Films

120 Battements par minute : bats toi pour ta survie

Certains films, cher petit lecteur, nous laissent un souvenir indéfinissable, qui reste à travers le temps. Car ils marquent une époque, ils interrogent sur la société, ils dénoncent, ou encore ils mettent en lumière des destins. 120 battements par minutes fait partie de toutes ces catégories.
120 battements par minutes, c’est le rythme cardiaque moyen d’un être humain quand il est amoureux, mais aussi une référence à la fameuse house music, emblématique des années 1990. Un titre choc pour un film qui risquait de l’être, au vu de la réputation qu’il traînait derrière lui. Grand prix du Jury à Cannes, certains estiment qu’il aurait même du avoir la Palme d’or, au vu de son message politique et de  l’intelligence de son traitement. Mais bon Cannes, c’est un peu comme les rillettes, c’est sympa au début mais à la fin ça te reste sur l’estomac, donc autant se méfier, me suis-je dis.

Récapitulons donc pour ceux qui auraient vécu dans une grotte les six derniers mois. 120 battements par minute a en effet fait sensation au dernier festival de Cannes. De par son sujet, ses acteurs, l’émoi qu’il provoquait chez les gens. Mais je dois t’avouer, cher petit lecteur facétieux, qu’au début, je n’étais pas forcément hyper ambiancée par le film. Robin Campillo, le réalisateur, ne m’était pas inconnu (il a en effet réalisé Les Revenants et Eastern Boys), mais la vision de ses films n’avait pas provoqué chez moi d’émoi particulier. Quand au sujet, s’il me semblait fort, il englobait pour moi tout un tas de problématiques qui risquait à tout moment de le faire tomber dans le pathos ou le cliché. Bref, j’étais perplexe. Mais, j’avais surtout tort de l’être. Qu’est ce que tu veux, dans la vie, des fois, on est con.

De battre mon cœur s’est arrêté 

120 BPM ( pour plus de commodités , mon cher petit, je te propose que nous l’appelions comme ça) traite en effet de la lutte contre le sida au  début des années 1990. Mais là où moult films s’y sont frottés, avec la réussite qu’on leur connait, ici, le film le fait d’une manière différente, car il le fait par le biais des actions d’une association, en l’occurrence Act Up.

Cette association, si vous ne la connaissez pas, est avant tout une association militante et activiste. Le but d’Act Up, c’est de faire réagir, quitte à choquer, sur le sort des malades du SIDA au travers d’actions mettant en lumière les lacunes du gouvernement, ou des laboratoires pharmaceutiques face à la prévention et à la protection des malades du SIDA, notamment dans les communautés homosexuelles. N’oublions pas que jusqu’en 1980, et ceci grâce au très chouette (saisissez l’ironie) amendement Burguet, l’homosexualité était reconnue comme un fléau social. Sympa des fois, le pays dans lequel on vit.

Du coup, le film avait de gros enjeux à relever. Parler de l’inactivité d’un gouvernement, de l’aveuglement des pouvoirs publics sur un sujet aussi important que celui-là, sans pour autant nous en faire oublier le coté humain de la maladie, et sans tomber dans le coté larmoyant que certaines fictions sur le thème n’avaient su éviter, ça promettait de pas être de la tarte. Mais alors là, laisse moi te dire que la tarte, je me la suis mangée en pleine gueule.

Comme tu l’as compris, nous suivons donc le quotidien des membres de l’association Act Up Paris, de réunions en actions, de coup de gueules en coups de cœurs, on découvre à travers les yeux de Nathan, nouveau venu au sein du groupe, le fonctionnement et les moyens d’actions de ces personnes qui ont décidé de ne pas tirer leur révérence avant d’avoir fait un gros fuck à la maladie.
Dès les premières minutes du film, on est plongé au cœur d’une réunion où les avis se divisent, entre ceux qui estiment que leur dernière action a été trop loin (certains militants ont en effet un peu chahuté un intervenant en le menottant lors d’un meeting portant sur le sida et la santé publique) tandis que les autres considèrent comme un mal nécessaire la provocation dont l’association fait preuve, étant pour eux le seul moyen viable de se faire entendre. C’est que dans les années 1990, le SIDA n’était pas, comme tu le sais cher petit lecteur, considéré comme une maladie comme les autres de par son image complètement fausse de « maladie homosexuelle », stigmatisant ainsi toute une communauté qui n’avait déjà pas besoin de ça.

Malades d’avoir aimé

Robin Campillo , ancien d’Act Up Paris, prend ainsi le parti de retranscrire au plus proche ce que les malades ont dû subir, entre discrimination et abandon de la part de certains laboratoires pharmaceutiques prêts à tout pour empocher quelques liasses de plus, quitte à créer une pénurie de médicaments et à laisser mourir des personnes. 120 BPM, se place donc dès les premières minutes de sa narration comme un film militant.

Des films qui traitent du SIDA, j’en ai vu plusieurs, de Dallas Buyers Club à Philadelphia en passant par Jeanne et le garçon formidable. Mais jamais, devant ces films, je n’avais ressenti une telle hargne que celle qui m’a envahi devant 120 BPM, une telle envie de me battre à leurs cotés, de défendre les valeurs de ce groupe qui mêle malades et non malades (Nathan, un des deux principaux protagonistes, et celui au travers duquel nous découvrons Act Up, est séronégatif par exemple). Comme Thibault, un des leaders de l’association, le dit au moment d’une de leurs actions, « Nous vivons le sida comme une guerre, invisible aux yeux des autres ».

Le film dégage un sentiment d’urgence, car les protagonistes de ce film sont pour la plupart en train de perdre la guerre contre la maladie, dans l’indifférence quasi générale des pouvoirs publics et pharmaceutiques qui proposent des solutions s’apparentant plus au « bisou magique sur le bobo » qu’à de vraies solutions pouvant permettre aux personnes atteintes du VIH de vivre dans des conditions décentes. Le fait de s’attacher à ces personnages que l’on sait condamnés provoque quelque chose d’extrêmement fort, et même si j’avais déjà ressenti cela devant un film, cela faisait bien longtemps qu’un tel sentiment ne m’avait pas pris aux tripes, notamment du fait de l’injustice et de l’aveuglement des responsables politiques et de l’inaction de certains laboratoires pharmaceutiques.

On ressort du film en colère contre une société complètement dépassée. Dépassée par un problème de santé publique et qui du coup, au lieu de lancer des campagnes de prévention et de sensibilisation, notamment auprès des plus jeunes ou des populations dites à risques (attention, je parle encore une fois dans le contexte historique du film, à savoir les années 1990), préfère mener la politique de l’autruche face à un fléau qui tue de manière quotidienne.

Et l’on est d’autant plus en colère quand on se dit que ce film, témoignage d’une époque, relate des faits qui n’ont même pas 30 ans.

L’amour au temps du SIDA

Parlons un peu des acteurs qui permettent de donner vie à ce film. En tête de liste, on retrouve Arnaud Valois, qui joue le rôle de Nathan, à travers qui le spectateur découvre donc le mouvement Act Up, et qui est en quelque sorte le fil rouge de cette histoire.

On le suit d’actions en réunions, on le voit évoluer et prendre un rôle de plus en plus important au sein de la vie des militants, notamment celle de Sean, interprété par Nahuel Perez Biscayart (véritable révélation du film), militant fort en gueule et haut en couleurs, contaminé lors de son premier rapport sexuel. Le rapprochement entre Nathan est Sean se fait tout en délicatesse, de regards en sourires complices, jusqu’à nouer une histoire d’amour forte, qui va au delà des clichés habituels que l’on peut voir sur la relation entre les malades du SIDA et leurs partenaires séronégatifs, et nous rappeler aussi quelques savoirs élémentaires au cas où nous les aurions oubliés. La magnifique Adele Haenel, découverte dans Les combattants, vient apporter sa combativité au sein de ce groupe, et illumine l’écran de ses apparitions, comme à son habitude.

Le film a aussi le cran de nous rappeler que la sexualité existe entre séronégatifs et positifs, et ceci avec un joli effort de mise en scène, tout en délicatesse, ne filmant alors pas la maladie mais deux corps se découvrant. Une piqûre de rappel remplie de tendresse et de poésie.

Tour à tour film militant, film historique ou histoire d’amour entre deux hommes, 120 BPM parvient à nous montrer toutes les facettes de cette histoire de lutte, que cela soit du coté militant et combatif, comme dans la réalité physique et mortelle de la maladie. Et arriver à faire tout cela sans jamais tomber dans le cliché, c’est déjà un bel exploit.

120 BPM est une réussite. Scénario travaillé et souci du détail dans la reconstitution des faits, acteurs investis et réalisation discrète au service d’une cause, le film arrive à nous émouvoir sans être pathos, et nous donne envie de nous investir au sein d’une cause, qui même si elle est aujourd’hui reconnue de tous, n’en mérite pas moins notre attention. Un grand prix du Jury amplement mérité pour le film, qui est déjà sélectionné pour représenter la France aux prochains Oscars.

KaMelaMela

Kamélaméla aime deux choses: la blanquette et Eddy Mitchell. Sinon, de temps en temps, elle va au ciné. Voila, vous savez tout.

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