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Le Roy des Ribauds, tome 3 : Game of Throne of Paris

Il est des séries que l’on attend avec impatience, tremblant d’une joie presque extatique à l’idée de parcourir de nouveau des récits iconiques. Les circonstances de la mode font que c’est bien souvent parmi des séries que s’entretient cette hype salutaire, mais en ce qui me concerne, ce genre d’affaires se situe aussi beaucoup du coté des bandes dessinées. Je casse régulièrement les pieds à mes doctes libraires pour connaître les dates de sortie de telle ou telle œuvre, quand bien même je leur ai déjà posé la question dans la semaine. C’est mon petit coté impatient frénétique. Leur bienveillance doit être saluée, d’autant qu’elle s’accompagne généralement d’un sourire complice quand l’objet de mes désirs est enfin arrivé sur leurs étals bénis et qu’ils savent par avance qu’un étrange troll binoclard va bientôt venir s’émerveiller, comme un gamin devant son sapin de noël, en découvrant la BD tant espérée. Et bien mes chers amis, le miracle s’est de nouveau produit la semaine passée puisque le Roy des Ribauds tome 3 est enfin arrivé.

Délectation d’intrigues

Une des cases les plus impressionnantes

Ô joie et allégresse que de retourner de nouveau dans le Paris de Philippe Auguste et de suivre la joyeuse bande de margoulins au service du Triste Sire. Nous avions laissé l’homme dans une situation fort peu enviable dans le tome 2 : disgracié auprès du roi de France, contesté dans les bas-fonds de sa ville, Tristan, le Roy des Ribauds donc, avait en plus maille à partir avec des désagréments d’ordre familiaux déstabilisant sa désormais légendaire contenance de chef. La muraille d’airain du charismatique maître des affaires clandestines de Paris était en train de se fissurer, les auteurs n’ayant pas peur de pousser leur héros dans des situations parfaitement inextricables, quitte à risquer la vie de sa garde rapprochée. Ce tome 3 est donc celui de la tentative de reconquête, après les embûches mortelles du précédent. Néanmoins, si le Triste Sire nous gratifie de nouveau de sa combativité et de son sens du devoir, il n’en demeure pas moins que les péripéties le conduisent en des terres fortement instables et enkystent davantage les lézardes opérées dans l’édifice de son contrôle urbain.

Les intrigues de l’ombre se multiplient, les concurrents au trône de f… heu… au trône des ribauds se renouvellent quelque peu et d’anciens ennemis font leur retour, la hargne chevillée au corps. On continue donc de savourer la galerie des portraits construite par Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat, d’autant que, chose agréable s’il en est, on s’y repère aisément. L’écriture des personnages est tellement viscérale, leur représentation si efficace qu’on navigue plaisamment dans le récit sans s’y perdre et sans devoir s’improviser de navrants retours en arrière en grommelant : « Bordel, c’est qui celui-là déjà ».

N’ayant pu attendre, j’ai attaqué ce tome directement sans lecture de rappel des précédents et l’histoire a simplement repris son court là où je l’avais laissée, sans heurt ni interrogation, et pourtant je ne possède guère de sens surnaturel quand il s’agit de se repérer dans des trombinoscopes. J’aurais même plutôt tendance à être légèrement débile en la matière, ce qui devrait vous conforter dans l’idée que la narration est fluide et suffisamment marquante pour laisser une empreinte.

Du cinéma-BD

Ce tome 3 est aussi un jalon de plus sur la courbe de progression vertueuse du dessinateur. L’album est encore meilleur en terme de mouvement : si les deux précédents mettaient aussi l’accent sur cet élément, on ressent dans celui-ci une certaine maturité, un usage peut être plus naturel et moins forcé. Mais bien entendu cela doit se lire dans une totalité. Depuis le début les auteurs ont construit leur récit pratiquement comme un western spaghetti médiéval constellé de trombines de l’apocalypse et de découpages de l’action à la serpe. En peu de cases une planche réussit à suggérer une multitude d’informations, presque sans texte, sans fioriture d’aucune sorte. L’arrivée d’une compagnie de mercenaire dans la capitale est simplement montrée dans un premier temps sur une planche en trois cases ; un plan général sur la Seine et Paris sur lequel on voit se glisser un esquif, un plan resserré au ras du sol montrant leur débarquement et un plan en plongée pris entre les pieds d’un homme qui les attend. Une légère incertitude est laissée en suspend dans la phrase prononcée par l’homme et dans l’attitude des mercenaires, ce qui trouve sa solution dans la page suivante. On a là un bréviaire d’un édifice narratif efficace : la BD est un art graphique et les auteurs ont bien compris qu’il est inutile d’expliquer ce que l’on peu habilement faire comprendre en le montrant.

De plus la petite question laissée en suspend sur l’identité d’un quidam appelle à tourner la page et absorbe davantage dans la lecture. Vous l’aurez compris, c’est bien construit.

Par ailleurs et tant qu’on en est dans des questions factuelles, on retrouve aussi ce travail sur l’ambiance colorée des cases qui jonglent toujours entre les tons puissamment chauds pour les espaces clos (ou non) en contexte nocturne, et les cases diurnes où règne une dominante de bleu pastel et d’ocre. Cela facilite évidemment la lecture et permet également d’indiquer subtilement le lieu et le moment de chaque situation. Simple et efficace ; ce sont des codes que l’on saisit dès le premier tome et qui servent de règle générale dans la construction du récit. Du coup, une légère variation dans ce schéma exprime aisément les moments de transition de la journée : le soir est ainsi représenté par un décalage vers des oranges moins foncés, des bruns plus doux. Même un Lazylumps ivre pourrait s’y repérer (« pas sûr » chuchote-t-il)

Un univers cohérent

L’écriture, elle, évite l’éparpillement ; quand on construit une histoire d’intrigues et de complots on peut être tenté par multiplier les situations, les enjeux et les personnages, surtout quand on a une certaine facilité à les caractériser comme c’est le cas ici. C’est un écueil que beaucoup relèvent dans Game of Throne par exemple, qui est aujourd’hui un point focal très couru de la thématique. Vincent Brugeas tourne efficacement le problème en réinvestissant des personnages déjà rencontrés, quitte à leur donner une nouvelle aura, fruit d’une évolution logique du caractère engendrée par l’histoire. De ce fait, il est inutile de bâtir des contentieux ex nihilo, on les sait préexistants, on attend plutôt avec délice la nouvelle confrontation…

Il est une chose que je trouve extrêmement plaisante dans cette série de bande-dessinée c’est que, si les auteurs ont envie de la poursuivre encore, ils ont eu l’intelligence de la bâtir en cycles ; ce troisième tome ferme donc un premier volet de l’histoire tout en laissant ouvertes de nombreuses questions quant au devenir des personnages. Néanmoins, qui décide de s’arrêter-là découvre une conclusion aux développements mis en place dans les deux premiers volumes. Ce tome est donc, avant tout, celui des résolutions. Vous vous doutez peut-être que cet ouvrage possède son lot (en portions copieuses) de tripailles sur leur lit d’hémoglobine, simplement parce que dans le Roy des Ribauds on ne jure que par la sobriété de l’acier pour trancher un désaccord.

Pour accompagner cette fin, les auteurs ont eu l’idée de réaliser trois planches précisant la situation finale sous une forme me rappelant un peu les images d’Épinal de naguère, ou plutôt leur version moderne que l’on trouve par exemple dans les illustrations de la collection Encyclopédie et connaissances chez Hachette junior. Vient ensuite l’épilogue et là mes bons amis, difficile de ne pas bouillir dans son for intérieur tant il annonce efficacement la suite.

Il est très agréable de voir se poursuivre cette série : si les ressorts en sont toujours sensiblement les mêmes, les auteurs progressent par touches, affermissent leur maîtrise et ce tome bouillonnant est bien mené, bien équilibré. Il ne torche pas les enjeux pour sacrifier à l’envie de tartiner de l’action trépidante, il prend son temps pour narrer avec subtilité les péripéties engagées. Il livre une belle évolution des personnages souvent affectés par les événements qui les touchent dans les fondements de leurs existences. Passée cette histoire ils ne seront plus jamais les mêmes et, dans cet univers impitoyable d’intrigues, qu’ils soient forts, qu’ils soient rois, ils semblent vaciller sur leurs trônes. Tout ce que les auteurs ont semé comme enjeux futurs pour l’avenir de la série laisse présager du meilleur, en tout cas on le souhaite ardemment parce que le plaisir est toujours aussi grand de s’immerger dans le Roy des Ribauds.

Flavius

Le troll Flavius est une espèce étrange et mystérieuse, vivant entre le calembour de comptoir et la littérature classique. C'est un esthète qui mange ses crottes de nez, c'est une âme sensible qui aime péter sous les draps. D'aucuns le disent bipolaire, lui il préfère roter bruyamment en se délectant d'un grand cru et se gratter les parties charnues de l'anatomie en réfléchissant au message métaphysique d'un tableau de Caravage.

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