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Fargo, saison 2 : Kafkaien et toujours génial

Alors que les frimas de l’hiver laissaient à désirer cette année, c’est sur les terres enneigées du Dakota du Sud que la saison 2 de Fargo décidait de nous emmener refaire un tour. Et vu le choc jouissif de la première saison, force était de constater que nous ne boudions pas notre plaisir de retourner dans le trou du cul du monde Américain !

Fargo : petite ville, meurtres, mafias et Seventies

Flashback, on se retrouve en 1979, année légendaire dans le comté pour un de ses faits divers morbides : « l’incident de Sioux Falls ». Déjà dans la première fournée de Fargo, nombre de personnages faisaient allusion à cet événement clé qui semblait avoir bouleversé tant la mémoire collective que les personnages présents trente ans auparavant. Comme des traumatisés de guerre, ils s’y référaient à mesure que les événements s’enchainaient pour devenir l’explosion finale de la saison 1.

 

 

Ici, les seventies sont agonisantes, les mentalités évoluent. Les pères ont connu la Guerre Mondiale et sont revenus en héros, les fils ont subi la débâcle du Vietnam et ont été pointés du doigt et mis de côté par une société qui s’enlise et perd l’élan et les espoirs du Flower Power. On fait face à deux générations qui évoluent au ralenti, comme engluées dans un présent qui change trop vite et où la société n’a pas soigné les séquelles de ses traumatisés. On retrouve et croise Reagan, l’opportuniste malin, qui est en pleine campagne électorale pour devenir premier citoyen Américain : il incarne à la fois le renouveau réactionnaire qui peut porter l’Amérique et réussit le tour de force de noyer le poisson quant à son passé d’acteur hollywoodien, et donc de tâcheron dans l’univers politique.

C’est dans ce contexte un peu particulier qu’on débarque à Luverne dans le Dakota du sud (pas très loin de la ville de Fargo), où l’on va s’enliser autant dans la neige que dans un grand Gloubiboulga de quiproquos et de situations meurtrières. Car voyez-vous, à Luverne se font face deux familles de mafieux qui luttent pour le territoire. Une « old school », le clan Gerhardt, qui s’est construite avec fierté en partant de rien et qui transmet sa réputation de père en fils; l’autre plus moderne, de la ville, une mafia plus économique que classique qui envoie des agents comptables pour racheter les terrains puis des tueurs pour faciliter les transactions.

Fargo-Saison-2

Dodd Gerhart (Jeffrey Donovan, qui trouve le rôle de sa vie) le benjamin bon élève prétendant au trône.

La fierté. Voilà un motif tout particulier qui motive les actions des trois frères Gerhardt dont les parents sont les manitous du clan depuis des décennies. Le plus jeune, chien fou en vrille, magouille pour avoir l’estime de ses deux aînés, et la reconnaissance familiale. Le cadet rêve de remplacer le père, et de diriger la famille comme il l’entend, tandis que l’ainé (et père d’un enfant handicapé) se range volontiers et très discrètement aux côtés de la matriarche (Jean Smart, exceptionnelle en « mamy mafia ») à l’heure de la passation de pouvoir lorsque le Père nous claque un infarctus qui le rend alité et redistribue les cartes.

La vie est rythmée par les deals, l’argent sale, les règlements de comptes… Tout semble « normal » dans cet univers criminel très bien mis en scène où le renouveau féministe des uns s’opposent aux traditions familiales machistes des autres.

fargo-ce-que-la-serie-doit-au-film,M267807Mais voilà, dans Fargo, tout capote évidemment et prend un tournant inattendu. C’est lorsque le petit frère, Rye Gerhart, pète les plombs en massacrant des civils dans un Diner et finit par se faire renverser par une voiture en s’enfuyant, que cela part en grand n’importe quoi. Dans la voiture, miss Peggy Blomquist (Christen Dunsk, hilarante dans son rôle de perchée dépressive !), femme du boucher de Fargo et grande frustrée dans sa condition de femme épouse. Psychiquement plus qu’instable, elle ramène le bonhomme dans sa maison et décide de cacher le corps.

 

De là démarre une course à la vengeance, où le sang et les corps s’empileront, parfois avec humour, parfois avec grâce, et souvent dans la plus grande confusion des personnages et pour la jubilation des téléspectateurs !

Et puis… Et puis, il y a l’ordre, la morale et l’amour incarnés par la famille de flics… qui symbolise à elle seule la « ligne blanche » à suivre, celle qui mène vers ce que l’on fait de mieux dans l’humain, entre valeurs humaniste et philanthropie protectrice.

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Ted Danson en sheriff , et Patrick Wilson en marshal, sont touchants de justesse.

La débauche de concepts maitrisés, un acting mémorable, le talent quoi.

Ce qui est remarquable avec Fargo, c’est cette capacité à proposer du neuf avec de l’ancien, du maitrisé.

Prenons par exemple la façon de filmer. Dans la première saison, le téléspectateur était pris par la main et emmené dans un polar noir quasi intimiste, étouffé par la neige et la tension permanente. La retenue des personnages collait avec un cadrage serré, maitrisé et classique qui mettait en avant les échanges sans grandes folies visuelles. Et c’était voulu. Le ton amenait la façon de filmer. Dans cette seconde saison, nous sommes à la fin des seventies, le funk et le groove arrivent à grandes enjambées, et l’ADN de cette nouvelle saison naît des cendres d’une période délirante post-Woodstock. Là où Noah Hawley fait très fort, c’est qu’il prend des libertés à tester des façons de filmer. Il découpe les plans, les scinde, les hache, exécute des doubles travellings…

Bref il cuisine avec sa caméra rendant le tout très dynamique à mesure que le rythme s’emballe et que l’histoire devient de plus en plus folle et confuse. On se retrouve face à une série plus « groovy », plus colorée aussi (à l’instar d’un film de Guy Ritchie par exemple), tout en suivant un propos qui s’enfonce dans le polar tout aussi noir que dans la précédente saison.

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Portée par des acteurs en état de grâce, cette saison 2 de Fargo prouve une nouvelle fois les possibilités offertes aux créateurs grâce au média sériel. Oui on radote, mais bon sang, le cinéma semble tellement dépassé et éclaboussé par le talent des séries modernes !bandeau17

Fargo réalise un nouveau tour de force avec cette seconde saison qui s’impose comme une confirmation de la fulgurance, à la fois burlesque et délirante mais toujours très noire dans l’âme.

Avec cette deuxième fournée Noah Hawley se rapproche irrémédiablement du style Coen, véritable moteur d’un cinéma de niche immédiatement reconnaissable, tout en apportant sa patte qui se dessine de plus en plus. On ose le dire : le scénariste, réalisateur, producteur livre avec Fargo une des séries les plus excitantes, intelligentes et rondement menées de l’univers télé.

Entre comédie et tragédie, Fargo est le dosage parfait. Les trolls vous recommandent chaudement ces deux saisons.

LazyLumps

Déjà petit, le troll Lazylumps collectionnait les cailloux. Après en avoir balancé un certain nombre dans la tronche de tout le monde, il est devenu le "Rédak' Chef" de la horde, un manitou au pouvoir tyrannique mais au charisme proche d'un mollusque. Souvent les nuits de délire on l'entend hurler "ARTICLE ! ARTICLE ! IL FAUT UN ARTICLE POUR DEMAIN".