Maneater, le Saigneur de la mer
Le voilà, enfin !! Le jeu que je n’attendais plus et qui pourtant est arrivé ! Rappelez-vous il y a quelques années je vous parlais d’une liste de jeux à licence qu’on adore malgré leurs défauts ! Je concluais mon article sur l’adaptation vidéoludique des Dents de la Mer, un objet démentiel, hilarant et sadique où l’on incarnait le requin, en espérant de tout cœur qu’un jour un remake ou une suite seraient faits ! Puis vint le confinement et toutes les horreurs que l’on connaît aujourd’hui, mais pour notre plus grand plaisir Tripwire nous a donné pour tenir le coup un des meilleurs défouloirs sortis ces dernières années : Maneater, la suite spirituelle de Jaws Unleashed !
Après avoir fini le jeu à 100% trois fois depuis sa sortie, je vous propose aujourd’hui mes impressions, mes mises en garde et mes espérances pour le « SharkPG » de Tripwire.
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Maneater, ce n’est pas seulement le titre du jeu, c’est aussi celui d’une émission de télé fictive à la « Chasseur de monstres » ou « Les Routes de l’enfer« , des docu/télé-réalité à sensation où on suit des gros américains en train de faire des trucs débiles en pensant que c’est important. Dans celui-ci, on suit Pete Leblanc alias « Scaly Pete » un pécheur de requin persuadé que les squales se sont donnés pour mission d’exterminer l’Humanité après que son père fut dévoré par un « Mega ». Avec son fils Kyle et une équipe de tournage, il chasse les requins au large de la ville de Port Clovis qui sera le théâtre sanglant de l’intrigue. En ce beau matin du tutoriel, un requin-bouledogue se déchaîne et attaque les baigneurs, Scaly Pete va devoir intervenir.
C’est le moment, pour nous joueurs, de prendre en main notre protagoniste, le requin. Les premières minutes sont très rassurantes, le joystick de gauche pour orienter le requin, une touche pour nager, le joystick droit pour la caméra, une touche pour mordre, c’est fluide et intuitif. Les mouvements plus avancés viendront aussi naturellement, un coup de queue (que vous pouvez utiliser comme arme à distance en projetant ce que vous tenez dans la gueule) une esquive, un plongeon et un saut. Vous êtes prêt à devenir la plus terrible des machines à tuer ! Pour certains critiques c’est aussi le moment où les ennuis commencent. En effet, la caméra en surface est capricieuse et l’action devient rapidement confuse. Tout ça à cause d’une décision vraiment étrange de la part des développeurs : la caméra ne retournera pas sous la surface de l’eau tant que vous n’aurez pas appuyé sur la touche de plongeon ! Donc si vous devez fuir l’affrontement ou que vous affrontez un ennemi en surface et sous l’eau, vous ne verrez plus que la moitié du décor (sous l’eau ou sur l’eau selon où vous êtes).
Quelques game over bien frustrants résulteront de cette décision, surtout au début de l’aventure quand on n’a pas encore bien pris en main cette fichue caméra. Dommage pour une première impression mais en fait on s’y habitue vite ! Pour ma part je me suis tellement éclaté à être ce monstre que j’ai rapidement ignoré le problème. Un souci ? Pouf, on plonge au fond de l’océan et problème réglé !
Malheureusement pour notre personnage, c’est le moment où le chasseur arrive et notre règne de terreur va s’interrompre très brutalement. Bien sûr, l’aventure ne commence vraiment qu’après ce tuto qui nous donnait les pleins pouvoirs. Désormais nous incarnerons l’enfant mutilé (une cicatrice bien classe en fait, infligée par l’antagoniste principal afin d »identifier » notre animal) de cette maman requin psychotique. C’est l’une de mes parties préférées de l’aventure, le tout début où on joue un bébé requin-bouledogue dans les eaux calmes du bayou. Car oui, oubliez le sempiternel grand requin blanc, pour une fois, on va jouer une autre espèce. Pourquoi ? Car le requin-bouledogue est responsable de bien plus d’attaques contre les humains que son célèbre cousin et qu’il a la faculté tout à fait bienvenue d’être aussi à l’aise dans l’eau douce que salée.
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L’arrivée dans le bayou est l’occasion de découvrir le monde semi-ouvert de Maneater, à part quelques endroits bloqués par des grilles que vous pourrez défoncer lorsque vous serez plus grand (et donc plus fort), vous avez maintenant accès à la map. D’une taille franchement très acceptable, elle est très diversifiée et est remplie de trucs à trouver, manger ou mordre. Bien que votre interaction avec le monde soit plutôt limitée (vous ne pouvez franchement que mordre ou frapper les objets que vous croiserez) vous n’aurez pas l’impression de nager en rond, au contraire : jusqu’à la fin du jeu vous aurez constamment des trucs à faire.
La vie de bébé contraste énormément avec le gameplay que vous venez de découvrir. Finie la machine à faire des steaks hachés, maintenant il va falloir fuir, se cacher et essayer de grandir le plus vite possible car les eaux du marais grouillent d’alligators particulièrement agressifs. À vous donc d’être prudent et de faire usage de techniques de sioux pour aller dévorer les appétissants poissons-chats que les alligators gardent pour eux !
Cette prudence sera de mise jusqu’au niveau 6 où vous allez grandir et devenir un adolescent, un moment-clé qui vous révélera l’étendue de la débilité et du fun de Maneater : vous gagnerez vos premiers super-pouvoirs ! Oui vous avez bien lu, notre protagoniste est tellement véner qu’il est prêt à subir les plus étranges mutations pour se venger de Scaly Pete. Enfin c’est sûrement ça… c’est un requin … Comme il ne parle pas beaucoup, j’extrapole peut-être en lui prêtant une intention, c’est peut-être aussi juste parce qu’il est prêt à bouffer absolument n’importe quoi…
Trois super-pouvoirs pour être précis, trois builds comme disent les gamers, seront à votre disposition pour votre plus grand bonheur :
– Le build de l’Ombre basé sur la vitesse, le poison et le vampirisme (??), le plus polyvalent des trois.
– Le Bioélectrique pour transformer votre animal en anguille électrique, si esthétiquement c’est de loin le plus beau et celui qui fait le plus de dégâts c’est malheureusement le moins utile des trois, il sacrifie beaucoup trop la défense en faveur de l’esquive et de l’attaque.
– Et enfin le build Peau Osseuse, de loin le plus pété et celui qui vous fera battre n’importe quel ennemi aussi puissant soit-il. En effet celui-ci va augmenter votre défense mais il le fait n’importe comment : avec la meilleure combinaison, vous absorberez 90% des dégâts que vous êtes censés subir ! Du coup la stratégie, l’esquive, la fuite deviennent vide de sens, bourrez tout sans réfléchir, de toutes manières rien n’est assez fort pour vous one shot avec ce truc.
Développer ces trois pouvoirs sera votre occupation principale de l’aventure, surtout si vous souhaitez finir le jeu à 100%, ce qui est tout à fait envisageable dès votre première partie. Pour ce faire vous devrez explorer à fond les huit zones qui divisent Port Clovis, abattre les 10 plus grands chasseurs de primes de la région (après Scaly Pete bien sûr) et survivre face aux Prédateurs Apex de chaque endroit (des versions légendaires de l’ennemi emblématique de chaque zone qui vous donneront plus ou moins de fil à retordre). Ce qui est malin c’est que, pendant une grosse partie du jeu, les trois pouvoirs sont complémentaires : l’Ombre vous aidera à finir rapidement les quêtes annexes des zones ce qui fera apparaître les ennemis ultimes, le Bioélectrique donné en abattant les chasseurs de prime vous permettra d’affronter avec plus de facilité les prédateurs Apex et ceux-ci finalement vous récompenseront en vous aidant à améliorer la Peau Osseuse qui vous avantage lors des affrontements contre les chasseurs de prime d’un niveau plus avancé. Une chouette boucle qui malheureusement déraille à la fin du jeu avec un équilibrage qui part en sucette, obligeant le joueur à n’opter que pour le build défensif.
Face (aux Dents de) la Mer, j’aurais dû grandir…
Sorti en 2020, soit 14 ans après Jaws Unleashed et 2 générations de consoles plus tard, comment Maneater se débrouille-t-il si on le compare à son illustre ainé ?
Eh bien… La question n’est pas si vite répondue. Le problème vient principalement d’un défaut évoqué plus haut, le manque de variété dans les interactions entre notre personnage et le monde qui l’entoure. Dans Jaws Unleashed on n’avait pas de super-pouvoir (à part celui d’être une sorte de mégalodon doté d’une conscience écolo exacerbée et au sadisme illimité) et pourtant on a l’impression d’avoir davantage de choses à faire. C’est étrange parce qu’en termes de personnalisation, Maneater écrase Jaws Unleashed, avec toutes ses variantes de build, les quatre ressources à collecter pour améliorer tel ou tel autre aspect de notre requin, c’est un vrai RPG qui récompense exploration et observation des patterns des ennemis etc.
Mais on attaque les humains toujours de la même manière, ils font toujours les mêmes activités, les prédateurs nous attaquent systématiquement même s’ils n’ont pas la moindre chance (spéciale dédicace à tous ces brochets niveau 1 qui se suicideront sur notre requin électrique niveau 30 de plus de 8 mètres), les chasseurs de prime débarquent toujours au bout de trois humains tués… Où est le plaisir sadique d’arracher la jambe d’un baigneur et d’utiliser son sang pour attirer d’autres requins qui le déchiquetteront avec délice ? Où sont les sauteurs à l’élastique qu’on attend avec le sourire jusqu’aux branchies au pied du pont d’où ils sautent ? Où est la joie de mettre en pièces un bateau de plaisance pour finalement laisser ses occupants s’en sortir sans une égratignure et disparaitre dans les profondeurs sans l’ombre d’une raison logique à nos agissements ?
Tout ceci est perdu dans Maneater, on ne peut pas dépecer un humain comme on le souhaite, on ne croise que des baigneurs ou des plaisanciers, idem pour les bateaux qu’on ne peut couler sans les faire exploser, tuant tous leurs occupants… ça manque donc cruellement de contenu endgame où on peut s’en donner à cœur joie avec notre puissance à son paroxysme. Le pire c’est qu’on pourrait presque retrouver ces sensations si les développeurs avaient choisi de faire tenir en apnée les nageurs un peu plus longtemps : s’ils ne se noyaient plus au bout de trois secondes sous l’eau on pourrait interagir davantage avec eux. Méchamment ou non, d’ailleurs, on pourrait les ramener à la plage ! Mais là non, une morsure et c’est la mort assurée, faites ça trois fois et, boy oh boy, vous avez intérêt à avoir mis votre plus belle Peau Osseuse ou vous finirez en sashimi ! Une formule qui devient très rapidement redondante et vous n’irez bientôt plus taquiner les humains. Il nous reste les créatures de la mer : les prédateurs qui vous attaquent en dépit de tout instinct de survie et les proies qui vous laissent faire en dépit de… eh bien… de tout instinct de survie ! Pas grand chose donc à se mettre sous la dent une fois que l’intrigue a atteint sa conclusion.
Vous l’aurez compris, Maneater n’a pas réussi à dépasser le maître mais il n’est pas non plus à jeter, loin de là, sinon je ne pense pas que j’aurais pris le temps de le finir trois fois !
Tout ce qu’il faut pour vous requin-quer
Maneater, c’est finalement avant tout une ambiance. Une atmosphère cynique, magnifiquement commentée par Chris Parnell, doubleur dans les séries cultes Archer et Rick & Morty, qui ne peut s’empêcher de souligner avec une candeur incroyable nos actions les plus violentes.
Il y a toujours une petite pique pour le consumérisme libéral qui a amené les habitants les plus riches de Port Clovis à saboter leur rivage, expatriant les plus démunis pour construire des parcs d’attractions ridicules, des golfs, et autres Marinelands… Ce monde délétère et corrompu, soutenu par le commentateur de ce fameux docu-fiction qu’est in game Maneater, en vient presque à justifier nos actions de requin psychopathe !
Si dans Jaws Unleashed, le message écolo était porté par les actions de notre squale, dans Maneater on est beaucoup plus un témoin de l’absurdité humaine. Les eaux dans lesquelles nous nageons sont remplies de déchets, on voit régulièrement au fond de digues construites pour créer un bout de paradis artificiel pour super-riches des panneaux expropriant les populations. Même les animaux que l’on croise ont été importés pour rendre l’endroit plus « beau » ou plus « sécurisé »! Finalement même notre requin mutant ne semble pas si extraordinaire, d’ailleurs personne dans le jeu ne se demandera pourquoi ce requin-bouledogue a des tentacules et qu’il peut passer plus de deux minutes hors de l’eau sans problème !
Tout ceci contribue à nous faire réfléchir sur nos océans et aux résultats des politiques à court terme, mais c’est surtout l’occasion de se marrer ! Car j’ai eu de très nombreux éclats de rire en jouant à Maneater : du ridicule des situations aux titres idiots des missions, à la violence gratuite et aux commentaires hilarants de Chris Parnell ! Comme lorsqu’on retourne dans notre grotte « pour découvrir le miracle de l’estime de soi » ou qu’on devient adolescent et qu’il est venu le temps du « regard des autres, de l’anxiété et des mauvaises décisions » ! On rit, et fort heureusement, plus souvent avec le jeu que du jeu (même si l’IA de tout ce qu’on y croise est d’une stupidité abyssale) ! On ressort de chaque session avec le sourire aux lèvres et des anecdotes de ce qu’on a fait ou vu et ça, c’est le plus gros succès de Maneater.
Avec sa liste de défauts longue comme la nageoire, avec ses plantages, drops de frame-rate, son IA idiote, son absence de contenu endgame, son équilibrage à l’arrache et sa caméra horripilante Maneater avait tout pour être un des plus gros flops de 2020, pourtant je ne peux m’empêcher de rallumer ma console et de me replonger dans les eaux malsaines de Port Clovis. Pour la nostalgie de Jaws Unleashed, pour les commentaires hilarants du Narrateur, pour l’explosion de puissance de notre mutant surboosté et pour les barres de rire ! Maneater n’est pas le jeu de l’année, il n’est pas non plus un jeu que je recommanderais d’acheter plein pot, attendez quelques soldes ! Mais jouez-y, vous ne le regretterez pas, c’est une expérience pour une fois originale, marrante, dérangeante et cruelle comme on en voit trop peu ! Allez, on croise les doigts pour quelques DLC afin d’ajouter quelques heures de plus à la vingtaine d’heures de l’aventure en attendant une saison deux !