Quentin Tarantino et moi

Ça y est, c’est la rentrée. Pendant que les adultes responsables achètent les fournitures scolaires de leurs mouflets en hurlant dans les rayons du supermarché « Non Tom, tu n’auras pas de trousse Spiderman, et si t’es pas content, t’as qu’à te débrouiller pour arranger cette histoire entre Disney et Sony », je me la coule douce en regardant Cauchemar en cuisine.

Alors OK, c’est une émission télé qui est à la qualité ce que Michel Sardou est à la poésie, mais je ris aux blagues de Lazylumps si tu veux, donc c’est pas la honte qui m’étouffe. Mais aujourd’hui, même pas un replay quoi, rien, nada, queutchi. Il pleut, j’ai à peu près le taux de sérotonine de Houellebecq un jour de Toussaint, donc faut que je me secoue. Et là, l’illumination. J’ai un article à écrire. Voilà, la vie est belle, les oiseaux chantent et en plus c’est pas comme si au Cri il y avait genre une exigence de qualité quoi. Lisez les articles de Narfi si vous ne me croyez pas.

Et j’ai eu envie de te parler de Tarantino. Un sujet peu connu, un réalisateur obscur, et un mec qui se préoccupe vraiment de mon avis. Attention, cet article comporte des spoilers, notamment sur son dernier film Once upon a time in Hollywood. Alors c’est qui Quentin Tarantino, pour l’unique lecteur de ce pavé qui aurait fait un coma de 20 ans lié à la surconsommation de gluten ? Colle une musique de fond de documentaires TF1, et lis ce qui suit avec ta voix la plus suave (celle que tu prends au pub le samedi pour trousser la fille de la coiffeuse du coin).

Tarantino c’est le premier mec dont on te parle quand tu as 12 ans et que tu t’intéresses au cinéma. C’est devenu un adjectif. C’est un des réalisateurs les plus connus au monde. C’est un mec qui ferait passer Alain Delon pour l’abbé Pierre niveau ego. Et c’est un mec talentueux. Et un mec qui me pose problème, mais on va y revenir.  Pour les fanas de cinéma dont je fais partie, Quentin Tarantino c’est un des premiers noms que tu apprends. Parce que c’est un mec qui a construit sa légende et sa carrière sur le fantasme de tout les mordus de pellicule. C’est le type qui était nul à l’école, que sa mère envoyait au cinoche avec 10 dollars, et qui a bossé dans un vidéoclub pendant cinq ans. La preuve ultime que quand tu aimes le cinéma de manière inconditionnelle, tu trouves le moyen de mettre un pied dans la porte et d’ouvrir le reste au pied de biche si nécessaire. 

Au sommet dès les premiers pas 

Sa carrière commence en 1992, avec Reservoir Dogs, huis clos nous montrant une bande de malfrats qui, après un casse qui a mal tourné, se retrouvent cloîtrés dans un entrepôt désaffecté. Premier film, qualifié de « plus grand film indépendant de tous les temps » par le magazine Empire, et premier traumatisme pour les fragiles de l’écran avec une scène d’oreille sur fond de Stuck in the Middle with You. 

Du coup, l’essai est transformé pour Quentin, qui enchaîne dès 1994 avec Pulp Fiction, peut-être son œuvre la plus culte aux yeux des cinéphiles. Il casse les codes de la narration, chapitre ses parties, et empile les références à la pop culture comme un fana de manga pose des figurines sur ses étagères, pour le fun, et parce que c’est cool. Choisissant de remettre en lumière un acteur en perte de vitesse (John Travolta, qui peut lui dire merci), il raconte différentes histoires, un chassé croisé de personnages qui sont au final tous connectés, certains même avec son film précédent. Il tisse sa toile sur grand écran, prouvant son talent de dialoguiste au travers de phrases cultes. En effet, comment oublier l’évangile de Jules ou encore la punchline virtuose de Winston Wolfe « C’est à une demi-heure d’ici. J’y suis dans dix minutes. » 

Vincent Vega et Mia Wallace dansent sur You Never Can Tell de Chuck Berry, et Tarantino repart avec la Palme d’or à Cannes. Deuxième film. Le mec a en deux films mis un énorme coup de pied dans la fourmilière du cinéma mondial. 

Très influencé par les films de la Blacksploitation (courant du cinéma des années 70 mettant les personnages noirs en valeur après des années de seconds rôles peu reluisants), il enchaîne avec Jackie Brown en 97. Le film mal aimé de sa carrière selon moi. Celui dont on oublie toujours le nom quand on énumère les œuvres de Quentin. Est-ce parce qu’il adapte ici un roman ? Je ne saurais te le dire. L’histoire de cette hôtesse de l’air badass qui trafique sur le côté avec un marchand d’armes en faisant passer du pognon pour lui est, à mon pas si humble avis, un de ses meilleurs. Mention spéciale à Pam Grier, absolument géniale dans le rôle titre. Avec Jackie Brown, Tarantino continue à tracer son sillon, en dehors des sentiers battus de la grosse machine hollywoodienne, mais pas non plus complètement indépendant, à fabriquer un film avec deux bouts de scotch. Il continue à honorer la mémoire d’un cinéma qu’il aime et se nourrit de ce même cinéma pour créer son propre truc, référentiel mais original dans le traitement. On retrouve ses marottes, ses bons mots, son talent de réalisateur évident, et son amour du beau plan. À ce moment de sa carrière, il devient de plus en plus certain que Tarantino se fout de faire des films qui plaisent au plus grand nombre, mais veut faire des films dans lesquels il incorpore un maximum de trucs qui font kiffer. Un accumulateur compulsif de références, qui confirmera cette impression avec ses films suivants. 

Mais il est trop simple de résumer Quentin à ça. C’est avant tout un génie de la caméra. Alors oui, il le sait, et oui il en profite. Il fait durer le plaisir, il se la pète en faisant des plans séquences compliqués, en jouant de la caméra avec une aisance qui confine à l’arrogance. Mais on a jamais reproché à Jimi Hendrix de trop bien jouer de la guitare en lui disant « Ça va Jimi, on a compris, joue plutôt du Voulzy quoi ».

En 2003, Kill Bill Volume 1 débarque dans les salles de cinéma du monde entier. Suivi de sa suite, originalement appelée Kill Bill Volume 2 en 2004, ce diptyque doit être considéré comme une œuvre commune et a donc été conçue comme telle. Revenge-movie contant l’histoire de la Mariée, aka Beatrix Kiddo, aka Black Mamba, tueuse à gages enceinte laissée pour morte après avoir trahi Bill, et qui décide de démonter tout ceux qui dans sa quête de vengeance l’empêcheraient de retrouver le-dit Bill, ancien amant et père du-dit bébé. Avec ce double film, Tarantino ancre un peu plus sa légende et ses obsessions.

Les pieds de l’héroïne sont filmés au détour d’une entrée en voiture laborieuse, on fume des Red Apple (marque de cigarettes fictives inventée par le réalisateur), on s’échange des bons mots avant de se bastonner sur de la musique culte, au fil de longs plans séquences ou du plan fixe prenant pour point d’ancrage le coffre d’une bagnole.

Le film fait la part belle aux femmes, représentées comme puissantes, badasses et prêtes à en découdre. Tout comme son film suivant Boulevard de la Mort, film de vengeance itou ou des meufs vont en faire baver à Kurt Russell, tueur en série sur quatre roues, qui a tenté de les buter avec sa bagnole réputée pour protéger son conducteur de la Faucheuse.

Et c’est ensuite qu’entre Quentin et moi, ça se complique.

Et la morale, dans tout ça ?

Son film suivant, Inglourious Basterds, a tout pour me plaire sur le papier. Brad Pitt en chasseur de nazis, à la tête d’une troupe de Basterds qui démonte du SS à la batte de base-ball, la France occupée et Christoph Waltz en grand méchant prêt à tout, Hans Landa… Mais dès la première bande annonce, Quentin en fait trop. « Vous n’avez pas vu la guerre si vous ne l’avez pas vu filmée par Quentin Tarantino » titre un de ses trailers. Là, je commence à me dire qu’il a peut être un petit problème de confiance.

Loin de moi de vouloir faire l’analyse psychique de ce cher Quentin. C’était sûrement une phrase maladroite. Mais elle est symptomatique d’un problème que Tarantino a dans ses derniers films : le moralement discutable. L’indignation à géométrie variable par moments. En effet dans Inglourious Basterds, la fin me pose problème. Pour souvenir, après moult péripéties, (spoil) les têtes pensantes du troisième Reich meurent dans l’incendie d’un cinéma. Belle métaphore. Le cinéma salvateur, qui sauve de tout, même du nazisme. Mais dans les faits, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça. Et changer l’Histoire à sa guise, sans la renier car c’est une œuvre de fiction bien évidemment, c’est tout à fait son droit à Quentin. Mais en comparaison avec son film suivant, Django Unchained, cela me dérange un peu.

Car son film suivant, Django traite de l’esclavage. Gros sujet, tout comme la seconde guerre mondiale, tu en conviendras. Difficile à aborder, à prendre avec des pincettes dans les deux cas. Et dans Django, Quentin est sérieux. Enfin, plus sérieux que dans Inglourious Basterds. Moins dans le grandiloquent, le burlesque. Loin de moi l’idée d’une classification des horreurs commises par nos aïeux. L’esclavage et le nazisme, ça a quand même un gros côté fils de femme tarifiée. Au même point. Sans que l’un ou l’autre gagne dans l’immonde. Alors pourquoi ne pas les traiter de manière égale ? Pour moi, Tarantino ne se l’est pas permis parce qu’il est américain. Tout simplement. Et c’est la que je le trouve incohérent. Tu ne peux te définir comme l’enfant déglingué du cinéma, si tu n’es pas capable d’aborder un sujet qui a touché ton pays de plus près de façon aussi irrévérencieuse que dans tes autres films. Django est sûrement mon Tarantino préféré, mais je lui reproche un sérieux trop sérieux justement. Je demandais pas des blagues lourdes ou de la référence à ce qu’il aime. Mais j’ai eu l’impression qu’il avait fait un film qui au final n’était pas le sien, même si on y retrouve parfois sa patte. De toute évidence, Quentin semblait s’être assagi.

Je ne m’attarderai pas sur Les huit salopards, huis clos westernien, pour la simple raison que je ne l’ai pas aimé. Long, pour moi vide de sens, je choisis d’occulter ce film qui ne correspond pas au cinéma que j’aime, mais plus à sa salle d’attente, là où rien ne se passe, et au final, le soufflé ne peut retomber, n’étant jamais monté. Dommage car l’ambiance western et la direction d’acteurs étaient au rendez-vous, mais il faudra repasser pour le reste. 

La sagesse nouvelle de Quentin allait-elle se retrouver dans son dernier opus ? 

Histoire d’un acteur sur le déclin et de son cascadeur, devenu homme à tout faire dans le Hollywood des années 70. Acteur qui se trouve être le voisin de Sharon Tate, femme de Polanski macabrement célèbre pour avoir été assassinée froidement par la Manson Family, groupe de tueurs à la charge du gourou Charles Manson. Là encore, Tarantino n’en fait qu’à sa tête. Le film est long, a des bouts de gras qui ne font pas avancer le débat, mais est comme d’habitude truffé d’hommages, de plans à filer une turgescence à un eunuque, et de dialogues savoureux. Mais la fin est encore une fois aux confins du pas si cool. À la fin du film, (SPOIL) Sharon Tate est en vie. Parce que la vie tu vois, elle change d’un battement d’aile de papillon. Alors, d’accord, il suffit d’un rouage pour que le destin change. Mais où est la décence dans tout ça ? On parle d’une femme qui a supplié pour sa vie, enceinte de huit mois. Je sais, là encore, il s’agit d’une fiction, non d’un documentaire. Mais moralement, ça craint un chouia selon moi. Parce que on ne peut nier les faits dans ce genre de cas, l’impact que le décès de Sharon a eu sur la vie de ses proches. J’ai lu que Polanski avait aimé le scénario. J’ai moins aimé que lui. Mon avis compte moins que le sien bien sûr, mais je ne vais pas me cacher derrière mon doigt.

La fin craint à mort. 

Encore une fois, sous couvert d’humour et de violence gonzo à l’écran, l’horreur devient limite cool. Et c’est pas tellement dans mes cordes d’être d’accord avec ça. 

Qu’on le veuille ou non, Quentin Tarantino a réussi en moins de dix films à marquer l’histoire du cinéma contemporain. Tour à tour irrévérencieux, enfant terrible ou génie visuel et narratif, ses talents de scénariste et de metteur en scène font qu’aujourd’hui personne ne peut nier qu’il est devenu l’un des plus grands réalisateurs au monde, son nom étant même aujourd’hui un mot à part entière. Être tarantinesque, c’est être affranchi de certains codes et ne pas avoir peur de dérouter son audience. C’est être fier de son amour pour le cinoche, et faire des films cools. 

Mais le sens moral de certains de ses films n’est pas toujours du meilleur gout. Si la vie imite l’art, chez Quentin, l’art est aussi parfois à la frontière de l’éthique selon moi.

Je te laisse ranger les stylos quatre couleurs des enfants, demain il y a école.

KaMelaMela

Kamélaméla aime deux choses: la blanquette et Eddy Mitchell. Sinon, de temps en temps, elle va au ciné. Voila, vous savez tout.