Avant-première du film « Un Français », que vaut-il au-delà de la polémique ?

Un Français ne s’attendait pas à faire parler de lui ainsi. Trop effrayés par d’éventuels débordements, par les menaces proférées par une partie de l’extrême-droite ou prétendant qu’ils ne croient pas à son potentiel commercial, les distributeurs se sont débinés, faisant couler énormément d’encre au cours des dernières semaines. Au final, il ne sera projeté que dans 65 salles. L’une des seules avant-premières s’est déroulée lundi au cinéma Devosges à Dijon, en présence de l’acteur principal Alban Lenoir. Du coup, on s’est dit qu’on allait voir ce que le film valait.

Under the skin

eQZOrBIUn Français suit sur une longue période la vie de Marco, à commencer par ses années de skinhead facho, en suivant son évolution, ses changements, ses abandons, sa rédemption et le prix qu’elle coûte. C’est uniquement sur ce pitch et la bande-annonce que des nervis fascisants se sont agités tout seuls sur la toile et que les distributeurs ont refusé la péloche, prenant sur eux de tuer le film. Au Devosges, les trois salles étaient pleines et aucun débordement. Nombreux étaient ceux qui voulaient marquer le coup, ne pas laisser Un Français à ce triste destin. Et surtout ils étaient venus voir du cinéma, refusant de se le faire interdire de facto par des diffuseurs trop peureux ou des abrutis notoires.

Et le film de Diastème est une œuvre des plus intéressantes, notamment dans sa structure, au début assez troublante. En effet, il enchaîne les ellipses parfois radicales pour proposer une succession de scènes, sans transition, regroupant plusieurs décennies de la vie d’un homme, ce fameux français joué par Alban Lenoir. Car Un Français ne prend personne par la main. « Vous verrez, vous allez remplir les blancs vous-mêmes petit à petit dans les jours qui viennent », nous dit Alban qui a invité les spectateurs à boire un coup après la séance. C’est en fait ce que l’on commence à faire au fur et à mesure du film, quand on commence à comprendre comment tout cela fonctionne. Pas de sous-titres avec une bonne grosse date, un bon gros lieu. Les indications sont dans le décor, les accessoires, les musiques qui passent. Parfois, c’est au détour d’une réplique ou d’une archive télé qu’on va savoir combien de temps s’est écoulé, ce qu’est devenu untel et ce qui a changé. D’autres fois encore, c’est seulement dans l’allure des personnages.

Non, Un Français ne prend personne par la main et c’est l’une de ses grandes qualités.

La mise en scène est dans un numéro d’équilibriste qui ne vacille que très peu : des plans souvent assez longs, naturalistes, en caméra épaule, qui aiment suivre leur personnage, mais avec une esthétique dosée, jamais auteuriste, à laquelle la photo offre une certaine beauté. La violence n’y est jamais gratuite (si ce n’est la gratuité et la bêtise de ses coupables) mais pas pour autant évitée. Elle a ce côté à la fois cru et pourtant digne. Le propos ne passe pas en bavardages, ne cherche pas à s’expliciter. Il est dans les détails, dans l’action, dans l’attitude. Certes quelques inserts viennent assener une symbolique parfois dispensable, quelques répliques sont un peu trop démonstratives et un petit poème viendra donner du sens à tout ça, mais ils sont d’autant plus détonants que l’ensemble est d’une sobriété exemplaire. En bref : ce sont les images qui parlent. On est devant un film, pas un tract. 

Et c’est même assez troublant. On s’attendrait parfois à plus, à quelque chose d’explicite, à un grand discours ou un sens prêt-à-penser. Mais non: à vous de vous le faire. C’est parfois frustrant, ça met parfois du temps à rentrer, mais Un Français ne veut pas vous prendre par la main. Et c’est aussi valable pour le personnage que pour le sujet politique en toile de fond.

 « Vous allez remplir les blancs vous-mêmes »

On a comparé très hâtivement le film à American History X, dont il n’a ni l’esthétique de la violence, ni l’iconisation du protagoniste ou le déroulement très démonstratif. Il n’a pas non plus le côté brûlot maladroit de Féroce, autre film sur l’extrême-droite, qui en oubliait d’être juste à trop vouloir charger tête baissée sans trop savoir pourquoi.

D’abord parce que l’extrême-droite n’est pas le sujet du film. « Ça aurait pu être sur autre chose », explique Alban, même si on verra que ce n’est pas si vrai. Un Français porte bien son titre, il parle de la vie d’un homme, d’un vécu difficile, d’une violence, d’une bêtise et d’une auto-destruction. Il parle aussi des hommes et des femmes autour de lui, de leurs destins éclatés à partir de leurs points communs dont Marco est un témoin impuissant, presque autant que de son propre destin. Mais il n’est pas juste une rédemption avec ses passages obligés, ou alors une rédemption sans gloire, sans paillettes. À l’inverse d’un parti pris pamphlétaire qui dirait « il commence méchant, puis il a une révélation, puis il est gentil », le film montre un homme qui, petit à petit, arrête. On ne nous dit pas « parce que si, parce que ça » : c’est plus subtil. On ne nous laisse pas dans l’inconnu total pour autant : les éléments sont là. Pourquoi il était comme ça et pourquoi il ne veut plus. Pourquoi il en a marre de cette destruction, de cette haine, de cette abyssale bêtise, les quittant au fur et à mesure sans jamais explicitement dire pourquoi. Et il y a une certaine subtilité là-dedans.

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On ne peut pas que saluer l’écriture pour cette méthode parfois déroutante mais infiniment louable : mais il y a aussi les acteurs. Sur leurs épaules repose la lourde responsabilité de nous faire y croire et de nous faire comprendre, sans qu’ils n’assènent les vérités au travers de quelques répliques. Et Alban Lenoir, que beaucoup auront connu pour ses rôles hilarants notamment dans Hero Corp avec son compère Simon Astier, se révèle. Si je souhaite le meilleur à Un Français, je n’ai aucune inquiétude pour cet acteur. Vous allez le revoir souvent. Très souvent. Le rôle de Marco utilise ses traits marqués, tantôt de gros bourrin, tantôt de type profondément hanté, pour un rôle peu bavard qui se joue avec les regards, les gestes, le corps. Alors bien sûr, là encore, on notera quelques cabotinages qui détonnent, dans des répliques parfois caricaturales de fachos, notamment dans le rôle de son pote entré en politique, qui en fait bien trop dans la haine et le mépris. Quoique, quand on voit les vrais…

Ça aurait pu être sur autre chose ? Pas tout à fait. Car si le sujet c’est la vie d’un homme, le film parle bien de l’extrême-droite. On peut essayer de calmer le jeu, ramener le tout à des traits universels, mais le fait est là. Non seulement une telle réaction n’aurait pas été déclenchée sur un autre parti politique, mais surtout Un Français ne se prive pas d’être très direct dans ses références. La partie sur les skins n’oublie pas d’être aussi rigoureuse qu’elle le peut, avec des redskins, l’époque SOS Racisme ou les musiques. Tel un fil rouge (enfin brun), c’est l’extrême-droite qui évolue en parallèle de la vie de Marco, et pas une extrême-droite fictive. C’est le FN qu’on voit, c’est Le Pen à la télé, ce sont les vrais rappels de leurs passifs assassins corrompus et violents qui sont faits, sans besoin de les inventer, et même des ponts sur différentes réalités de la droite dure (anciens FN passés à droite, Manif pour Tous, etc.). C’est cliché à dire mais au travers de la petite histoire de Marco, on est témoin de la grande histoire des droites extrêmes et de ses acteurs.

Verdict

En France, on a un léger problème avec certains sujets qui fâchent. Non pas que nous soyons tous de sordides fachos, notre censure est bien plus pernicieuse. Parce qu’il ne faut pas cliver, parce qu’il ne faut pas faire de vagues, on censure des projets sans même l’aide d’un gouvernement, juste parce que ça risque d’énerver, parce qu’on « ne croit pas à leur potentiel commercial ». Combien y a-t-il de films américains sur le Vietnam ou sur l’Irak ? Et combien de films français sur l’Algérie ? Pourquoi ont-ils autant de films sur leur extrême-droite et nous si peu sur la nôtre ?

Un Français n’est même pas un film à charge. C’est un film qui traite de la vie d’un homme et, à travers lui, d’une histoire politique. Un film qui essaie de le faire sans grand discours, avec de vrais partis pris narratifs et avec des acteurs habités. Si les distributeurs ne croient pas en ça, ce en quoi ils croient encore me désole profondément.

Lâche ton cri

  • 15 juin 2015 at 12 h 43 min
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    Merci. Il faut dire que la désertion des diffuseurs est d’autant plus rageante que le film n’est pas spécialement rentre-dedans (même s’il l’avait été plus, ça n’excusait pas non plus cette attitude, mais passons…).

  • 12 juin 2015 at 10 h 05 min
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    Une critique intelligente sur un film qui l’est tout autant.

  • 11 juin 2015 at 18 h 29 min
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    Quelle iconographie !

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