Interview de Patrice Louinet, traducteur officiel de Conan !

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Conan, pour beaucoup d’entre-nous, c’est un gros barbare musclé et huilé qui s’ébat pesamment sur nos écrans, incarné par le volumique Schwarzenegger et ses deux expressions faciales. Cela évoque chez nous une bestialité bon enfant, un univers fantastique de carton-pâte et souvent pas beaucoup plus. Pourtant derrière Conan il y a un homme, Robert Howard, et des bouquins, oui mes braves, ces lourds machins pleins de pages dont vous négligez trop souvent la docte lecture. L’œuvre du Texan, dépassant d’ailleurs son personnage fétiche, est par bien des aspects, fondatrice pour la fantasy moderne, or bien peu d’œuvres ont eu une destinée aussi complexe que celle d’Howard, dans l’établissement des textes notamment. Repris, modifiés, associés à de discutables ajouts, le texte fondateur d’Howard nous est parvenu longtemps à travers un brouillard littéraire difficile à dissiper. À nous les versions contrefaites remisant Howard à de la littérature Z et vouant le sauvage Cimmérien à un exil loin de la noblesse de son cœur de barbare… Puis vint un messie, ou tout du moins un passionné, Patrice Louinet, qui s’est attelé à une tâche immense visant à réhabiliter Howard et son œuvre pour notre plus grand plaisir. Il est aujourd’hui le traducteur officiel en français de Howard et un des spécialistes mondiaux de son œuvre.

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 Patrice Louinet

Patrice Louinet, bien le bonjour ! Merci de répondre à ces quelques questions qui vont nous permettre d’y voir plus clair dans tout cet imbroglio. Et donc pour commencer, comment en es-tu venu à Howard et à Conan ?

J’ai découvert Howard de façon très classique pour un Français : les bandes dessinées, puis les recueils de nouvelles de Conan chez Lattès, et enfin le reste de l’œuvre qui était parue chez NéO. Arrivé en fac d’Anglais (à Limoges, ma bonne dame !), un de mes profs m’a incité à écrire sur Howard lorsque j’arriverais en quatrième année et j’ai donc rédigé mes mémoires de Master 1 puis 2, sur REH. Durant la phase d’écriture, je me suis rendu à Cross Plains, la ville où vivait Howard, et j’ai rencontré Glenn Lord qui était alors l’agent des droits de Howard, pour la première fois. A partir de là, tout s’est enchaîné assez vite : séjours à Cross Plains, rencontre avec Novalyne Price (la girlfriend de Howard en 1934-1935), World Fantasy Convention, premiers articles dans des fanzines français et américains, puis dans des publications semi-professionnelles aux States.

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 Conan par Frank Frazetta

Quel a été ton travail sur les œuvres d’Howard ?

Vaste question ! Le premier a été évidemment le travail de remise en forme des textes, charcutés tant qu’à bon compte au fil des ans. Je suis donc allé à la pêche aux manuscrits. Je précise que tout cela était pour le compte de Wandering Star, l’éditeur anglais qui venait alors de se lancer dans un ambitieux programme de réédition des œuvres d’Howard. Ils m’avaient demandé – à moi, un Français ! – si je voulais bien diriger l’intégrale Conan. Tu imagines ma réponse. Depuis, j’ai fait vraiment beaucoup, mais alors beaucoup de choses, mais toutes découlent de ce travail initial. En ce qui me concerne, la première étape de tout travail pour donner à une œuvre ses lettres de noblesse est de la diffuser, sans censure ni réécriture, telle que pensée et conçue par son auteur. Tout le reste en découle.

Peux-tu nous en dire davantage sur les déboires qu’a connu le texte d’Howard ?

Il avait subi à peu près tout ce qu’il est possible de subir : réécritures, censures, modifications, changements pour raison de « consistance interne », et évidemment des efforts acharnés pour faire passer Howard pour un tâcheron et un demeuré.

 

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 Robert Howard

Toi qui a travaillé sur les textes originaux d’Howard et qui touche un peu question langue de Shakespeare, que peux-tu nous dire sur le style littéraire du Texan ?

Il est en apparence simple, mais en apparence simplement. Il a une écriture fluide, extrêmement dynamique dans le traitement de l’information tout en ménageant des moments de pause très poétiques. Les thèmes de Howard, le traitement qu’il leur accorde et son style (dialogue notamment), sont incroyablement modernes.

Souvent on a pu lire ou entendre des analyses très négatives sur l’auteur de Conan, le traitant de misogyne ou de fasciste, que peux-tu nous dire à ce sujet ?

J’ai déjà écrit très longuement à ce sujet. Je vais donc faire bref : Howard était un antifasciste convaincu et affirmé. Et il était tout sauf misogyne. Il reste évidemment homme de son temps et avait quelques idées bien de son époque sur les rôles des hommes et des femmes, mais je le répète, vu son époque et son milieu, il était terriblement en avance sur son temps ! Je vais faire mon auto-promo et vous conseiller de lire Le guide Howard, chez ActuSF, où je décortique tout cela de façon plus poussée, avec des citations à l’appui !

Weird_Tales_1934-08_-_The_Devil_in_IronDans ses œuvres on peine à discerner des figures féminines fortes sauf quelques exceptions ; a-t-il conceptualisé une « femme barbare » possédant des caractères similaires à ceux de son héros le plus connu ?

On trouve effectivement des points communs entre ses personnages féminins forts, et souvent intéressants. On trouve aussi pas mal de personnages féminins fadasses, pour rester poli. En 1934, Howard a essayé de placer une série d’aventures dont l’héroïne était une femme (qui en foutait plein la gueule aux hommes, d’une manière générale) : il n’a jamais pu vendre son texte. Le marché des pulps, qui est celui dans lequel Howard a fait carrière (et dont il essayait de s’échapper au moment de sa mort), était constitué par un lectorat essentiellement masculin. Il était déjà mal vu d’être une auteure, alors pour le reste…

J’ai relu récemment, dans un ouvrage traitant de l’immense artiste Frank Frazetta (sans doute le peintre le plus important pour la représentation artistique du barbare cimmérien) que Howard était « complètement cinglé », d’où viennent ces allégations ?

De L. Sprague de Camp, qui disait que Howard était fou, mentalement instable, etc. Ce qui lui permettait de justifier l’intervention d’un autre auteur pour « réviser » les textes de cet auteur fou. Que ce second auteur ait été De Camp lui-même est bien évidemment un hasard total… De Camp s’est très simplement enrichi en pillant l’œuvre d’un autre et en tapant sur son cadavre.

Comme nous sommes en pleine semaine barbare sur Le Cri du Troll il est obligatoire que je te pose cette question (sans cela je reçois des coups de gourdins de mes camarades) ; quelle est la représentation du barbare chez Howard ? Est-ce une opposition à un « excès de civilisation » comme semble l’indiquer les Clous Rouges, une des nouvelles les plus célèbres de Conan ?

Le barbare chez Howard vit une vie difficile, violente et qui n’a rien de poétique ni d’idyllique. La civilisation est en revanche porteuse de tares qui conduisent à son autodestruction. Là-dedans, Conan a donc choisi la voie royale : entre un monde barbare sauvage et impitoyable où tout le monde meurt à la fin et un monde civilisé décati et impitoyable où tout le monde meurt à la fin, il vit une vie d’aventure et en savoure chaque instant sans se soucier d’hier ou de demain.

 

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Howard semble féru d’Histoire et souvent dans ses œuvres on remarque des inspirations historiques, qu’en est-il réellement ?

Le cycle Conan est en fait né de la très grande difficulté qu’avait Howard à vivre et à écrire des récits historiques épiques. Il adorait les écrire, mais il lui fallait faire énormément de recherches. Et le plus souvent, alors que ces récits étaient géniaux, des lecteurs lui reprochaient d’avoir utilisé tel modèle d’arquebuse en 1428 alors que ce modèle précis n’avait pas été mis au point avant le 42 juillet 1435, ou ce genre de futilité. L’Age Hyborien de Conan, c’est ça : des récits souvent épiques et pseudo-historiques, pour lesquels il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances historiques poussées, et pour lequel aucun lecteur ne pourra reprocher quoi que ce soit quant à la véracité historique. Si vous avez adoré les Conan chez Bragelonne, le livre qu’il vous faut acheter (et grouillez-vous, je crois qu’il est épuisé !) c’est Le Seigneur de Samarcande. Lisez, et on en recause ensuite !

Je suppose que l’œuvre howardienne doit être remplie de petites pépites méconnues, est-ce que tu pourrais nous parler de celles que tu préfères et qui t’ont le plus marqué ?

Querelle de Sang, un concentré des thèmes howardiens en 5 pages. Les Pigeons de l’Enfer et Les Ombres de Canaan ou Howard qui apprend à Lovecraft comment faire de l’horreur sans faire du Cthulhu, à peu près toutes les nouvelles historiques, mais je citerai L’Ombre du Vautour (avec Sonya la Rousse, la vraie) et Les Faucons d’Outremer où on s’aperçoit que Cormac Fitzgeoffrey est le héros le plus barré de la carrière Howardienne. Il y en a tellement !

 

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Meuhhhhhh!!!! 

Conan et un autre héros de Howard, Solomon Kane, ont été portés, avec différentes réussites, à l’écran, as-tu en tête une adaptation idéale de Conan à l’écran ? Un réalisateur sur le projet ?

En film, cela fait longtemps que je n’ai plus aucun espoir. Entre la niaiserie hollywoodienne et les réticences des majors, il vaut mieux oublier. Une série pourrait fonctionner, à partir du moment où on ne fait pas de Conan le personnage central. Mais qui prendrait ce pari ?

As-tu des conseils littéraires de fantasy, française ou étrangère, pour nos gentils lecteurs ?

Karl Edward Wagner et ses nouvelles ; Joe Abercrombie, Scott Oden dont j’espère que le prochain roman trouvera preneur en France. Sinon, je ne lis pas beaucoup de Fantasy, je dois l’avouer.

Entre autres choses, n’as-tu pas envie toi-même de te lancer dans l’écriture de romans ? Et si oui dans quel style ; l’épopée héroïque et fantastique ? Le drame mélancolique ? Les œuvres jeunesse ?…

Beurk.

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

Lâche ton cri

  • 27 juillet 2016 at 22 h 34 min
    Permalink

    On n’arrêtera JAMAIS!

  • 27 juillet 2016 at 15 h 50 min
    Permalink

    On avait dit qu’on arrêtait de dire du mal d’Arnold !

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