette magie, ancienne et primordiale.
Tandis que Shakti nous parle de sa jeunesse et des rites chamaniques du Nord, dévoilant un peu plus l’univers, un moment de calme et de poésie pure nous est offert par Fintan au tournant du roman, nous révélant que sous ses guenilles de musicien ambulant, notre barde cache plutôt bien son jeu. Moment de flottement poétique qui laisse la place à un événement des plus mystérieux, sans doute la plus belle irruption du mythos au sein des Sentiers pour l’instant, apparition marquante pour le barde comme pour le lecteur.
Les moments de repos pour nos héros dans la seconde moitié du roman sont également le moyen pour l’auteur de nous développer un peu plus son univers, en s’attachant cette fois à des peuples bien loin de ceux de l’Héritage du premier roman, que ce soit les Firwanes donc, ou les Teules.

Le véritable artisan de ces quelques moments de volupté, c’est bien sur Stefan Platteau lui même, dont le style, toujours excellent, flirte dans ces rares moments de contemplation avec la perfection. Et si le dernier roman se finissait sur un cliffhanger un peu pété et dont on connaissait le dénouement, Shakti se finit de manière ouverte et de très belle façon, dans une scène où tous les événements du roman semblent se rejoindre pour sa douce conclusion, laissant au passage de nombreuses questions en suspens.

Verdict

Après un premier tome enthousiasmant mais handicapé par des défauts de jeunesse, le second épisode des Sentiers des Astres rattrape le coup de jolie manière ! Les gros problèmes de rythme du premier épisode ? Disparus ! Les quelques maladresses dans la construction de l’univers ? Pareillement !
On se retrouve avec un récit qui nous emporte loin, qui nous fait rêver, qui nous donne à découvrir de nouveaux peuples et des nouvelles parties de ce monde s’étendant avec chaque tome. Quelques morceaux de bravoures, des instants de poésie, des moments d’émerveillement et d’horreur face à des êtres grandioses parfois menaçants, c’est ce que vous propose ce deuxième tome des Sentiers des Astres. Et honnêtement, si vous êtes fan de fantasy, vous auriez tort de vous en priver !

Narfi

Narfi a été accueilli au sein du Cri malgré sa nature de troll des forêts du Périgord, une sous espèce cohabitant rarement avec ses cousins des plaines Limougeaudes (Petrocore constituant la seule exception connue des Trollologues) Crasseux et vulgaire, poète dans l'âme, il aime à rester au fond de la tanière pour lire des bédés et jouer sur son PC, insultant de sa bouche pleine de poulet frit tous ceux croisant son chemin dans les dédales des internets.