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Univers ! Pulp et lutte des classes

Parfois un éditeur a une vision, un PROJET, et cela se concrétise de façon fracassante dans les étals de nos chères librairies. Dargaud a récemment été touché par la grâce et s’est dit que les longues colonnes de fans zombifiés allant voir les marvéleries et autres épopées spatiales plus ou moins frelatées, pouvaient être un indice ténu d’un certain regain d’intérêt, plus ou moins hexagonal, pour la SF sous toutes ses formes. Mais là où j’envoie des fleurs, là où je déclame des panégyriques enflammés sur fond de lyres et de trompettes, c’est que la SF qui nous est servie est très loin de la pâtée standardisée moyenne qui déchaîne les passions, c’est au contraire de l’authentique SF élevée en plein air et nourrie au grain. Elle a le scénario brillant, la case claire et les idées bien charpentées par un soin d’artisans passionnés. Pour l’heure j’ai lu L’Humain et Mécanique céleste en plus d’Univers ! dont il va être question ici, et bien j’approuve, je félicite, je câline (virilement d’une claque sèche sur la croupe). Par ici pour le nécessaire abattoir pour voir ce qu’Univers ! a dans les tripes.

Pulp et austérité ?

Univers ! fait dans l’original. Un format à l’italienne, ce qui est déjà d’un certain exotisme dans nos contrées, contenu dans un fourreau rouge pétant qui rappelle dès le premier coup d’œil les incroyables couvertures des Pulp de naguère, laissant entendre qu’on va voyager dans des… univers !!!!! Boom blague de l’année, aux doux accents d’une SF généreuse, pleine d’aventures rocambolesques, de héros au torse bombé sentant bon le tritium, bref une SF colorée et qui parie sur le dépaysement pour capter le lecteur. D’ailleurs, point Histoire, c’est l’angoisse des temps nés de la Seconde Guerre mondiale qui mit fin à la première vogue des Pulp pour des récits plus sombres, plus torturés et moins bon-enfant que dans les années 20 et 30. Or précisément nous ne sommes guère dans une époque de franche hilarité qui, si elle est loin des torrents d’horreurs de la Guerre, n’en reste pas moins remplie d’un pessimisme latent dans les pays développés, dont les masses sont étranglées par le chômage et les politiques austéritaires.

 

Du coup on se demande bien ce que la couverture rouge et la gaieté apparente d’Univers ! viennent foutre dans cette galère. Hé bien mes chers amis, c’est précisément là que se situe le sel de la BD, dans une rencontre, des gens qui m’ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j’étais seul chez moi…

L’aventure pas pour les nuls

La rencontre, puisque c’est d’elle dont il va s’agir, c’est celle, improbable, de cette forme très Pulp avec des réflexions et des thématiques de fond qui rendent le récit nettement plus profond que ce que le packaging laisse entrevoir. Vont ainsi être abordés la rapacité habituelle du capitalisme, la férocité de l’humanité, les amours entre biologique et mécanique, la vie extraterrestre et le messianisme fanatique… entre autres, le tout dans cinq récits successifs aux connexions subtiles. Sacré programme oui, c’est ce que je me suis dit en refermant la BD. L’auteur, Albert Monteys, fait montre d’un talent certain dans la construction de ses récits ; jamais les dénonciations et les messages ne sabotent la marche de l’histoire, bien au contraire, ils en sont la mécanique interne, jamais un prétexte, et toujours un cadre de déploiement d’une intrigue dont les enjeux sont résolus dans une véritable fin.

La lutte est dans l’humour

Fidèle à un des credo originels de la SF qui est de questionner des sujets d’actualité dans un contexte souvent futuriste afin d’abolir les contraintes matérielles présentes et d’en pousser les travers jusqu’à leur expression la plus complète, Albert Monteys pose la question du capitalisme dès les premières pages. En effet un abominable chef d’entreprise qui ferait passer Mr Burns pour un délicieux philanthrope décide de s’approprier… l’univers, oui rien que ça. D’emblée nous saute au visage, d’une part la mégalomanie et la voracité d’un patron d’une gigantesque compagnie. Il est littéralement mort, cependant maintenu en vie par la technologie et son avidité, encore vivace, est prête à faire main basse sur tout ce qui existe, par un procédé à la fois amusant et terrifiant. Et d’autre part les dérives d’un capitalisme sans limite dans lequel la propriété privée sacralisée devient le moteur de l’asservissement généralisé. Alors le dénouement n’est pas le Grand Soir ou bien l’intrusion d’un barbu appelant à la mise en commun des moyens de production, mais un trait d’humour définitif qui montre à la fois le désarroi actuel des employés exploités et en même temps leur force d’agir contre les exploiteurs. L’humour comme vecteur de lutte, il fallait y penser, néanmoins si on regarde la floraison des mèmes internet et si on excepte l’atroce fumier de ceux qui véhiculent la haine, on peut se dire que c’est plutôt actuel. En tout cas ce n’est pas Desproges qui l’aurait renié.

Elle a un de ces processeurs…

Cependant la lutte finale n’est pas le seul thème présent dans l’œuvre ; la question des sentiments potentiels des intelligences artificielles est également questionnée, dans une forme différente à mon sens, de ce que l’on a pu voir ici dans Her ou dans Ex Machina. Dans Univers ! avoir comme conjoint un robot est la dernière banalité. Ce n’est pas une étrangeté, un caprice dégueulasse d’un déséquilibré, c’est clairement la nouvelle norme ringardisant les amours biologiques qui, désormais sont regardés avec une curiosité mêlée de dégoût. Cette idée est le sujet de la seconde histoire mais, comme elles sont toutes connectées au même… univers (vous l’aurez compris… enfin j’espère) on la retrouve ponctuellement tout au long de la BD. Il est très plaisant de suivre cette nouvelle forme de relations conjugales avec la machine à l’heure où nous voyons progresser très rapidement les IA. Si vous voulez vous en convaincre, allez jeter un œil aux prouesses du programme qui a battu un champion du jeu de Go, c’est perturbant. Les machines ne sont plus seulement des hyper calculateurs, elles sont en train de développer autre chose, et cet autre chose est le sujet de cette histoire. Ce n’est pas la révolution scénaristique, cela a déjà été longuement questionné, dès au moins Ghost in the shell, mais le traitement a les vertus d’une certaine application au quotidien dans la sphère de l’intime et non une réflexion éthérée et lointaine.

L’identification fonctionne bien et rend perturbant l’attachement à des robots qui sont physiquement des robots tout ce qu’il y a de plus robot ! Imaginez-vous en train de rouler un gros patin à un jouet de chez Matel à taille humaine et de l’appeler « mon lapin » et vous aurez la charge d’étrangeté qui est transmise. Parce qu’en effet l’auteur n’a pas choisi la facilité, celle qui consisterait à rendre les androïdes parfaitement humanoïdes. On n’est pas dans la vallée dérangeante, on est dans le canyon du creepy. Et pourtant ça fonctionne très bien. Si vous y rajouter une petite touche de volonté de rentabilité des produits, quelques pages sur la publicité outrancière et vous voyez que tout cela s’épanouit joyeusement dans les accords d’une société très proche de la nôtre, renforçant par là l’immersion.

E.T. et trou noir

Mais si la BD sait être très terre à terre, elle plonge également dans des sphères plus lointaines, plus absolues, dans les tréfonds de nos obsessions de découverte ; la vie extraterrestre. Où la trouver, comment se matérialise-t-elle? Albert Monteys engage une réflexion qui invite à prendre du recul, à se dire que les petits ET sont sans doute d’une nature différente de ce que l’on peut peut-être comprendre, voire simplement percevoir. Je ne m’étends pas trop parce que ça serait un peu gâcher la découverte.
La dernière histoire introduit un croisement de concepts plus complexes qui tiennent à la fois au voyage temporel et à la mécanique de l’espace-temps. Une belle histoire d’amour étrange qui se joue un peu comme Your name à travers le temps mais encore une fois avec des applications très proches du quotidien. On referme l’œuvre, le premier tome plutôt, là dessus et j’avoue que cela laisse songeur parce qu’on a voyagé à travers une galerie complexe de réflexions, de blagues et de sentiments.

Cadrages de champion

La forme de la BD est bien adaptée au thème traité. Les couleurs sont pétantes comme il faut, utilisées avec une audace dans leur emploi qui n’est pas sans rappeler quelques albums de Lucky Luke (les vrais savent). Et d’ailleurs on peut retrouver dans le dessin, des petits clins d’œil très agréables, notamment un que je pense fait à Druillet. Le trait est net, très précis mais c’est dans les cadrages que l’auteur se distingue. Il manie à merveille les angles de vue et sait utiliser les vertus de son format à l’italienne ; de plans fixes, descriptifs, il passe à des pleines pages profondes ou à des décontractions complètes de la grilles de cases, permettant de suggérer le trouble par exemple. Et toujours ces pages introduisant les histoires dont la composition est totalement dans l’esprit Pulp. Graphiquement, c’est une réussite qui démontre un savoir-faire très maîtrisé.

Univers ! c’est donc vraiment très bien ; la profondeur des réflexions et l’humour permanent rendent la lecture très plaisante et malgré tout un peu exigeante. Il ne s’agit pas de l’aborder sur le pouce en deux minutes et de toute façon c’est suffisamment prenant pour pousser à lire au moins une des histoire d’une traite. Cependant cela peut aussi un peu dérouter par l’opulence des thèmes et la volonté de vouloir traiter beaucoup de choses. Si vous aimez les intrigues qui vont d’un point A au point B avec une structure narrative bien établie, il se peut que cela vous laisse un peu dubitatif. Par contre si vous aimez quand ça part un peu dans tous les sens, vous devriez y trouver votre compte.

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.